Les réunions militantes

Le cadre : Une petite pièce triste. Tables et chaises en formica jaune. Vieilles affiches punaisées aux murs. Paquets de vieux tracts par terre.

Henri : Bon alors, quel est l’ordre du jour? Il ne faudrait pas terminer trop tard avec ce temps dégueulasse.
Julien : L’ordre du jour est chargé. Mais attendons un peu, il est à peine 21 h

Henri (énervé) : La réunion est prévue à 20h30 !
Entre Raymonde (environ 65 ans ) : Bonjour messieurs, c’est la première fois que je viens.J’espère que vous avez bien reçu ma cotisation…Je m’excuse d’être en retard…mais avec ce temps ! Je m’appelle Raymonde
Henri : Comme vous voyez vous n’êtes pas la dernière! enfin je l’espère…comme si on n’avait que çà à faire!
Raymonde : je suis à la retraite. J’ai du temps…c’est pour ça que j’ai eu envie de faire quelque chose, de participer…Oh mais je bavarde. Je vous ai interrompu. Je m’excuse…
Entre Antoine (jeune cadre dynamique) : Impossible de se garer dans le quartier. Salut tout le monde. Au fait Julien, tu pourrais me dire ce que je dois dire à la réunion de la fédé demain soir ?
Julien: On doit en discuter ce soir tous ensemble. On est une organisation démocratique, non ? Bon, on va commencer. Il est 21h15 et nous devons terminer à 22h30. La première chose dont nous devons discuter, c’est de l’absentéisme aux réunions et pire encore, de la chute des effectifs militants.

Entrent Colette ( la cinquantaine souriante) et Annie (la militante de choc)

Antoine : Il ne faut rien exagérer. On m’a dit en effet qu’à la dernière réunion publique, il y avait douze personnes. D’ailleurs, je tiens à m’excuser mais j’avais une autre réunion au sommet très importante. Je crois qu’il faut aller chercher les réponses à la base et par exemple envoyer un questionnaire aux adhérents que l’on ne voit jamais.
Henri : Mais mon vieux, tu sais bien pourquoi ils ne viennent pas. Ils s’emmerdent ici ..ils préfèrent la télé.
Raymonde : Je peux parler ? Je m’excuse. Je n’ai pas beaucoup milité dans ma vie…le travail, trois enfants, un mari très occupé. Ce que je voudrais dire, c’est que si je suis venue , c’est pour faire quelque chose, pour agir. Je suppose que dans une grosse organisation comme la votre, il y a du travail. Il y a quelques années, j’avais essayé de militer a « Paix internationale » et chaque fois que j’offrais mes services, on me faisait comprendre que intel ou intel serait meilleur que moi. J’étais un peu en colère, alors j’ai arrêté. J’ai trop parlé…excusez-moi.
Julien : Bien sûr Madame…Nous avons besoin de toutes les énergies, même si pour certaines tâches, il vaut mieux utiliser des gens qui ont une certaine expérience ou qui sont un peu célèbres. A mon avis, ce ne sont pas les véritables raisons de la chute des effectifs. J’ai une approche politique, voire structurelle de cette crise. Les organes centraux ont trop de pouvoir.
Colette : C’est curieux, j’ai l’impression de toujours avoir assisté dans toutes les réunions à la base où je suis allée aux mêmes questionnements : où sont les autres ?, ces autres qui changeraient tout. On pourrait être cent ici, ça ne changerait rien. Je pense que Raymonde parle vrai. Nous sommes quelques uns à venir dans les réunions pour Faire, pour décider de ce qui nous parait important. En fait Nous ne pouvons qu’entériner des décisions prises ailleurs. Dans ces conditions, je ne vois que deux motivations pour venir dans des réunions de la base : soit s’ennuyer ferme dans la vie, soit se servir de la base pour monter plus haut…Et puis, il y a les idéalistes et les masos…
Annie : Je n’ai rien compris à ce que tu viens de dire. C’est du bla-bla. Dimanche à la distribution de tracts, on était deux ! Hier, j’ai vu personne à la manif pour les Tamouls. Il est là le problème.
Henri : Bon, moi, il faut que je rentre. On a fixé la date de la prochaine réunion ?
Les gens se lèvent.
Colette, Annie et Raymonde : Tout le monde s’en va mais il n’est même pas 22H30. Et puis on n’a rien décidé!

Troubles dans la communication 2 : Québlo dans le tromé

« Mesdames, Messieurs, la RATP s’excuse auprès de vous pour la gêne occasionnée. Nous avons repéré un colis suspect à Nation.Nos rames vont être ralenties. Nous comptons sur votre compréhension. »
 » Allo, merde, j’suis québlo dans le tromé…Les cons, T’es où ? »
« Mesdames et Messieurs, Nos rames vont bientôt circuler normalement. Merci pour votre patience. »
« Allo, j’sais pas ce qu y a… Personne dit rien. Non, mais j’te jure…j’sais pas quand je pourrai arriver avec ces abrutis.. »
« Mesdames, Messieurs, le colis suspect a été neutralisé. Nous vous invitons à nous signaler tout paquet suspect ou tous comportements étranges. Merci de votre compréhension. »
« Allo, il avance pas ce tromé. Tu m’attends…t’es où ? »

Troubles dans la communication: 1- Mal au zizi ? Allez chez le psy !

