On a beau être vieille, on a encore envie de voyager, d’aller au théatre, au musée ou plutôt il faut tout faire pour ne pas sentir l’ennui et l’amertume nous envahir. Il faut s’occuper. L’essentiel est de remplir son agenda.
Jusque là, tout va bien. Mais les choses se gâtent quand il faut par exemple réserver un voyage sur internet.Je me suis aperçue que pour dix jours au soleil, j’avais passé grosso modo deux jours à m’énerver sur mon ordinateur : je réserve un AR pour Toulon sans trop réfléchir. La nuit je me réveille, persuadée que mon code de carte visa a été récupéré par des bandits et que en plus il va me falloir me lever à 4h du matin si je veux prendre l’avion à 7h30 pour rejoindre Toulon.
Dès le lendemain matin, je joue la vieille dame éplorée auprès des agences de voyage de mon quartier : les unes m’envoient me faire voir ailleurs, les autres me disent d’aller sur leur merveilleux site internet.
Je passe environ deux heures à tenter de changer l’horaire : impossible, mes identifiants sont inconnus et je n’ai pas repéré un passage clouté.
Je suis au bord de la crise de nerf quand j’essaye un numéro de téléphone qui se balade sur l’écran.
Ouf, c’était le bon : la dame charmante me change la réservation mais il me faudra payer 20 euros de plus.
Jusque là tout va bien.
Je reçois le mel en question et m’apprête à payer.
Que nenni : j’ai beau essayer toutes sortes d’écritures pour la date de mon départ, ce foutu algorithme ne me connait pas ! et ma connaissance parfaite des passages piétons ne le rassure pas.
Au bout de deux heures de cette passionnante aventure, je prends ma voix de petite vieille apeurée et rappelle le numéro miraculeux;
J’énerve profondément ma nouvelle interlocutrice qui après plusieurs silences me dit d’un ton énervé qu’exceptionnellement , elle va faire le changement et le paiement à ma place.
Après, bien sûr, mon imprimante tombe en panne etc etc
La question est alors : A 81 ans, ayant eu une vie plutôt heureuse malgré des débuts déprimants dans les années 40, est-il nécessaire de s’ennuyer autant avec des objets sans âme que je ne maitriserai jamais.
Est-il nécessaire également de passer autant de temps à penser qu’il faut faire de la gymnastique et éventuellement de la faire ou de se trainer chez un rhumatologue ou un kiné qui font plus ou moins semblant de vous soigner ?
Nous n’attendons pas tous la même chose de la vie : Pour moi la vie c’était l’amour de mon compagnon, la lutte sociale et associative, la joie de découvrir des paysages nouveaux, des pays inconnus, la passion de la mer, le plaisir de découvrir de nouveaux livres…
Mon compagnon s’en est allé, la mémoire qui s’envole et la numérisation m’empêchent de faire un bon travail associatif, les voyages fatiguent avant (cf plus haut) et pendant et les violences empêchent d’aller dans certains lieux, la mer est de plus en plus froide et les vagues de plus en plus fortes (!) et les nouveaux livres ont parfois un gout de déjà lu…
Je pourrais choisir de quitter ce monde, comme tant de gens l’ont fait sans mendier une pilule magique à un Etat hypocrite et je ne le fais pas.
Je continue à survivre. Je ne suis ni triste ni déprimée. Je ne déteste pas la solitude. Les êtres humains m’ennuient et c’est parfois réciproque.
Je n’ai pas peur de la mort et pourtant j’attends. J’attends la maladie, la dépendance, qui ne manqueront pas d’arriver.
Pourquoi ?