L’un des principaux points de désaccord qui opposent le christianisme au judaïsme réside justement dans le fait que le christianisme assigne à tout homme pour but suprême le salut de son âme propre. Aux yeux du Judaïsme, chaque âme humaine est un élément servant dans la création de Dieu qui est appelée à devenir, par l’action de l’homme, le royaume de Dieu; ainsi il n’est fixé à aucune âme de but à l’intérieur d’elle même, dans son propre salut. Chacune doit, il est vrai, se connaitre, se purifier, s’accomplir, mais pas pour son propre compte, pas pour le bénéfice de son bonheur terrestre ni pour celui de sa béatitude céleste, mais pour le bénéfice du travail par lequel elle a mission d’influer sur le monde de Dieu. Il convient de s’oublier et de songer au monde. » ( 1947)
Réflexions sur « l’identité » juive
Avec mon amie Jacqueline Feldman, nous avons souhaité entamer une modeste critique de la notion d’identité juive et plus largement de la notion d’identité tout court.
Pour étayer les fondements de cette réflexion, dans un premier temps, nous aurons recours à des citations d’auteurs ou d’autrices venant de tous les horizons. Nous commençons par un extrait d’un article paru dans « Le Monde » du 1er octobre 2025, de Wadji Mouhawad, auteur franco-libanais, directeur du Théatre de la Colline:
« Qu’un peuple qui durant trois mille ans, fut celui qui porta haut les valeurs de l’universalisme, de l’humanité, qui trois mille ans durant, sut s’inscrire au coeur de chaque société, s’intégrant de l’Europe de l’est à l’Afrique du nord, malgré toute la haine véhiculée contre lui, qu’un peuple qui sut offrir à l’humanité tant de cadeaux, tant d’oeuvres, tant de trésors et qui trois mille ans durant, ne participa à aucun massacre, qui eut, bien au contraire de cela, à en subir tant et tant, de pogrom en pogrom, et des plus effroyables jusqu’à la Shoah, menace absolue de l’anéantissement, que ce peuple là si unique et si singulier, s’effondre aujourd’hui vers la banalité, en devenant un peuple qui, à l’image de tous les autres, succombe, entrainé tout entier par l’entêtement d’un Premier ministre à la tentation de la vengeance.
Tragédie dans la tragédie, chaque juif qu’il soit le plus fervent humaniste ou non, assiste impuissant à l’inscription dans son histoire d’un massacre d’un peuple contre un autre peuple, effaçant par là la singularité, l’unicité de son histoire. Cela, plus que bien d’autres menaces, est ce qui peut le mener à la disparition. Qu’est-ce que cela pourra signifier d’être juif, si être juif c’est entrer dans la même histoire sanglante de tous ? Disparition par la banalité, disparition éthique. »
A part peut-être Madame Thatcher!
Depuis le début de l’agression de la Russie contre l’Ukraine en 2022 et le pogrom organisé par le Hamas et sa réplique aux allures de génocide par le gouvernement israélien, le 7 Octobre 2023, les réunions au sommet se multiplient. Il est frappant de constater que presque 100% des présents sont des …Hommes.
J’ai repensé à un article paru dans Libération en mars 2025 : « La guerre dernier refuge du patriarcat » par Mahir Guven, écrivain franco-kurdo-turc, auteur entre autres de « Grand frère », prix Goncourt du premier roman en 2017. Il dit ce que je voulais dire avec talent . Je me permets de le citer :
« Depuis que la guerre est de retour sur le terrain et dans nos esprits, les hommes reprennent toute la place. Chefs d’Etat au regard dur, stratèges au verbe sec, experts en géopolitique, ce sont les visages masculins qui s’imposent….La guerre revient. Et avec elle, l’idée que les hommes sont faits pour la mener. La posture, le menton ferme, le verbe grave, la menace en étendard, la guerre redevient le théatre où la masculinité se sent chez elle. La guerre réactive un vieux réflexe « viril » et encourage une moitié de l’humanité à reprendre ce qu’elle imagine être son rôle historique: protéger, décider, frapper, tuer si nécessaire. Elle permet de restaurer les codes du patriarcat… La guerre restaure une verticalité, une hiérarchie, une autorité, ravive les codes du commandement: elle fabrique de la gravité. Comme si la paix avait désorienté un certain ordre- et que le chaos lui offrait une revanche. Comme si la guerre était un horizon permettant de retrouver un pouvoir qui se pense muselé par le féminisme . »
Un monde dominé par les femmes ne serait pas nécessairement pacifique. Mais la vision de ces cohortes d’hommes dans les réunions internationales, pose question.
