Les immigrés sont devenus pour certains une catégorie en soi. Ce ne sont plus des personnes avec leur histoire, leur personnalité. C’est une masse compacte de gens qui par leur (in)culture (sous-entendue la même pour tous), risquent de porter atteinte à nos valeurs et à nos institutions.
Si on regarde ces hommes et ces femmes de près, si on écoute leurs récits singuliers, si on voit non pas LES immigrés mais des immigrés, si on travaille avec eux dans l’empathie, il est impossible de s’en tenir à des idées générales sur la crise, le chômage et la concurrence, qui ne sont pas seulement l’apanage de l’extrême droite.
Voici des cas de personnes reçues à la CIMADE depuis le début de cette année. Que feriez-vous si vous étiez préfet, ministre de l’intérieur ou guichetier face à leurs situations ?
Il y a Mr M, orphelin, parti d’un pays du Maghreb à l’âge de huit ans avec son frère aîné. Il séjourne en Italie, y vit on ne sait comment, perd son frère, arrive en France à l’adolescence, passe entre les mailles du filet de l’Aide sociale à l’enfance, devient un délinquant, passe plusieurs années en prison, en ressort enfin sans nationalité, demande à l’OFPRA le statut d’apatride, ne l’obtient pas-sachant qu’aucun pays du Maghreb ne lui reconnait sa nationalité, essaye de se réadapter, y parvient en partie grâce à une jeune française. Il est analphabète mais pétillant d’intelligence, il était cuisinier en prison et veut apprendre le métier. Il a maintenant 35 ans et continue à galérer.
Il y a Melle B., venue d’un pays d’Afrique, auteure d’un livre sur l’immigration qui montre un talent prometteur. Elle vit dans une solitude immense en France depuis 3 ans, travaille 12 h par jour dans un restaurant, tente malgré sa fatigue et son désespoir d’écrire un deuxième livre, est promise à un mariage arrangé si elle rentre dans son pays. Elle ne correspond à aucun critère de régularisation.
Il y a Mr et Mme T, venus des Philippines, cultivés, ayant fait des études supérieures, mais qui sont prêts à tous les sacrifices pour éviter à leur fils unique, brillant élève en France, parlant parfaitement le français, le retour dans un pays trop pauvre pour lui garantir un avenir. Mr T. travaille pour quatre employeurs privés différents comme aide à domicile pour de vieilles personnes. Il n’a pas de papiers mais les enfants de ses employeurs lui dressent des couronnes. Cela fait sept ans qu’ils rament, tentent d’obtenir un rendez-vous.
Il y a Melle S.24 ans, arrivée d’Afrique avec un passeur pour la somme de 3000 euros, qui a été excisée et qui s’est enfuie pour échapper à l’enfermement d’un mariage forcé.
Il y a Mme N. venue d’iran, qui a fui son pays avec sa fille pour échapper à la violence d’un mari, hiérarque du régime.
Il y a Mme F., venue d’un petit pays d’Amérique latine, âgée de 65 ans,fragile, qui survit grâce à des ménages et raconte une vie solitaire dans son pays, alors que son unique enfant vit en France.
Je pourrais continuer longtemps cette énumération.Il s’agit d’environ 1% des personnes reçues depuis trois mois. Ces hommes et ces femmes racontent leur histoire tour à tour violente ou misérable, avec pudeur, même si les femmes ont du mal à ne pas pleurer. La plupart de ces cas n’entrent dans aucune catégorie juridique précise du CESEDA (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) ou des Circulaires publiées depuis 2012.
Ils sont comme vous et moi. ils n’ont qu’une vie et ils tentent de la vivre le moins mal possible.
Alors, certes, la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais elle peut y contribuer en prenant en compte, dès l’arrivée aux guichets des préfectures, ces drames individuels, avec l’humanité qui convient.