»
Beaucoup se plaignent que les paroles des sages fussent toujours des paraboles dont on ne pouvait se servir dans la vie quotidienne, la seule que nous ayons. Quand le sage dit : « Va de l’autre côté », il ne veut pas dire qu’il faut traverser la rue pour aller de l’autre côté, ce qu’on pourrait du moins faire si ce qu’on obtenait en faisant le chemin avait quelque valeur. Mais il veut parler de quelque chose de légendaire, quelque chose que nous ne connaissons pas, que le sage lui-même ne peut pas désigner plus précisément et qui donc ne nous aide en rien. » (Parabole de Kafka citée par Nicole Krauss dans son livre Forêt obscure)
Tout à coup, j’avais trois ans : de l’arrogance au quotidien
Il y a l’arrogance du pouvoir, l’arrogance des nantis, l’arrogance des hommes et celle dont je vais parler : l’arrogance des femmes grandes gueules.
Elles sont contentes d’elles, s’affirment avec volubilité et sonorité et risquent de réduire au silence ceux ou celles qui n’ont pas eu la chance d’être une « grande gueule« .
Dans un groupe de femmes de gauche, qui se penchent sur le sort des défavorisés, j’ai été confrontée à plusieurs de ces femmes , celles qui savent se faire entendre, qui ont des voix fortes, et surtout qui ne nagent pas dans les contradictions.
Et tout à coup, à leurs côtés, j’ai eu trois ans…ou 7 ans..
J’ai été enfermée dans ma timidité, dans mon incapacité à dire ce que j’avais à dire. Muette, transpirante, les larmes aux yeux, je rétrécissais jusqu’à ne plus exister.
Hélène Cixous a dit cette phrase admirable dans une interview à un site juif( Akadem) à propos de son enfance à Oran dans les années 40, et du jardin du Cercle militaire où son père lieutenant avait eu le droit d’entrer avant le statut des juifs : » J’avais beau rentrer, j’étais pas dedans. »
C’est une expérience douloureuse, mais fréquente, pour beaucoup de gens.
Et ce qu’il y a de pire encore, c’est que les « grandes gueules » autour de vous en profitent souvent pour vous rabaisser un peu plus.
Ce petit article un peu narcissique m’a paru important pour parler des gilets jaunes, de leur sentiment d’exclusion sociale, de leur rejet de l’arrogance d’où qu’elle vienne, et elle peut venir de gens qui vous sont proches.
Pour faire la transition, voici une autre phrase méprisante de Gérard Darmanin, dans un entretien avec le JDD du 28 octobre 2018 : « Notre politique va bénéficier à ceux qui travaillent, qui font tourner le pays. »
Comment ne pas être blessé par cette phrase quand on est retraité, chomeur, employé intérimaire etc.
L’arrogance , on la trouve dans les rapports individuels, dans les entreprises,dans les associations, dans la manière d’exercer un pouvoir même minuscule. On ne peut pas l’assimiler à la lutte des classe et au capitalisme. Elle est en embuscade partout y compris chez celle qui écrit ce texte.
Pittsburgh : je sais pourquoi je me sentirai juive jusqu’au bout du chemin
Dans un article précédent, je me demandais pourquoi je me sentais juive, alors même que je n’ai pas été élevée dans la religion juive, que je ne parle pas le yidish ni le ladino…, que je ne suis pas sioniste (mais…), que je me suis battue depuis toujours pour deux Etats en Palestine…etc
Les 11 morts de Pittsburgh et la lecture d’une magnifique nouvelle de Stefan Zweig : »Le chandelier enterré » ont mis en lumière (blafarde) ma volonté de m’affirmer juive, de reprendre le nom maudit/magique- Cohen- que mon père avait souhaité changer pour nous épargner les malheurs qu’il avait subis tout au long de sa vie.
S’affirmer comme juif n’a rien à voir pour moi avec le communautarisme, que je refuse totalement.
S’affirmer comme juive, c’est être solidaire, c’est ne pas trahir tous ces êtres humains qui ont souffert depuis l’aube des temps et continuent de mourir parce qu’ils sont juifs.
