La « parano »


J’entame un cycle de courtes nouvelles sur le thème des petits abus de pouvoir et du fil ténu qui les relie aux GRANDS abus de pouvoir ( Cf « Chroniques des petits abus de pouvoir » par Régine Dhoquois et Anne Zelensky, Ed L’Harmattan, 2010)


Isabelle a publié un roman, proche de l’auto-fiction, comme on dit maintenant avec un brin de mépris. Isabelle a passé la soixantaine et elle sait bien que des milliers de livres sont publiés chaque année et que le sien n’a rien d’extraordinaire.
Mais Isabelle sait qu’elle y a mis tout son coeur, sa sensibilité d’écorchée vive et chaque fois qu’elle en relit des passages, elle est émue.
Elle ne s’attend pas à des critiques dithyrambiques dans la presse , mais elle se prend à rêver qu’ au moins un journaliste se laissera séduire par son histoire et en parlera.
Bref Isabelle est comme tous les auteurs. Elle serait si heureuse d’avoir une petite reconnaissance.
Alors, elle dépense une fortune à l’envoyer un peu partout et ne reçoit aucune réponse.
Un jour elle déjeune avec des amies proches. Elle est passée chez l’éditeur en acheter trois exemplaires.
Elle propose à ses amies de leur donner mais, enthousiastes, celles-ci insistent pour l’acheter, à prix d’auteur.
Un an plus tard, à une fête d’anniversaire, elle rencontre Rosalie, l’une des trois.
Elle ne lui dit pas qu’elle attend depuis des mois un petit mot, une réaction, un avis peut-être.
Elle dit seulement : » Rosalie, as-tu-eu le temps de parcourir mon livre ? »
« Quel livre ma chérie ? » répond Rosalie puis  » Oh, excuse-moi je n’ai pas eu une seconde à moi! »
Isabelle sent les larmes lui monter aux yeux.
Rosalie s’exclame en riant : » C’est bien notre Isabelle ! toujours parano… »

Fin provisoire du cycle « Emotions ». Eloge de la modération.

Au cours de cet été qui s’achève, j’ai connu des émotions fortes face à la mer, aux couchers de soleil, au contact de l’eau, à la joliesse de certains enfants…J’ai connu aussi la peur et la colère face aux attentats terroristes, la fatigue face au racisme ambiant, la rage contre un gauchisme imbécile qui semble trouver sa voie dans le communautarisme, au détriment des valeurs républicaines et égalitaires notamment entre hommes et femmes.
Chacun a droit à ses émotions et à ses passions (fussent-elles dangereuses) à partir du moment où elles ne nuisent pas à autrui.Cette société qui nous abreuve d’interdictions de fumer, de boire, de consommer telle ou telle chose m’ennuie profondément. Je m’occupe de ma santé, de ma vie, de ma mort comme je l’entends.
Par contre, s’il s’agit de gouverner, un village, une ville, un pays ou de porter des jugements publics sur les Autres, les passions, les émotions ne sont plus de mise.
La négociation, y compris la négociation avec nous mêmes sur nos émotions, s’impose. Elle ne peut aboutir qu’à des compromis qui n’auront le plus souvent rien de passionnant.
La modération peut être ennuyeuse. Elle a le mérite de ne pas mettre en danger la vie humaine, cette petite vie quotidienne banale que des millions d’individus dans des pays pauvres ou en guerre ne connaitront peut-être jamais.
Je termine donc ce cycle sur un éloge de la banalité, de ma propre banalité, de notre banalité d’êtres humains.
Heureusement, il y a la fiction qui peut nous permettre de vivre par procuration la passion, les excès, le crime…

Vive l’esprit olympique !

Extrait de la Charte de l’Olympisme : « Le but de l’Olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l »homme en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine »

C’était un spectacle fort agréable que ces JO à Rio, avec bien sûr, à la télévision, son lot de commentaires hystero-chauvins. Nous avons tout appris sur « le beaucoup d’émotion » des athlètes français, presque rien sur ce magnifique perchiste brésilien qui a eu le culot de détrôner notre héros national Renaud Lavillenie.
Mais France 2 nous a réservé (sans le vouloir) un intéressant moment de journalisme: cela s’est passé pendant l’épreuve du 50km marche. Notre champion français Yohann Diniz titube, tombe, saigne, s’arrête, repart. Le commentateur s’émeut, en appelle aux autorités olympiques pour arrêter sa course folle et demande à Nelson Montfort de trouver un responsable du staff français. Habituellement, nous voyons les chefs, mais dans l’urgence, le journaliste n’a déniché qu’un obscur bureaucrate grisâtre et grisé par cette célébrité inattendue. Face à la description du martyre de notre champion, il déclare en souriant : »Tout se passe bien, tout est sous contrôle, les médecins du staff suivent la course. Yohann Diniz est toujours en marche. C’est l’olympisme, le sport, la compétition, en un mot RAS. »Fin de l’interview. Disparition du bureaucrate. The show must go on.
Comme le dira plus tard Yohan Diniz : » Si l’athlète était au coeur des JO, ça se saurait! » (L’Equipe du 20/08/2016)