Je ne suis pas spécialiste des écrits féministes sur la question.
Je voulais juste faire état de mes interrogations sur les avancées évidentes du féminisme dans la vie quotidienne et sa stagnation dans l’analyse des conflits politico-militaires qui ensanglantent notre monde.
A propos du conflit Israêlo-Palestinien :Extraits du remarquable livre de Colum MCcann : Apeirogon (10/18, 2020)
C’est l’histoire d’un Israélien et d’un Palestinien qui perdent chacun un enfant, l’un dans un attentat, l’autre à un Checkpoint en Cisjordanie. Ils commenceront à faire leur deuil quand ils se parleront dans un groupe de parents ayant perdu un enfant dans cette guerre qui n’en finit pas.
« Il y a longtemps, j’ai tué des gens à la guerre…Et la vérité, l’horrible vérité, c’est que les Arabes n’étaient que des objets pour moi, lointains, abstraits, insignifiants. a mes yeux, ils n’avaient rien de réel…ils n’étaient même pas visibles…Les Palestiniens à Jérusalem, eh bien, ils tondaient des pelouses, ils ramassaient les ordures, ils construisaient les maisons, ils débarrassaient les tables. Comme tout Israélien, je savais qu’ils étaient là et je faisais semblant de les connaitre ….Et je ne l’aurais jamais admis, pas même à moi, mais ils auraient tout aussi bien pu être des tondeuses, des lave-vaisselle, des taxis. Ils étaient là pour réparer nos frigos le samedi. Et s’ils étaient autre chose que des objets, c’étaient des objets qu’il fallait craindre, car si vous ne les craigniez pas, ils deviendraient de véritables personnes. Et nous ne voulions pas qu’ils soient de véritables personnes. Un vrai Palestinien était quelqu’un qui vivait sur la face obscure de la lune. Telle est ma honte. Aujourd’hui je le sais. A l’époque, je ne le savais pas. Je ne cherche pas d’excuse. »
« ….On ne guérit jamais. Mais que faire d’autre au bout du compte qu’espérer ? Qu’allons nous faire d’autre ? Partir, nous suicider, nous entretuer? C’est déja arrivé et ça n’a pas été concluant. Je sais que ça ne s’arrêteras pas tant que nous ne discuterons pas ensemble. Me retrouver avec d’autres gens m’a sauvé la vie. On ne peut pas imaginer le mal qu’on fait en ne nous écoutant pas les uns les autres….On a construit notre mur, mais en vérité le mur est dans nos têtes . »
« … Certaines personnes ont tout intérêt à maintenir le silence. D’autres ont tout intérêt à répandre la haine fondée sur la peur. La peur fait vendre, et elle fait des lois et elle construit des colonies. Et soyons honnêtes, en Israêl, on est très doués pour la peur, elle nous occupe. Nos hommes politiques aiment nous faire peur…Mais il ne s’agit pas de çà, il s’agit d’occuper la terre de quelqu’un d’autre. Il s’agit de controle donc de pouvoir. »
Que peut-on dire de plus ?
Le courage des vieux et des vieilles
Mon amie Jacqueline Feldman a attiré mon attention sur le courage des vieux.
Je n’y avais jamais pensé avant. Mais tout à coup j’ai pris conscience de l’importance de ce trait de caractère dans ma vie de vieille dame.