Ce n’est pas seulement le regard d’autrui qui me fait juive. C’est la fidélité à un lien que je ne veux pas trahir tant que l’antisémitisme existera.
« Tout le mal du monde, ils le savaient, se transformerait inéluctablement en un mal pour eux, et ils savaient aussi depuis longtemps qu’il n’y avait pas de rébellion possible contre leur destin. »…. » Et ils savaient que cette souffrance et cette plainte liée au fait d’avoir été rejetés ensemble constituait leur seule unité sur cette terre. » (Stefan Zweig, Le chandelier enterré, Ed Payot, 2018, pages 48 et 109)
#Mort dans la dignité : Extraits d’une lettre ouverte à Agnès Buzyn, Ministre de la santé
Ces extraits sont issus du Blog de Mme Jacqueline Jencquel, membre de l’ADMD, qui a accompagné pendant dix ans des patients en Suisse ou en Belgique, pour y mourir dignement. (Blog : La vieillesse est une maladie incurable)
« Madame Buzyn, voila dix ans que j’accompagne des patients qui font appel à l’ADMD lorsqu’ils se trouvent dans des situations de détresse médicale ou psychologique. Il s’agit souvent de personnes âgées et seules qui ont besoin d’être rassurées.
Elles le sont lorsqu’elles savent qu’elles auront une porte de sortie. Pour le moment, la porte de sortie ne peut pas être en France. Est-ce juste d’obliger des personnes gravement malades et/ou très âgées de devoir s’exiler pour mourir ?
En France, il faut avoir un pronostic vital engagé à court terme pour avoir accès à la sédation profonde et continue jusqu’à la mort. Donc, il faut être mourant pour avoir le droit de mourir un peu plus vite. Quelle hypocrisie et quelle cruauté !
Madame Buzyn, vous pouvez rassurer vos amis des labos et des EHPADS, ils ne perdront pas de clients si la loi change. L’instinct de survie est très fort et très peu d’entre nous font le choix de mourir même dans les cas les plus extrêmes.
Il faut simplement que ce choix existe. Il rassure. Qui êtes-vous pour refuser ce choix à vos concitoyens ? On vous nomme ministre de la santé. C’est une responsabilité énorme qui vous incombe…
……
Réfléchissez Mme Buzyn, et parlez à des interlocuteurs qui connaissent le terrain. Quand avez-vous accompagné un patient pour la dernière fois ?
D’après les sondages plus de 80% des Français demandent que la législation change en France.
#La vieillesse : citations de « L’abattoir de verre » de J.M. Coetze
« Ce que je trouve troublant en vieillissant, dit-elle à son fils, c’est que j’entends sortir de ma bouche des mots que, jadis, j’entendais chez les personnes âgées et que je m’étais promis de ne jamais employer. Du style Où-va-le-monde-ma-bonne-dame ? …Les gens se promènent dans la rue en mangeant des pizzas tout en parlant dans leur portable – où va le monde ? »…
» Ce qui m’importe, c’est que me voici en train de faire ce que je m’étais juré d’éviter. Pourquoi ai-je succombé ? Je déplore où va le monde. Je déplore le cours de l’Histoire. De tout mon coeur, je le déplore. Cependant quand je m’écoute, j’entends ma mère déplorant la mini-jupe, la guitare électrique. Je me souviens de mon exaspération. « Oui, mère », disais-je, mais je grinçais des dents en priant pour qu’elle se taise…
« Tout ce que je fais, c’est de m’insurger et déplorer…Je me suis enfermée dans un cliché, et je ne crois plus que l’Histoire modifiera ce cliché…Le mot qui me revient de tout côté est MORNE….Je suis celle qui aimait rire et ne rit plus. je suis celle qui pleure. »
C’est un tout petit extrait d’un beau roman qui parle magnifiquement bien de la vieillesse.
Migrants : quelques cas… de conscience
Il est arrivé en France il y a plus de 35 ans, en provenance de l’Afrique sub-saharienne.