Je rejoins entièrement Jacques Attali qui dans l’Express, dénonce le triomphe de la hiérarchie- que l’on estime cependant nuisible dans l’éducation-, la fascination pour les seuls vainqueurs dans toutes les dimensions de notre monde et en particulier-en dehors du sport- dans la compétition économique. Le risque-ajoute-t-il- c’est de condamner l’essentiel de l’humanité à la frustration et à la rage.

L’émotion olympique peut être très belle. elle peut être répugnante.

Burkini or not burkini ? A propos des émotions qui nous empêchent de réfléchir

Elle avance vers moi sur la promenade, habillée de noir, voilée. Elle marche quelques pas derrière l’homme.
Je la hais. J’ai envie de crier ma colère, de l’interpeller, de lui demander « pourquoi » ? Je pense à tous nos combats pour la liberté , pour avoir le droit d’user de notre corps comme nous l’entendions. Je pense aux morts dans les attentats et cette femme me donne la nausée.
Bien sûr et heureusement, je ne dis rien. Je passe et je ravale ma méchanceté.
Une heure plus tard, je vais me baigner. Et alors que j’ai une très forte envie de reculer face aux grosses vagues, j’aperçois la femme en burkini avec une copine. Elles sautent dans les vagues en hurlant de rire. Fauchée par une vague méchante, je rejoins ma serviette un peu penaude et je tente de réfléchir à ma position sur cette question qui agite notre pays en ce moment : faut-il interdire le burkini ?
J’ai lu des dizaines d’articles à ce sujet : il y a ceux qui veulent l’interdire au nom de l’égalité entre hommes et femmes, ou au nom de la laïcité, ou au nom de la neutralité de l’espace public. il y a les partisans des droits de l’Homme qui veulent interdire d’interdire au nom de la liberté individuelle et du risque d’islamophobie. Tout cela est respectable. Il y a aussi ceux qui en profitent pour faire état de leur racisme nauséabond.

Il y a enfin d’ennuyeux analystes qui tentent de faire passer leurs obsessions à travers (si j’ose dire) le burkini : c’est ainsi que jacques Sapir désigne la fin de la souveraineté nationale et la mondialisation comme les responsables du repli identitaire et donc…du burkini.(Causeur, Aout 2016)
En regardant ces deux jeunes femmes sauter dans les vagues rejointes par leurs enfants, je me souviens de ces femmes mexicaines, catholiques qui dans les années 80 à Puerto Vallarta, jouaient dans la mer, entièrement vêtues.
Finalement, là encore, le doute l’emporte : au moins ces jeunes femmes peuvent profiter de la mer. Toute interdiction aboutirait à les priver de ce plaisir.
Je pense à toutes les femmes qui ne se baignent pas pour ne pas montrer leur corps et qui se privent d’un plaisir merveilleux

Le seul problème est : comment combattre l’intégrisme (dont le traitement discriminatoire des femmes fait partie intégrante bien sûr) dans TOUTES les religions (étant entendu qu’il est plus dangereux dans les religions prosélytes). Je ne crois pas que ce soit par une énième prescription vestimentaire réservée aux femmes que l’on y parviendra.
Parmi les commentateurs, je me rallie à Caroline Fourest qui titre avec humour dans son blog : »Face au burkini, optons pour le nudisme. »

La jalousie vue par Sandor Marai

Je continue à vous faire profiter de mes lectures de vacances. Il s’agit encore de « Métamorphoses d’un mariage » de Sandor Marai. Il propose ici une analyse de la jalousie que je partage en partie :« Et la jalousie, alors ? Quel est son sens? Que cache-t-elle ? Qu’y-a-t-il derrière elle ? La vanité, bien sûr…La vanité représente soixante dix pour cent du caractère humain, le reste étant partagé entre le désir, la générosité, la peur de la mort et l’honnêteté. Lorsqu’un homme amoureux court dans les rues, éperdu, les yeux injectés de sang, parce qu’il craint qu’une femme passionnée, solitaire, assoiffée de bonheur et, en fin de compte, malheureuse comme tout être humain, ne soit quelque part dans la ville, entre les bras d’un autre homme, ce qu’il veut, ce n’est pas préserver le corps et l’âme de cette femme d’un danger ou d’une infamie imaginaires, mais protéger sa propre vanité d’une pareille blessure. »

