Autisme et travail : un défi

est sorti en mars 2020 quelques jours avant le confinement.  Depuis, la COVID et ses conséquences ont évidemment bousculé la donne chez tous ces travailleurs atypiques. L’auteure a ajouté cet écrit, qui tient compte de l’événement, afin de compléter leurs témoignages.

 

Autisme, travail et COVID

Non seulement la forme du travail a pu changer auprès de ces travailleurs, mais ils ont dû également intégrer un tout nouveau vocabulaire et autant de nouvelles règles. Il leur a fallu mettre en place une nouvelle organisation et recevoir l’inquiétude générale qui s’est installée autour de ce virus.

Confinement, déconfinement, re-confinement, gestes barrière, distanciation sociale, masque, télétravail, réunion en Visio, en distanciel, en présentiel, bureau à la maison…. Si certains mots ont pu convenir à certains (surtout en ce qui concerne la distanciation sociale et les gestes barrières…), d’autres mots (chômage, mortalité, hôpitaux saturés…) en ont emmené quelques-uns vers un isolement et une angoisse encore plus difficiles à vivre.

J’ai correspondu avec plusieurs d’entre eux, par mail, par téléphone ou avec WhatsApp. La limitation des déplacements relative au confinement les a naturellement poussés à se servir davantage de ces outils de communication déjà à leur disposition.  Ils ont pu expliquer ce qui avait changé pour eux, tant d’un point de vue travail, que sociétal ou personnel. Cette communication s’est bien évidemment limitée aux personnes autistes en capacité de comprendre et de répondre. Je n’ai pas eu la possibilité d’aller à la rencontre des adultes vivant dans leurs foyers (familial ou médico-social) ou avec des difficultés trop grandes de communication, ni d’aller interroger les familles ou les professionnels vivant à leurs côtés : Entre confinement, couvre-feu, règles strictes dans les établissements et les entreprises, il était difficile d’aller chez eux dans leurs lieux de vie ou professionnel.

Du confinement, l’une des premières choses qui a été vécue comme un bénéfice, c’est de ne plus devoir prendre les transports en commun. « Moins de surcharge sensorielle et sociale » m’explique Anais. Pour Douglas : « le fait de ne pas se déplacer est un plus et permet de travailler pendant ces temps normalement consacrés à attendre et à aller d’un point à un autre ». Une réponse similaire est donnée par d’autres travailleurs autistes : « Temps gagné à travailler au lieu du temps perdu dans le métro » ; « Moins fatigant, moins angoissant… ». Déjà lors de l’écriture du livre, plusieurs personnes interrogées avaient exprimé cette fatigue, cette difficulté à prendre les transports en commun en temps ordinaire. Pour Rayan, c’était même le moment le plus dur de sa journée de travail.

Essayer de maîtriser les bruits, les rythmes et les horaires sont d’autant d’énergies compliquées à équilibrer pour une personne autiste et la fatigue arrive vite. On peut comprendre un certain soulagement à ne plus subir cet écueil.

Les difficultés professionnelles sont évoquées :

Comme pour les autres travailleurs, certains ont eu la possibilité (d’autres n’ont tout simplement pas eu le choix) de rester chez eux en chômage total, partiel ou en télétravail.

Ils se sont sentis encore plus isolés, avec une impression d’être abandonnés et avec des regrets pour les activités qu’ils ne pouvaient plus faire.

Didier, qui est toujours en recherche d’une entreprise pour réaliser un stage en alternance précise : « C’est dur de trouver des opportunités. Je me sens encore plus isolé des autres ». Et Josselin rajoute : « J’ai rencontré des difficultés, j’avais l’impression d’être à l’abandon de beaucoup de choses ».

Complications aussi pour se concentrer professionnellement dans le lieu de vie quotidienne qui n’est pas le lieu habituel de travail. Les repères sont perdus… Il faut tout réorganiser en équilibrant gestes professionnels et gestes de la vie quotidienne, ce qui ne se fait pas naturellement.