Une fois en France, il a acheté sa carte de séjour à un ressortissant du même pays.
Il a travaillé pendant trente ans avec ces faux papiers
Agé maintenant de 68 ans, il a fait valoir ses droits à la retraite
Il a touché sa retraite…Jusqu’à ce que la Caisse de retraite procède à sa radiation et lui demande de rembourser 16000 euros …parce qu’une personne du même nom avait demandé la liquidation de sa retraite.
L’usurpation d’identité est un délit.
Comment résoudre le cas de ce monsieur ? L’application du droit existant ne joue pas en sa faveur.
La bienveillance serait de mise mais elle ne fait guère bon ménage avec le droit et l’application actuelle du droit des étrangers.
Les autres cas les plus fréquents et les plus choquants concernent les femmes victimes de violences, soit dans leur pays, comme le Maroc où le divorce est le plus souvent impossible sans consentement du mari, soit en France après le mariage.
Dans le cas qui m’a été soumis, le mari veut bien divorcer…contre une somme rondelette. Précisons que cet homme se livre à des violences quotidiennes.
Aucun droit d’asile n’est prévu dans ce cas.
Si cette femme rentre dans son pays elle ne risque ni la prison ni la mort pour raisons politiques. Elle risque l’exclusion sociale ou une autre forme de prison à vie…
Ou s’arrête le politique ?
« Qu’ai-je de commun avec les juifs ? C’est à peine si j’ai quelque chose de commun avec moi-même. » Kafka
Je suis tout à fait d’accord avec cette citation de Kafka… Et pourtant, je me sens juive.
Ni religieuse, ni israélienne, ni vraiment intéressée, les imbéciles qui continuent à assimiler Juifs et occupation de la Palestine renforcent en moi un sentiment d’appartenance, qui me révulse par ailleurs…
L’antisémitisme crée le juif mais les catégorisations (Juif= pro-israélien) stupides, aussi.
Alors….on danse!!!!
Militantisme et bureaucratie
1- Du militantisme : Première contradiction : Dans un article d’Alternatives-Economiques de 2015, il est reproché aux Associations qui s’occupent des sans-papiers d’être des sous-traitants des préfectures qui préparent bénévolement les dossiers des migrants dans le respect de la loi même la plus répressive.
Et en effet c’est ce que nous faisons -si on estime que tout le travail militant en amont (rencontres avec les préfectures, sensibilisation, manifs etc)- n’est pas visible-
Ce type d’analyse est typique d’un raisonnement ancien qui opposait les marxisants aux libéraux : Pour les marxisants, le capitalisme étant à la racine des injustices sociales, il n’y avait qu’une seule solution, la révolution et la suppression du capitalisme.
Les révolutions de type soviétique ont piètrement échoué pour diverses raisons. Entre autres en croyant supprimer le despotisme du mode de production (asiatique) ancien, ils n’ont fait que le remplacer par un autre despotisme.
Le travail des bénévoles d’associations d’aide aux plus démunis se trouve pris dans une contradiction : s’ils envoient les personnes dans les administrations avec des dossiers qui ne correspondent pas aux lois en vigueur, elles se retrouveront inévitablement renvoyées.
Est-ce le but poursuivi ? Faut-il renoncer à en sauver certains au prétexte que l’on ne sauve pas tout le monde ?
Notre mission est d’utiliser les quelques ouvertures que nous offrent les textes de loi pour tenter de contourner un peu le droit, et au minimum d’aider les gens à utiliser le droit existant le mieux possible.
Imaginer une société démocratique sans Droit, donc sans limitations aux droits, relève d’une utopie potentiellement meurtrière.
Il y a des situations historiques où il faut désobéir aux ordres et aux lois iniques : ce moment est-il arrivé ?
2 – De la bureaucratie: Deuxième contradiction :
Les associations en question devraient par contre être des modèles de démocratie. Force est de constater que la quête du pouvoir (aussi merdique soit-il) est toujours présente dans ces structures, même au niveau le plus bas. Une permanence qui fonctionnait très bien sans bureaucratie se voit peu à peu coiffée d’un bureau, seul décisionnaire, le plus souvent composé de…bureaucrates nés.