La guerre et les émotions négatives: Extrait de  » Le Monde d’hier » de Stefan Zweig

Stefan Zweig évoque ainsi les réactions- celles du peuple comme celles des intellectuels- au début de la première guerre mondiale :« Peu à peu, au cours de ces premières années de la guerre de 1914, il devint impossible d’échanger avec quiconque une parole raisonnable. Les plus pacifiques, les plus débonnaires, étaient enivrés par les vapeurs de sang. Des amis que j’avais toujours connus comme des individualistes déterminés, voire comme des anarchistes intellectuels, s’étaient transformés du jour au lendemain en patriotes fanatiques, et de patriotes en annexionnistes insatiables. Toutes les conversations se terminaient par des phrases aussi sottes que celle-ci : »Qui ne sait haïr ne sait pas non plus aimer vraiment », ou encore par de grossières accusations …….Les « défaitistes » étaient -disaient certains- les pires criminels contre la patrie.
Il ne restait dès lors qu’une chose à faire: se replier sur soi-même et se taire aussi longtemps que dureraient la fièvre et le délire des autres. Même vivre en exil n’est pas si terrible que vivre seul dans sa patrie. »

A propos des émotions : l’enseignement du Tao-tö king revu par Guy Dhoquois


Guy Dhoquois s’est livré à une opération passionnante sur son blog (http://auteurs.harmattan.fr/guy-dhoquois)). Il a réécrit les chapitres du Tao-tö king de Lao Tseu en fonction de sa propre sensibilité.
Ecrits au 3° ou 4° siècle avant JC, ces écrits donnent à penser, notamment sur ce que j’ai appelé les émotions négatives.

Voici le Chapitre 73 écrit par Guy :
Le vraisemblable peut se produire
L’invraisemblable se produit aussi
Le sage s’attend à tout

De la mesure avant toute chose
L’audace n’est pas témérité
Un homme de bien est circonspect

L’idéal humain est terrestre
Est de vaincre sans livrer bataille
De venir sans être appelé


Bien avant Kant, Lao-Tseu dit : »Mes principes enseignent le devoir d’appliquer d’abord à soi-même les règles qu’on voudrait voir appliquer par autrui. »

A méditer

« Dubito, ergo sum » : A propos des attentats et des « Emotions négatives »

« C’est la faute du colonialisme, de l’exclusion, du racisme, de l’islam, des religions, de la haine de l’autre, de la haine des femmes….
Il y a un fil ténu qui relie les désordres de la sphère privée (frustrations, jalousie, envie, vanité…) et ceux de la sphère publique
… »

Oui, pourquoi pas.
Mais moi, par exemple,( mes excuses, je n’arrive à penser qu’au travers de mes expériences) j’envie terriblement les jeunes femmes aux longues jambes minces mais je ne les tue pas pour autant. Ma théorie du fil ténu n’est pas fausse mais ne m’autorise pas à parler comme si j’avais compris pourquoi certains êtres humains ont une tendance répétitive et consternante à massacrer collectivement ou un par un d’autres gens.
En fait, et c’est cela qui est horrible, je ne trouve aucune explication à ces crimes et tous les analystes en sont au même point pour la bonne raison qu’il n’y en a pas. On ne peut que constater leur existence depuis l’aube des temps. Cela s’appelle la condition humaine.

La seule réponse est de continuer à vivre normalement. Me voici donc dans la piscine de ma résidence d’été où un vieux monsieur très bronzé m’explique que son secret réside dans la « graisse à traire » . Mais  » ne vous en faites pas-ajoute-t-il- je ne suis pas d’Afrique du Nord… »
Au secours, Monsieur Descartes, que fait-on avec les millions de gens qui ne cogitent pas ?