Energie, bravoure, force d’âme, héroîsme, vaillance, volonté et parfois une forme d’audace , tous ces synonymes sont d’indispensables accompagnateurs de cette période de la vie.
Sans doute certains vieux ne connaissent-ils pas la peur et son corollaire, le courage. Tant mieux pour eux. Ce sont en général ceux qui ne sont pas seuls et sur qui veille un être dévoué.
Le courage est le corollaire de la peur : peur de tomber, peur de descendre des marches sans se tenir, peur d’avoir un malaise, peur de ne pas trouver l’appui qui vous permettra d’atteindre sans encombres la porte du métro ou de l’autobus, peur de ne pas parvenir en haut d’un escalier, peur des locaux sombres… A toutes ces peurs plus ou moins vaincues chaque jour, s’ajoutent les appréhensions, celle de faire face à la condescendance, à la pitié ou à l’invisibilité et parfois à la haine plus ou moins masquée.
Il en faut du courage pour se lever de ce merveilleux endroit qu’est le lit, pour trouver une tenue qui ne soit ni ridicule, ni trop triste, pour prendre cet ascenseur qui est en panne une fois sur deux, pour tirer l’énorme porte cochère, pour faire semblant de marcher normalement malgrè la raideur de vos jambes, pour parcourir les 500 mètres qui vous séparent du supermarché et en ressortir avec un sac trop lourd.
Il faut du courage pour demander de l’aide quand vraiment, on n’en peut plus ou que la peur de conduire vous tombe dessus un jour sans prévenir, ou que la maladie vous impose l’immobilité. Affronter les aidants nécessite de la fermeté, alors même que l’on a toujours détesté demander de l’aide à qui que ce soit.
On pourrait multiplier les exemples. Alors oui, on peut avoir la tentation du suicide pour débarrasser le plancher et pour cesser d’avoir peur. Mais surtout il ne faut pas en parler . C’est tabou : attendez vous aux réponses convenues : « Mais tu es en pleine forme! » ou encore : »Arrête de parler de la vieillesse et de la mort, quelle noirceur, pense à la beauté de la nature! ». Alors là il faut avoir le courage de ne pas frapper votre interlocuteur(trice), de garder son calme, de parler d’autre chose et de hair en secret tous ces gens qui manquent de courage et refusent d’envisager ce qui va pourtant leur arriver si ce n’est déjà fait.
Les gens de « confession » juive et Israël
Les médias parlant des juifs utilisent souvent ce terme : »de confession » juive .
Depuis le temps que les Juifs existent avec son corollaire , l’antisémitisme, on pourrait attendre de gens cultivés une amorce de compréhension de la judéité : On peut être juif sans être de confession juive, sans être croyant, en étant athée. Tant de gens ont écrit sur ce sujet : Qu’est-ce qu’être Juif ? sans arriver à une réponse universelle.
Je ne parle que pour moi : je suis juive parce que je suis née dans une famille juive nommée Cohen en 1940. Je ne crois pas en Dieu, je suis inculte en « juiverie ». Mais quand on a vécu la deuxième guerre mondiale plus l’antisémitisme raconté par mon père qui l’ incitera à changer de nom 15 ans après la fin de la guerre, lassé des courriers antisémites, plus l’antisémitisme à l’école ++++, on ne peut que rester juif même si on ne sait pas trop ce que ça veut dire. « Tant qu’il y aura des antisémites, je dirai que je suis juif » comme le proclame Guillaume Erner dans son livre « Judéobsessions ».
La juive à éclipses que je suis est française et n’a rien à voir avec Israël…sauf que ce n’est pas tout à fait vrai. Quelque part au fond de moi il y a l’idée d’Israël comme refuge au cas ou « ça recommencerait ». Rationnellement, je n’ai jamais eu envie de vivre dans ce pays et je déteste les communautés. Nous avons tous (je l’espère) des contradictions.