Conclusion : On peut tenir des discours gauchistes tout en aimant la bureaucratie !!! Ce n’est pas la moindre des contradictions !
4- La gauche identitaire
J’ai déjà parlé dans ce blog de cette tendance du féminisme à l’intersectionnalité, à l’insistance sur les différences plutôt que sur l’universalisme et sur ce qui nous rapproche.
Marc Lilla, vient de publier aux Etats-Unis traduit en France : La gauche identitaire.
Dans un dialogue avec le sociologue Eric Fassin,(Le Monde du 2 Octobre 2018), Marc Lilla déclare : »La critique fondamentale que j’adresse à la gauche identitaire porte sur le repli sur soi qu’elle promeut. A force d’inciter chacun à s’interroger sur les différentes identités qui le traversent, de race, d’orientation sexuelle, etc, cette gauche est moins en mesure de remporter des élections là où il le faudrait, pour ensuite défendre les droits des minorités, ou atteindre tout autre objectif…Pour que les choses changent, il faut gagner les élections et développer une vision du bien commun…La seule façon de protéger les exclus est d’insister sur le fait qu’ils font déja partie de « NOUS », et par consaquent que leur exclusion est injuste. S’il n’y a pas de NOUS, comment motiver les uns d’être solidaires avec les autres ? Plus nos sociétés deviennent individualistes et diverses, plus nous avons besoin d’établir des liens de sympathie et de devoir politique parmi nous…Une citoyenneté ouverte, accueillante, combative- c’est cela dont nos démocraties ont besoin et que je tiens à promouvoir. »
Merci Marc Lilla.
3 – Le couple libre : enfin ça bouge !
Pendant longtemps, notre couple libre a été regardé avec une forme de suspicion.
Nous sentions dans les réactions à notre récit de vie fondée sur la liberté sans mensonge, quelque chose comme : » c’est parce qu’ils ne s’aimaient pas vraiment… »
Depuis quelques mois, les langues se libèrent.
Deux exemples : Esther Perel, sexologue américaine est La femme du dimanche dans le JDD du 9 septembre 2018.
Elle a publié un best seller : « Je t’aime, je te trompe », un éloge de l’infidélité. « Elle cherche à faire durer les couples par delà les entorses au contrat. » « Elle secoue les fondements du puritanisme anglo-saxon qui dramatise la tromperie, diabolise le mensonge… » nous dit Bruna Basina, la journaliste du JDD.
– Dans Le Monde du 13 Aout 2018, on trouve le témoignage de Salomé, 32 ans : » Nous sommes en union libre, nous n’appartenons pas l’un à l’autre. Et c’est mieux pour notre épanouissement personnel. Les relations enrichissent notre couple…Le trouple nous a permis de créer une autre réalité. La troisième personne apporte un autre regard et te donne du recul. Il n’y a plus les rapports de force qui peuvent exister dans un couple traditionnel… »
Certes Esther Perel parle de tromperie et de mensonge. C’est le contraire de notre approche. Mais c’est un tabou qui est secoué.
– Dans le journal ELLE du 26 janvier 2018, Marceline Loridan-Ivens et Leila Slimani dialoguent :
LS : En ce moment , tout le monde parle du polyamour. Dans un best-seller récemment paru en Allemagne, un chercheur explique que c’est l’avenir de l’amour. Selon lui, la monogamie, le couple , la fidélité…tout cela va disparaître et les gens vont s’aimer à plusieurs à des niveaux différents…. Je pense que la remise en cause du modèle patriarcal, amènera forcément à réfléchir à la notion de couple telle qu’on l’entend. Car, tout ce qui existe, ce sont les hommes qui l’ont inventé. Les femmes sont bien plus libres qu’on ne le pense… »
Alors que Guy et moi entrons dans la vieillesse, ces petites secousses sociales, près de 60 ans après notre contrat de liberté, sont rassurantes.