Tous concernés par la barbarie


Solutions militaro-policières
On peut bien sûr mettre un flic ou un militaire derrière chaque « présumé dingue ». On peut interdire les rassemblements festifs. On peut instaurer la rétention administrative contre toute personne musulmane louche…etc
Cela empêchera peut-être quelques attentats mais d’autres auront lieu. Ce qui est sûr par contre c’est qu’une telle politique liberticide ferait entrer la société française dans une spirale fascisante, où la délation et le racisme tiendraient lieu d’idéologie.
Il n’y a pas de solution miracle à la folie humaine.
Solutions à très long terme
Mais il y a peut-être des choses à faire à court ou à long terme.
A long terme, l’éducation des enfants du monde à l’égalité entre hommes et femmes devrait commencer dans les familles, se continuer à l’école et dans toutes les religions monothéistes. Sans être pessimiste, cette révolution mondiale prendra beaucoup de temps.
A long terme toujours, mais dans l’urgence, l’apprentissage dès l’enfance du droit à exister de l’Autre sur son espace, qu’il soit jeune, vieux, femme, homme, blanc, jaune, noir ou rouge, en bonne santé ou handicapé, gros ou mince.
A long terme encore, l’éducation au bonheur, à la beauté du monde, des êtres vivants, des ciels, de la mer, du jeu, des livres, de la musique, de l’amour et pourquoi pas des arbres en bas d’une barre HLM.
Eviter la vanité, les frustrations, les désirs de vengeance exige (et là on est à très, très long terme) plus de justice dans ce monde
Quelques idées pour le court terme
Et puis à court terme, outre la responsabilisation de tous les citoyens devant la folie meurtrière (comme ces gens admirables qui ont essayé d’arrêter le camion fou de Nice), le refus des polémiques politicardes mesquines, il serait peut-être bon que les musulmans partout dans le monde se désolidarisent publiquement, par des manifestations nombreuses et pas seulement par des prises de position quasi invisibles, de cette barbarie accomplie au nom du soi-disant « vrai »Islam.

Pour terminer, voici une citation de Pierre Dac : » Un concerné n’est pas forcément un imbécile en état de siège pas plus qu’un concubin n’est obligatoirement un abruti de nationalité cubaine. » (Les Pensées, Ed du Cherche Midi, 1972)

Nouvelles de Balbec en ces temps terrifiants

15 juillet 2016 (le lendemain de l’attentat de Nice) :
-« Il fait beau et chaud, enfin!. Vous allez bien ? »
– » Comme on peut aller bien après ce qui s’est passé… »
– » Bon, profitez-en bien, bonne baignade. »

Je guette les conversations sur la Promenade Marcel Proust : on y parle de la belle-mère chiante, du chien du voisin…
Quelques jours plus tard, je vais au centre ville voir s’il y a une minute de silence.
Devant la mairie, une trentaine de personnes sous la houlette du Maire chantent La Marseillaise, pendant que des milliers d’autres batifolent devant les soldes, dans les bistrots et se réjouissent du beau temps.

Le 22 juillet : Rassemblement sur le parking public situé devant notre résidence. Depuis deux jours, le parking est réservé aux équipes du Festival de musique, « Cabourg mon amour ». Devant la colère des résidents Monsieur le Maire est venu s’expliquer sur cette atteinte insupportable à la liberté des citoyens propriétaires. Nous sommes aussi nombreux que devant la mairie. La colère gronde. Les émotions se déversent, les coeurs s’ouvrent :
– » C’est un scandale de nous priver de notre parking au profit de gens qui ne payent même pas d’impôts à Cabourg! (les intermittents du spectacle,ndt »)
– » Pourquoi, c’est toujours les gens du bout de la digue qui doivent toujours payer pour les autres! »
– » Pour faire plaisir aux jeunes, vous faites de la démagogie Monsieur le maire et c’est cela que les Français ne supportent plus! »
– » Il faut supprimer le panneau « Plage » à l’entrée de l’avenue pour que les gens (les pauvres et les non-propriétaires entre autres, ndt) ne puissent plus venir »
– » Pourquoi les autocars amènent-ils des gens (des pauvres ou des vieux ou des handicapés, lors de la journée organisée par le secours populaire pour les gens qui ne partent pas en vacances,ndt) précisément au bout de la digue, sur notre plage? »

Inventaire des émotions : frustrations, jalousie ( à l’égard des « privilégiés » qui vivent près du Grand Hôtel), nombrilisme, Propriétarisme ( concept forgé pour l’occasion qui porte notamment sur le rejet des « Autres », les « non propriétaires » notamment, et sur la volonté de s’approprier en passant le domaine public)…
En ce qui me concerne : nausée, haine, envie de tuer, lâcheté, volonté inconsciente de ne pas se démarquer de ces imbéciles ridicules mais cependant…voisins

Faire de la politique dans ces conditions ne relèverait-il pas d’une forme d’héroisme ou d’autisme ?