En prenant connaissance jour après jour des massacres à Gaza, je vitupère contre Bibi et sa bande de gangsters. Quelques pétitions plus tard, une curieuse idée a germé en moi : et si l’antisémitisme était fondé entre autres sur la prétendue lâcheté des juifs (pour certains antisémites) ? Et si l’utilisation massive de la force par le gouvernement d’extrême droite israélien montrait aux antisémites un autre visage du juif ? Et si cet autre visage conduisait les antisémites … à une forme de respect ? Pour l’universaliste pacifiste et respectueuse du droit des peuples à disposer d’eux mêmes que je crois être, cette hypothèse parait absurde. Mais l’est-elle vraiment ?
Parfois je me réveille le matin et je me dis : il faut agir contre les massacres à Gaza. Je m’imagine faisant la grève de la faim ou réunissant des milliers de juifs dans une manifestation monstre pour dénoncer la guerre à Gaza et en Cisjordanie et hurler que tous les juifs ne sont pas des assassins! Pas facile pour tous ceux qui refusent de s’identifier à Israël ou qui ont d’autres choses à faire.
Moshe et Myriam se rencontrent : Moshe demande à Myriam : « ça t’arrive d’être heureuse ? » « Oui » répond Myriam. « Qu’est ce que tu fais dans ces cas là ? » « J’attends que ça passe «
« La vieillesse est une saloperie »
L’éminent philosophe Luc Ferry s’exprimait ainsi lors d’un entretien sur LCI à propos de son dernier ouvrage sur l’intelligence artificielle et le Transhumanisme.
« Le Transhumanisme est une idéologie et un mouvement prônant l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer radicalement la condition humaine par l’augmentation des capacités physiques et mentales du corps humain et la suppression du vieillissement et de la mort. » (Wikipedia)
Non pas que Luc Ferry soit lui même transhumaniste mais bon …la vieillesse étant une saloperie, si on peut la supprimer, ce serait sympa.
Par hasard je suis tombée il y a quelques jours sur une émission sur France Inter appelée Zoom Zoom Zen.
Le sujet était : la gérontocratie. Je résume : Les vieux ou plutôt les boomers ont le pouvoir. Selon Hakim el Karaoui auteur d’un livre intitulé : La lutte des âges, la gérontocratie aurait commencé en 2019 (?) .En résumé, Il faudrait choyer les vieux parce qu’ils votent « bien « . Les retraités seraient au coeur du système politique. Il faudrait les préserver, ne pas baisser les pensions apparemment exorbitantes des vieux. De même que le confinement de 2020 avait enfermé les pauvres jeunes uniquement pour protéger les vieux, le système politico économique favoriserait les vieux qui refusent de redonner aux plus jeunes le trop perçu par eux…etc Bref, il s’agit d’une solidarité à sens unique pour des gens qui votent en fonction de leurs intérêts qui sont les mêmes que ceux du capitalisme triomphant.
Je comprends mieux pourquoi tant de gens sont opposés au suicide assisté ou à l’euthanasie : Ils détestent tellement les vieux qu’ils craignent de prendre des positions publiques qui rejoindraient leur désir profond et « immoral » de voir disparaitre ces êtres moches et réactionnaires du paysage social.
Cela s’appelle de l’âgisme (ou de la vieillophophobie, une autre forme de racisme. Comme toutes les formes de racisme, cette analyse utilise les catégorisations : LES VIEUX , comme LES juifs ou LES Arabes sont identiques, il n’y a pas de différence entre eux puisqu’ils ont des intérêts communs.
La vieillesse n’est pas merveilleuse mais elle EST pour de longues années encore.Certains de ces boomers tant détestés ont fait de la résistance (pas tous), ont lutté contre les guerres coloniales, se sont battus pour la libération des femmes etc.. C’est déjà pas terrible d’avoir mal partout mais si en plus on doit être méprisé ou exclu , ça devient carrément l’enfer.