« Le fait de ne pas avoir un lieu de travail est assez perturbant, la concentration se perd un peu. De plus, il faut jouer avec l’ambiance et l’environnement de la maison et de la rue. »  « Le confinement a été compliqué pour ma concentration et pour ma gestion. J’ai pu arriver à le supporter avec les relances de mon maitre de stage et le fait que je fournissais du travail régulièrement ».

Max a choisi de rester travailler sur son lieu professionnel. C’était calme, il y avait moins de collègues. Il restait dans son cadre habituel de travail et parvenait mieux à se concentrer.

Didier s’est retrouvé sans aucune activité. Idem pour les personnes en recherche de travail. Pour eux, c’était décourageant.

 D’autres effets, parfois plus inattendus se sont également manifestés : Nicolas a décidé : « J’arrête définitivement les poignées de main, les bises et les câlins ». Ces gestes affectueux, habituels pour nous, et qui nous manquent terriblement, peuvent être compliqués chez certaines personnes autistes. Cela peut devenir un véritable soulagement de ne plus devoir s’y soumettre !

Cassandre a pu profiter de ce confinement pour « un peu renouer avec ma famille et mettre des choses au clair avec mon copain ».

Inquiétude et espoir s’entremêlent : « Aïe, c’est plutôt triste les rues désertes où tout le monde est parti à cause du Coronavirus » explique Josselin, tout en rajoutant : « Il y a quand même des côtés positifs par rapport à d’habitude, il y a bien moins de monde et moins de circulation. Comme ça on peut profiter du silence et de la “ville déserte » » 

Rayan se rassure comme il peut : « Alors, dans ce contexte de confinement, j’ai trouvé une méthode pour être zen : imaginer un retour à la vie normale avec le travail, le SAMSAH et les sorties au Louvre ». Le connaissant bien, je ne crois pas qu’il ait pu rester si « zen » que cela !

Et pour Douglas : « Un jour la ville reprendra de sa vie »

José est moins optimiste : « Avec les confinements et le coronavirus, c’est très compliqué. Personne ne sait pour la date quand il y’a plus de coronavirus ».

Chacun s’organise comme il peut :

Rayan : « J’écoute des musiques douces ou tristes pour me canaliser. Il paraît que des études montrent que ces musiques nous apaisent ». José : « Je passe l’aspirateur dans ma chambre et dans le salon après avoir écouté de la musique et lu mon livre, c’est chouette ».

La cuisine prend une bonne place dans les nouvelles occupations. Régulièrement, Josselin m’envoie les menus qu’il a préparé chez lui :

« J’ai réalisé un gâteau au chocolat et coupé en tranches fines des pommes de terre et je vais préparer du boudin blanc et peut-être des poireaux ».  « Aujourd’hui, j’ai fait une tarte aux citrons et hier matin, j’avais fait du taboulé et c’était assez réussi tout cela ».

« Aujourd’hui, je fais des aubergines, des champignons, de la tarte au citron, du gâteau au chocolat, de la tarte salée aux courgettes et aux chèvres… Disons toutes sortes de plats ou de desserts » …

La lecture, l’écriture et le dessin remplissent aussi les journées : 

José : « J’ai lu Les 3 Mousquetaires d’Alexandre Dumas et Salammbô de Gustave Flaubert dans ma chambre. C’est bien »

Ivan : « Moi j’ai dessiné à l’aquarelle une fraise et une myrtille, ça m’était passé comme ça dans la tête et j’ai dessiné ».

Josselin : « Je dessine quelquefois mais surtout je lis et j’écris de temps en temps dans mon journal ce que j’ai réalisé comme tâche ménagère ou comme tâche cuisinière ». 

Certaines conséquences sont parfois difficiles à comprendre. Bastien, qui vivait seul dans son studio, près de sa famille, a dû retourner vivre en famille. Il regrette de ne pas être resté seul, tranquille, dans son studio…

Alicia a été en chômage partiel durant le 1er confinement, pas de son fait ni de celui de l’entreprise qui l’embauchait, mais parce que l’ARS avait demandé la fermeture de son lieu de vie. Depuis, elle travaille de nouveau sur son site professionnel.

