Régine : En quoi l’analyse des modes de production dans les différentes sociétés historiques aide-t-elle à comprendre l’évolution et le fonctionnement des sociétés humaines ? Par exemple, est-ce que le Mode de production asiatique nous aide à comprendre la Chine d’aujourd’hui ?
Guy : Prenons l’exemple d’une maison : Je la regarde, je la vois dans son ensemble. Si je commence par le toit, j’ ai une vision idéale, idéologique de la réalité. Soyons des architectes, commençons par les fondations, c’est à dire les modes de production.
Avant d’avoir des idées, il faut exister matériellement.
Les processus historiques sont complexes. Tous les niveaux jouent les uns sur les autres.
On va donc construire la maison dans son ensemble. Pour tous les détails de la construction, il faut de la production matérielle.
Cette base matérielle, c’est le Mode de production. Les plus belles idées ne servent à rien sans cette connaissance.
Le Mode de production a plusieurs sens : Il y a des modes de production au sens commun, par exemple une entreprise.
Est-ce que tous ces modes de production se réunissent pour former un Mode de production général ? L’histoire nous apprend que oui L’Humanité est passée par des Modes de production divers : des chasseurs-cueilleurs au capitalisme.
En ce qui concerne la Chine, c’est une immense histoire. Dès le Ier millénaire avant le Christ, on voit un Etat fort, prélevant le tribut sur une masse de paysans. C’est le mode de production asiatique. Depuis quelques décennies il s’est produit une formidable révolution : La Chine est devenue un pays outrageusement capitaliste. Seul l’argent compte. La vieille Chine ne va pas mourir mais se transformer. Mais, bouleversée sur le plan matériel, elle va conserver ses racines spirituelles, taoistes, confucianistes, bouddhistes. Le soubassement matériel est un élément parmi d’autres même s’il est fondamental.
Régine: Les combats des hommes et des femmes pour plus de justice peuvent-ils conduire durablement à des modifications des conséquences négatives de tel ou tel mode de production ?
Guy : Non, généralement.
La Chine, par exemple, a connu des révoltes populaires, dont la dernière et plus importante fut la révolution maoïste. Elles n’ont semble-t-il pas affecté en profondeur le modèle chinois avant cette dernière. On assistait plutôt à une reconduction du système. Mais cette stabilité structurelle allait de pair avec des bouleversements techniques.
L’Historien ne connait pas l’avenir . Serons-nous en mesure de changer les défauts du capitalisme, c’est à dire l’accumulation des richesses versus un accroissement de la pauvreté ?
Nous pouvons l’espérer mais nous ne le savons pas
Les sociétés occidentales ont elles aussi connu des révolutions qui nous ont débarrassé du système féodal. Il a été remplacé par un système démocratique formel, dont les côtés positifs, la liberté d’expression ou les avantages sociaux, ne sont pas négligeables
Faute de sortir du système, on peut l’aménager pour améliorer la situation des plus démunis.
Régine : Qu’est-ce que pourrait être un mode de production socialiste ?
Guy : Nous ne savons pas.
Il ne faut pas confondre socialisme et étatisme.
On peut rêver d’une société très libre, harmonieuse où les êtres humains seraient réconciliés entre eux et avec eux-mêmes.
;Régine : Peut-on tirer des leçons de l’Histoire ? Si oui, lesquelles ?
Guy : Pour cela, il faut réfléchir sur l’Histoire. Il faut s’interroger par exemple sur ce qui a permis les révolutions bourgeoises qui ont très sensiblement amélioré les choses, notamment au niveau de la liberté d’expression.
La raison a du mal à se frayer un chemin.
Régine : Y-a-t-il des sociétés historiques tolérantes, où l’on accepte l’Autre dans sa différence ?
Guy : La règle, c’est la haine de l’Autre. Elle peut être tamisée, modérée mais la haine est là.
Il y a peu de recherches sur ce point dans les plus vieilles sociétés historiques. Certaines ont-elles réussi à dépasser les haines ?
Ce que l’on peut dire, c’est que nous vivons dans un siècle de la tentation qui multiplie les envies et donc les haines contre celui qui possède ou n’est pas comme vous.
Cependant, il ne faut pas sombrer dans un pessimisme stérile. On peut espérer trouver des solutions.