Un seul message pour tous ces gens qui ont besoin de bouc émissaires : si vous haissez les vieux, assumez et battez vous avec nous pour une fin de vie digne qui nous permette de ne pas trop salir votre petit paradis !
Un poème de Mireille Cukier-Jakubowicz
Mireille est passionnée par la littérature depuis toujours. Elle écrit, édite ses poèmes. Elle a publié un recueil : « Un olivier au bout du chemin », dans lequel elle dit ses déchirements face au conflit israélo-palestinien. Ce recueil a été publié en 2014 mais est malheureusement d’une actualité brulante.Chaque poème est traduit en hébreu et en arabe et chaque poème est un cri pour la paix, un appel au dialogue.
Prière
Qu’elle s’appelle Israël
Palestine ou Canaan
Mais qu’elle soit la terre de tous
Que son nom soit Jerusalem
Yeruhalaïm ou Al qods
Mais qu’elle soit la ville de tous
Que le soleil brille sur ses églises
Ses synagogues, ses mosquées
Que ses pierres retrouvent la mémoire
De ceux qu’elles y virent jadis
Que tous ceux qui veulent y vivre
Trouvent abri entre ses murs
Que ses enfants jouent ensemble
Dans ses jardins parfumés
Que s’éteignent les cris de haine
Et naissent les chants d’espoir
Qu’elle s’appelle Israël
Palestine ou Canaan
Qu’elle soit simplement une terre de lumière
C’est là ma seule, mon unique prière
Israël, Gaza, Liban…Etats d’âme d’une vieille juive
J’ai reçu hier le texte d’une pétition demandant la rupture des accords entre l’UE et Israël. Elle émanait d’un groupe de juifs pour la paix. Jusqu’à présent j’avais signé ces pétitions.
Mais celle-ci, je ne peux pas la signer. La juive en moi bloque ma profonde haine de la guerre, des injustices, des discriminations, des massacres.
Depuis l’explosion des bippers, une sorte de fierté d’appartenance s’est emparée de mon esprit.
L’assassinat de Nasrallah, malgré les centaines de victimes civiles collatérales, n’a fait que renforcer cette étrange fierté.
Et cette fierté, je la rationalise : les Israéliens sont intervenus au Liban pour permettre aux Israéliens chassés du nord d’Israël par les missiles du Hezbollah de rentrer chez eux. L’intervention à Gaza est la réponse, certes disproportionnée, à l’horrible pogrom du 7 octobre. Tout cela n’est pas faux mais rien ne justifie de tels massacres.
Je sais que le gouvernement de Netanyahou est d’extrême droite et que son but est de faire oublier ses dérives et de faire de la Palestine dans son entier un Etat juif, au risque de massacrer des milliers de civils.
Je condamne cette politique. Je la hais. Je sais que cette guerre était évitable si les gouvernements successifs israéliens et palestiniens avaient opté pour une négociation aboutissant à la création de deux Etats et si les organisations internationales mises en place après la deuxième guerre mondiale avaient encore un pouvoir d’arbitrage opérationnel et juste.
Et pourtant, au fond de moi la blessure de la guerre de 40 (date de ma naissance), celle de l’antisémitisme sont si douloureuses, si contraires à mon universalisme, que je ne peux pas m’empêcher de penser que la réaction israélienne est la seule possible si l’Etat d’israël veut survivre à la haine qu’il suscite dans la région.
En écrivant cela, je sais que je peux susciter la haine en retour (dans l’éventualité où des gens lisent ce blog!). Et c’est justement cela qui me désespère.
« Un homme ça s’empêche » disait l’instituteur de Camus. Comment arrêter ce cercle vicieux qui ne résout rien, communautés contre communautés, vengeances sans fin …. Comment continuer à vouloir la paix dans un contexte de violence et de haine, comment guérir nos blessures intimes et parvenir à pacifier et à rationaliser nos émotions?