L’annonce du premier déconfinement n’a pas apporté que du soulagement.

Pour Josselin : « Je pense que le déconfinement va changer assez peu de choses dans ma vie quotidienne et de façon générale ».  

Bastien : « ça ne change pas grand-chose non plus. Je ne reprends le travail qu’en juin ».

Chez Douglas : « Toujours en télétravail pour le moment et il sera question du retour sur site un peu plus tard. Bon courage à ceux qui ont repris le travail ».

Et pour Jean : « Je suis actuellement sans activité et bientôt retraité… Je n’en ai pas tiré de bénéfices mais je n’en ai pas souffert ».

Parfois, cela a amené quelques inquiétudes : « Demain, je ne sais pas si je travaille et je n’ai pas la réponse du directeur de l’ESAT » explique José. Pour Yvan aussi, ce déconfinement apporte bien des interrogations : « Je n’ai pas encore les dates pour mon retour au lycée. Mais je dois m’attendre PSYCHOLOGIQUEMENT (en majuscules dans son écrit) à ce que je reprenne les cours. » 

Pour ce même Yvan, la reprise des cours s’est en fait bien déroulée : « J’ai eu ma rentrée hier à l’école Boule et je suis très content d’y être retourné et d’y retourner encore vendredi. Hier, durant toute la journée, j’ai fait de la garniture et j’ai papoté avec mes camarades et un de mes deux profs de tapisseries sur le racisme au États-Unis et en France. À l’heure du déjeuner, j’ai été accompagner mes potes manger au Grec et moi je ne me suis pas acheté un Kebab mais je me suis fait un sandwich. Là-bas, j’ai vu une de mes anciennes potes du collège, je suis passé lui faire un coucou et elle m’a directement reconnu. Puis retour en atelier pour la garniture traditionnelle et je me suis endormi pendant 10 minutes sans que mes profs ne s’en aperçoivent…

…Je n’ai aucun devoir à faire pour cette semaine. Du coup, je suis tranquille car je peux continuer de regarder mon documentaire sur la Guerre des Sécession (1861-1865). J’écoute en ce moment les différentes musiques qui ont été écrites et chantées à ce moment-là comme par exemple « Dixies » de la Confédération (les Sudistes) qui est assez sympa et joyeuse à écouter ».

Cette crise sanitaire les touche comme tout un chacun, c’est évident. Leur vulnérabilité quasi invisible ne nous permet pas toujours de réaliser leur désarroi. La question se pose : Faudrait-il mettre en place « une veille » sans attendre un signal de détresse si un nouvel événement de ce type venait encore une fois bouleverser le monde ?

Certains lieux s’y emploient. Les services médico-sociaux qui interviennent à domicile pourraient en parler, même s’il en a peu été fait état pendant toute cette période… C’est une période très dure, autant pour les personnes autistes que pour leur famille confinée avec eux.

Les conséquences de cette COVID19 ont amené cette réflexion préventive de la part d’Anaïs : « Il va falloir penser à transposer les aides liées à l’accompagnement dans l’emploi au domicile lorsque ce dernier devient le lieu de travail ; le télétravail, ça s’accompagne… ». Ce qui est tout à fait pertinent et qui sera effectivement à mettre en place si cette crise perdure ou revient et que le télétravail s’installe de plus en plus dans les entreprises.

Ces quelques réflexions, j’insiste encore, m’ont été rapportées par une vingtaine de personnes autistes. Elles ne sont en rien le reflet de ce qui a été vécu par l’ensemble de la population autiste. Elles soulignent cependant que ce changement radical de vie imposé par la COVID, a été exacerbé avec leurs propres difficultés. Des difficultés qui aujourd’hui encore ne sont toujours pas bien perçues par l’ensemble de la population.

Et, au moment de rendre ce texte, un nouveau confinement est mis en place…