L’Exil, 2005


Préface de Patrick Raveau, aux éditions l’Harmattan (2005) :

 

Car les dieux du poète sont de paroles et d’argile, non pas des dieux immortels, éternels, d’un certain monde intelligible, de ces dieux poussiéreux qui sommeillent dans les livres sacrés.

Poésie difficile pour certains, (voire hermétique pour d’autres), mais dont la lecture met en lumière des images d’une beauté rare, de cette beauté qui tisse dans nos esprits la trame d’un long chant, une longue plainte où les mots, les correspondances infinies qui y séjournent disent ce que le poète ne cesse de clamer.

« Pourrais-je un jour hurler la cassure de l’être dans la multiplicité de ses visages . . . « 

Intemporelle, la poésie de Patricia Bruneaux tisse des images qui ne viennent pas tant de la mémoire que d’une anticipation d’un monde perdu, non celui qu’il a été mais plutôt ce qu’il aurait pu être si . . .

« Autrefois, j’étais ligne aux horizons sans frontière . . . Le murmure qui grossit jusqu’aux cascades et redevient silence à l’écoute de ces hommes. « 


« Dans ce recueil de poèmes, hymne à la femme, Patricia Bruneaux affleure constamment la rêverie lucide, de l’enfance au poème, à l’enfant que la femme porte en elle. Et l’enfantement apparaît ici toujours précédé d’une agonie. Il faut mourir pour que le poème surgisse, que la parole ensoleille un court instant l’esprit du créateur. La poésie nous invite à cette danse silencieuse à la lisière du jour et de la nuit, où l’esprit oscille perpétuellement entre ce qui voile et ce qui dévoile. »

 

 

En 2005, son recueil L’Exil préfacé par Patrick Raveau paraîtra aux éditions l’Harmattan dans la collection « Poètes des cinq continents ».


Elle choisit le Verbe d’Omar KHAYAM pour l’ouverture de son Exil :

 

« Ô roue du ciel, la destruction vient de la haine !

Ta tyrannie est une tradition ancienne !

ô terre, si l’on creusait à même tes entrailles

Que d’inestimables joyaux on trouverait « 


« Entre incrédulité et croyance il n’y a qu’un souffle !

Du doute à la certitude il n’est qu’un souffle !

Va te réjouir l’espace de ce souffle . . .

De toute notre vie le résultat n’est que ce souffle ! »

 

 

Les vents porteurs de soleils ont tari la source du nomade. Il reste à franchir au semeur d’étoiles les plaines du vide où l’écho se fait la voix du silence des aveugles. J’ai somnolé dans le sein des galaxies sans jamais apprivoiser les rêves de l’homme sage. Les torrents incandescents ont recouvert d’une pluie d’argile les planètes assoupies. L’empreinte des mots guide le messager des sens sur les traces de cendre.

Qu’adviendra-t-il des marais asséchés guettant l’auréole des soleils? Qu’adviendra-t-il du soupir de la pierre échappé du courant ? Les hommes ont pour bagages la paresse de leurs souvenirs et leurs chemins se sont noués au carrefour des songes.

Le mourant apprivoise le regard des vivants quand de ses yeux s’échappe l’étincelle d’étoile. Il faudra apprendre les parcours de lumière que nos pas dissimulent dans l’antre de nos jambes. Beaucoup de sueur a perlé sur nos fronts avant que la marche ne s’évanouisse en filets d’ombres sur l’eau.

 

Au chant du muezzin se courbent les formes lunaires, le désert est un asile pour les enveloppes de sable indécises sur les chemins avortés de leurs aïeux.

Bannie des sols fertiles je m’en vais rejoindre le troupeau de bêtes affamées, me rouler sur les brasiers ardents et lécher le ventre de mes louves en rut sur les roches rugueuses de l’Atlas.

 

 

Ils ont porté le vin à la table de jouvence et leurs cris se sont fait l’étreinte de ma douleur. Les cercles gravitent autour de la chair, comme les soleils autour de l’étoile morte.

Voudras-tu encore bercer la mort, si j’enfante le Soleil ?

Voudras-tu encore lécher le ventre des madones silencieuses, si je me couche sur les corps des vierges pour couvrir le tremblement des mondes ?

 


Nature, qui de l’homme ou de la bête porte le sceau des consciences aliénées ?

Un chien-loup s’est glissé dans mon lit mêlant nos deux sangs à l’oeuf originel. Celui qui sommeille sous l’oeil parcellaire de l’humanité est animal, gardien d’une nature en gestation entre instinct et raison.

Vous étiez cet être multiple convertis à la survie dans la violence de vos deux mondes en fusion, je suis la proie de vos souffrances

 

J’ignore le son de leurs pas, j’ignore le son de leurs voix, seule l’aube nouvelle et son oeil cyclopéen percevront les silhouettes écartelées sur le point majestueux de l’horizon. Ils n’auront plus rien à dire, ils n’auront plus rien à faire, nous devrons seulement croire et l’univers se dérobera en des lignes inachevées, en des cercles brisés. Le feu courbé abandonnera sa chevelure incandescente aux eaux des prophètes, le songe éveillera de nouveau.

 

A quel exil m’ont-ils contrainte ? Ma peau ne veut plus de ce vent qu’ils respirent, un souffle mêlé de sable et de sueur, de parcelles de nature et d’étincelles d’humanité. Ils ont souvent lacéré l’écorce de l’arbre pour y trouver le verbe mais la parole est un silence qui se donne. Ils ont fui le désert et le désert les a rejoint, qu’adviendra-t-il de l’essence de l’être si leurs voix martyrisent les murs des lamentations ?