Le vertige Me Too et le courage de la nuance
« Et je serais tenté de vous dire que nous luttons justement pour des nuances, mais des nuances qui ont l’importance de l’homme même. Nous luttons pour cette nuance qui sépare le sacrifice de la mystique, l’énergie de la violence, la force de la cruauté, pour cette plus faible nuance encore qui sépare le faux du vrai et l’homme que nous espérons des dieux lâches que vous révérez. »
Lettres à un ami allemand,1943
Albert Camus
Cette phrase de Camus m’obsède depuis plus de 60 ans. Elle m’a empêché de participer pleinement à certains groupes militants, agrippés à leurs certitudes.Et maintenant, après la chute de l’URSS et bien d’autres dérives, elle me conforte dans mes contradictions. Dubito ergo sum.
Caroline Fourest, militante féministe de la première heure, autrice de : »Le vertige Me Too » a eu le courage d’introduire des nuances dans la mise en oeuvre de ce slogan.
Après avoir rappelé les détails des différentes affaires de viols ou de harcèlements sexuels qui ont été médiatisés depuis ce XX1 sème siècle, à juste titre, elle s’attache dans une deuxième partie, à mettre en lumière les cas douteux, où la surmédiatisation risque de bouleverser la vie d’innocents.
« Avant Me Too, les victimes d’agressions tremblaient de peur. Rares étaient les fausses dénonciations. Depuis que la peur a changé de camp, dénoncer une agression sexuelle est mieux accepté voire héroïsé. Dans les milieux les plus éveillés, la parole des victimes étant sacrée, il devient même impossible d’en douter ou d’invoquer la présomption d’innocence sans passer pour un traitre. » (page 189)
Quand Caroline Fourest émet des doutes sur un cas, elle le décrit dans les détails. A aucun moment, elle ne remet en cause la nécessité de dénoncer des agissements criminels.
Elle pose cette question fondamentale : « L’un des apports incontestables de Me Too est de cesser de mettre en doute, de façon systématique, la parole des victimes. Tout le monde, sauf les violeurs, s’en félicite. Il faut effectivement écouter toute personne se disant victime d’une agression. Mais faut-il pour autant croire sur parole toute accusation? Cela reviendrait à basculer dans une justice alternative, expéditive et arbitraire, qui n’a rien de juste. »(page 198)
Dans sa conclusion, elle fait plusieurs propositions : remplacer « je te crois » par « je t’écoute », » ne pas mélanger l’offense et la violence sexuelle, la proposition (même maladroite) et l’agression », « ne plus confondre le féminisme avec le victimisme »…
Il ne s’agit pas ici de faire une critique complète du livre mais d’attirer l’attention sur l’importance des nuances et des contradictions dans toute analyse d’un fait de société. Depuis la parution du livre j’ai entendu beaucoup de critiques plus ou moins claires à son encontre. Caroline Fourest a beaucoup de clairvoyance et de courage. Nos sociétés à parole unique iraient mieux si elles suivaient son exemple;
Que l’on me permette de citer ici Jean Birnbaum dans un texte sur Camus : « Comment concilier indignation et lucidité ?Un révolté peut-il donner libre cours à son « gout pour la justice » et en même temps « tenir les yeux ouverts »…
« Contre les rentiers de la révolution, qui moquent en lui un démocrate mou, « bourgeois naïf » (Sartre), Camus tient bon. Qui reconnait ses erreurs n’est pas un tiède mais un homme d’honneur. Qui affronte ses contradictions intimes ne mérite pas le nom de lâche. Il y a un courage des limites, une radicalité de la mesure«
« Quand la sottise infecte les discours, quand les certitudes étouffent toute parole libre, tenir sa langue est le meilleur des gestes barrières…Sept décennies plus tard et alors que prolifèrent à nouveau les épurateurs de tous poils, la voix de Camus résonne pour nous le rappeler : dans le brouhaha des évidences, il n’y a pas plus radical que la nuance. »
Caroline Fourest en héritière de Camus? Quel plus beau compliment puis-je lui faire ?