Faire régresser le Code du travail : un faux problème

Les médias contre l’obésité du Code du travail : dé(sin)formations

Réformer le droit du travail…Le code du travail est obèse…Le droit du travail français est un obstacle à l’emploi etc..C’est le discours ambiant tenu par les patrons, les socio-démocrates, la droite libérale.
Ce discours est alimenté par la presse : par exemple le journal Le Monde daté du 3/10/2015 titre : Laurent Berger : »Le code du travail est illisible ». Or quand on lit l’article, on s’aperçoit que les propos du Secrétaire national de la CFDT sont beaucoup plus nuancés; « S’il y a un code du travail, c’est parce qu’il y a un rapport de subordination entre le salarié et l’employeur. Il y a donc un besoin de régulation, avec des normes que la société doit fixer pour tout le monde…Je dis non au statu quo car le code du travail est illisible pour les salariés et, du coup, il n’est plus respecté. Mais faire croire qu’il faudrait casser le code du travail parce qu’il serait responsable de tous les maux de l’économie, c’est archifaux…J’attends du Rapport Combrexelle qu’il casse l’idée que le débat porte sur le nombre de pages du Code du travail et qu’il donne des voies pour revivifier le dialogue social dans les branches et dans les entreprises
Outre que le mot de réforme est abusivement utilisé pour signifier des régressions- qui peuvent être indispensables parfois-, cette obsession politico-médiatique repose-t-elle sur une réalité ?
Tous les codes sont gros. Mais il semble que l’énormité du Code civil ne pose pas problème. Est-ce parce que l’utilisation du Code civil est réservée aux avocats, à une élite et est rarement utilisée par le citoyen moyen ? Et pourtant le Code civil régit notre vie entière.

L’Essai de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen

Nos éminents intellectuels Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen ont commis un petit livre : « Le travail et la loi » juste avant l’été 2015.
Outre que ce livre est mal écrit, bâclé, il est en plus inutile. Pourquoi : parce que la France a une tradition juridique fondée sur la loi. Vouloir réduire un droit à des principes (en ne touchant pas aux dispositions qui concernent la représentation du personnel et les seuils d’effectifs qui sont pourtant celles qui posent le plus problème) modifie la nature même du droit français en le transformant en une sorte de Common law à l’anglo-saxonne, c’est à dire un droit fondé essentiellement sur la jurisprudence.
Ce tournant subit renverserait soudainement notre culture juridique sans rien simplifier.

Qu’en est-il exactement de cette « obésité »?

Par ailleurs, il suffit de feuilleter un Code du travail pour voir que ce n’est pas l’énoncé des textes de lois qui prend tant de place mais d’une part les références jurisprudentielles qui permettent aux praticiens du droit de ne pas avoir à se pencher sur d’énormes recueils de jurisprudence et d’autre part les dérogations aux textes.
Un exemple : L’article L 1242-1 stipule :  » Le contrat de travail à durée déterminée « quel que soit son motif » ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Suivent ensuite environ 90 articles dont beaucoup prévoient des dérogations au principe énoncé ci-dessus
Dans ces articles on est en présence de dérogations au principe général qui peuvent se justifier. Mais dans la dynamique de ces dérogations, les embauches en CDD ont tendance à devenir la norme dans certaines entreprises, alors même qu’il s’agit de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. ( on peut citer l’exemple de caissières embauchées en CDD !) Cette précarisation, douloureuse pour les salariés, est-elle vraiment un facteur de réussite pour les entreprises?
Par ailleurs -à propos de l’obésité du code- les articles sur le CDD occupent environ 5 pages du code et sont suivies de 12 pages de jurisprudence.
Les travailleurs se sont battus pour obtenir des textes qui les protègent contre l’arbitraire patronal. Certes, les chômeurs ne sont pas concernés. Mais les salariés n’ont pas cessé d’exister à ma connaissance.
S’en remettre aux Accords d’entreprise dans un contexte de désertification syndicale et d’emplois majoritaires dans les PME et les TPE est extrêmement dangereux pour les salariés de ces entreprises qui n’auront plus- au moins symboliquement- la protection du Code du travail.
Si je parle de symbole, c’est parce qu’une loi ne peut être appliquée dans un contexte de subordination de l’une des parties (du salarié à l’employeur) que si une institution force certains employeurs récalcitrants à l’appliquer. Le corps de l’Inspection du travail a été créé pour cela il y a plus d’un siècle.

(La suite dans le prochain article)