Le 15 Mars 2013 l’article de la Loi Peillon remplaçant l’instruction civique par un enseignement moral et civique a été voté.
Nous avions été quelques uns à la fin des années 90 (Didier Peyrat, Nathalie Heinich, etc…) à demander que l’enseignement du droit ne soit pas réservé aux juristes.Nous pensions que les élèves devaient connaitre les grandes lignes du droit positif afin de pouvoir exercer leur citoyenneté.
Après avoir retracé brièvement l’histoire de l’instruction civique ou/et morale à l’école, je ferais une courte présentation des différences entre la morale et le droit. Dans ce débat récurrent depuis plus d’un siècle, c’est l’enseignement de la morale qui semble emporter les suffrages des décideurs. Je dirais pourquoi je pense que l’enseignement de quelques fondements du droit serait préférable à des considérations morales nécessairement vagues et non sanctionnables. Enfin à propos de la sanction, je dirais quelques mots sur la récente résolution de l’ONU qui inscrit à son programme l’interdiction des violences contre les femmes.Ce type de résolution, pour importante qu’elle soit au niveau des principes, n’organise pas son application. Quelle est l’utilité d’un droit sans sanction ?
Un peu d’histoire :
L’enseignement de la Morale à l’école a été créé en 1882 sous la Troisième République.
En 1968, cet enseignement est supprimé.
En 1985, J.P. Chevènement inscrit l’éducation civique au programme de l’école primaire.
En 1995, Claude Allègre et Ségolène Royal créent un programme d’éducation civique, juridique et sociale pour les lycéens.
En 2008, Xavier Darcos instaure l’instruction civique et morale dans le primaire
En 2011, Luc Chatel annonce le retour des leçons de morale à l’école primaire.
On espère qu’un bilan sérieux de ces différentes expériences pédagogiques a été fait. Ce serait intéressant s’il existe qu’il soit publié.
Morale et Droit
Qu’est ce que la morale ? (du latin mores, moeurs): C’est la science du bien et du mal, du juste et de l’injuste. l’action humaine conforme à la morale aurait pour but le bien. A ce propos, on parle souvent de la nécessaire évolution des « mentalités » indispensable à l’acceptation de nouvelles lois qui s’écartent de la morale commune (Par exemple, le mariage pour tous). Les mentalités comme la morale ne se décrètent pas.
Monsieur Peillon, Ministre de l’Education nationale précise à propos de sa loi : »Grâce à cet enseignement l’école fait acquérir aux élèves le respect de la personne, de ses origines et de ses différences, de l’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que de la laïcité. »
Ainsi par exemple, les jeunes adolescents férus de morale républicaine et égalitaire s’écarteront-ils avec horreur de la « tournante » qu’ils avaient quelques heures avant pensé infliger à l’une de leurs copines. Permettez-moi d’en douter sans être accusée de pessimisme.
C’est Jean Carbonnier qui dans sa belle introduction au Droit Civil (PUF) a le mieux exprimé la différence entre le droit et la morale : » Le Droit a pour but le maintien de l’Ordre social, la morale, le perfectionnement intérieur de l’Homme. Le droit a une liste de devoirs envers le prochain plus courte que la morale. Tandis que la Morale impose toute la justice et de surcroît la charité. Dans l’appréciation du mérite des actions, le droit s’en tient en principe aux attitudes extérieures; la morale prétend pénétrer les coeurs (…) Le droit est hétéronome (nul ne peut y être juge et partie), alors que la morale est autonome (Chacun y est son premier et propre juge) ». On peut ajouter que la morale est subjective, variable d’une personne à l’autre, d’une culture à l’autre…
Il faut enseigner à l’école quelques grandes règles de droit
Le droit est un ensemble de règles qui permet la vie en société, le vivre ensemble, en dépit de nos différences. Le droit positif se sépare du droit naturel par la sanction en cas de non application de la loi.
Il ne s’agit pas d’ajouter un cours de droit à des programmes déjà surchargés, mais en quelques heures d’introduction au droit, d’expliquer aux élèves quelques grands thèmes du droit positif : la responsabilité (« Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »), l’obligation de respecter les contrats (« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. »), le respect de la vie privée, la force contraignante de la loi, l’égalité devant la loi…
La vie en société nécessite des règles de droit identiques pour tous afin que les êtres humains vivent ensemble sur un territoire donné sans s’entretuer.
Pour cet enseignement, il n’est pas nécessaire de se livrer à un bourrage de cranes. Tous les jeunes savent que les jeux collectifs nécessitent des règles. Penalties, cartons rouges , jaunes, exclusion temporaire rythment les matchs de football ou de rugby. Ce dernier très violent, répond à des règles d’une extrême complexité afin que le jeu ne dégénère pas.
Il s’agit de donner aux élèves les outils généraux qui permettent la mise en application d’une règle (morale?) fondamentale : »Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse. »
Quel avenir pour les règles sans sanction?
Le droit international des droits de l’Homme donne une image de ce qu’est une liste impressionnante de droits qu’aucune sanction ou presque n’est en mesure de sanctionner.Certes, les choses évoluent : la création de tribunaux pénaux internationaux, de la Cour pénale internationale ont permis enfin de sanctionner des crimes de guerre notamment en ex-Yougoslavie. C’est un début.
L’ONU vient d’adopter le 15 Mars 2013 une Résolution qui : »demande aux Etats de condamner avec force toutes formes de violences contre les femmes et les filles et de s’abstenir d’invoquer toute coutume, tradition ou considération religieuse pour se soustraire à leur obligation de mettre fin à cette violence. »
Cette résolution est un premier pas important. Mais qui assurera l’application de cette résolution ? S’il faut attendre le changement des mentalités, bien sûr fondamental, ce sera long. Seules des sanctions sévères dans les Etats concernés pourront permettre d’avancer.
Pour conclure provisoirement
On assiste à une perte de repères communs chez certains jeunes.La montée du communautarisme ou de l’ethnicité d’un côté et de l’individualisme de l’autre en sont l’une des causes. L’entre-soi renvoie aux valeurs de SON groupe (parfois sauvages) et non aux valeurs communes de l’Humanité que sont la liberté, l’égalité, la sûreté. L’effacement du projet collectif au profit de projets individuels ou claniques, bénéficie aux plus forts contrairement aux règles de droit.
Le droit est parfois rejeté en bloc comme un instrument de coercition. C’est justement en s’appropriant le droit, en faisant sa connaissance, que les citoyens pourront devenir acteurs d’un processus d’élaboration, de vérification de son application mais aussi de critique voire dans des cas rares de désobéissance à des lois injustes.Et cet apprentissage doit commencer à l’école.