« Qu’est-ce qui vous arrive ? » assène la Dermatologue vulvaire de ce prestigieux Institut qui a pignon sur boulevard.
« C’est ma gynéco qui m’envoie…Ben, mon machin…enfin mon zizi me brûle,me pique, me gratouille, surtout quand je porte un pantalon. »
« Vous avez regardé à quoi ça ressemble ? »
« Ben, non, c’est pas mon truc. A vrai dire ça me dégoutte un peu! »
« Madame, c’est votre corps, votre vagin, votre vulve…Bon allongez-vous et détendez-vous. » »Mais ce n’est pas possible, je vous ai dit de vous détendre. »
« J’ai bien entendu mais c’est quelque chose que j’ai du mal à faire, depuis toujours, mais je me soigne… »
« Je vois, ce n’est rien, c’est nerveux. Je peux vous donner une crème mais c’est un cautère sur une jambe de bois! »
« Je suis désolée, mais vous savez dans l’ensemble, ça va, on vit et pas si mal. »
« Ce qu’il faudrait c’est une analyse. »
 » Ah oui, j’oubliais, j’ai apporté les analyses, les voici. »
« Mais non Madame, je ne parle pas de CES analyses; je parle de psychanalyse! »
 » Non, je n’en ai jamais fait et ce n’est pas à 75 ans que je vais commencer. En fait avec des hauts et des bas, j’ai toujours eu ça après l’épisiotomie lors de mon accouchement, il y a plus de quarante ans. »
« Je ne suis pas que dermatologue chère Madame. Votre nervosité est anormale. Voici l’adresse d’une très bonne psychanalyste à Boulogne. Allez madame, bon courage. »

La « parano »


J’entame un cycle de courtes nouvelles sur le thème des petits abus de pouvoir et du fil ténu qui les relie aux GRANDS abus de pouvoir ( Cf « Chroniques des petits abus de pouvoir » par Régine Dhoquois et Anne Zelensky, Ed L’Harmattan, 2010)


Isabelle a publié un roman, proche de l’auto-fiction, comme on dit maintenant avec un brin de mépris. Isabelle a passé la soixantaine et elle sait bien que des milliers de livres sont publiés chaque année et que le sien n’a rien d’extraordinaire.
Mais Isabelle sait qu’elle y a mis tout son coeur, sa sensibilité d’écorchée vive et chaque fois qu’elle en relit des passages, elle est émue.
Elle ne s’attend pas à des critiques dithyrambiques dans la presse , mais elle se prend à rêver qu’ au moins un journaliste se laissera séduire par son histoire et en parlera.
Bref Isabelle est comme tous les auteurs. Elle serait si heureuse d’avoir une petite reconnaissance.
Alors, elle dépense une fortune à l’envoyer un peu partout et ne reçoit aucune réponse.
Un jour elle déjeune avec des amies proches. Elle est passée chez l’éditeur en acheter trois exemplaires.
Elle propose à ses amies de leur donner mais, enthousiastes, celles-ci insistent pour l’acheter, à prix d’auteur.
Un an plus tard, à une fête d’anniversaire, elle rencontre Rosalie, l’une des trois.
Elle ne lui dit pas qu’elle attend depuis des mois un petit mot, une réaction, un avis peut-être.
Elle dit seulement : » Rosalie, as-tu-eu le temps de parcourir mon livre ? »
« Quel livre ma chérie ? » répond Rosalie puis  » Oh, excuse-moi je n’ai pas eu une seconde à moi! »
Isabelle sent les larmes lui monter aux yeux.
Rosalie s’exclame en riant : » C’est bien notre Isabelle ! toujours parano… »

Fin provisoire du cycle « Emotions ». Eloge de la modération.

Au cours de cet été qui s’achève, j’ai connu des émotions fortes face à la mer, aux couchers de soleil, au contact de l’eau, à la joliesse de certains enfants…J’ai connu aussi la peur et la colère face aux attentats terroristes, la fatigue face au racisme ambiant, la rage contre un gauchisme imbécile qui semble trouver sa voie dans le communautarisme, au détriment des valeurs républicaines et égalitaires notamment entre hommes et femmes.
Chacun a droit à ses émotions et à ses passions (fussent-elles dangereuses) à partir du moment où elles ne nuisent pas à autrui.Cette société qui nous abreuve d’interdictions de fumer, de boire, de consommer telle ou telle chose m’ennuie profondément. Je m’occupe de ma santé, de ma vie, de ma mort comme je l’entends.
Par contre, s’il s’agit de gouverner, un village, une ville, un pays ou de porter des jugements publics sur les Autres, les passions, les émotions ne sont plus de mise.
La négociation, y compris la négociation avec nous mêmes sur nos émotions, s’impose. Elle ne peut aboutir qu’à des compromis qui n’auront le plus souvent rien de passionnant.
La modération peut être ennuyeuse. Elle a le mérite de ne pas mettre en danger la vie humaine, cette petite vie quotidienne banale que des millions d’individus dans des pays pauvres ou en guerre ne connaitront peut-être jamais.
Je termine donc ce cycle sur un éloge de la banalité, de ma propre banalité, de notre banalité d’êtres humains.
Heureusement, il y a la fiction qui peut nous permettre de vivre par procuration la passion, les excès, le crime…

Vive l’esprit olympique !

Extrait de la Charte de l’Olympisme : « Le but de l’Olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l »homme en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine »

C’était un spectacle fort agréable que ces JO à Rio, avec bien sûr, à la télévision, son lot de commentaires hystero-chauvins. Nous avons tout appris sur « le beaucoup d’émotion » des athlètes français, presque rien sur ce magnifique perchiste brésilien qui a eu le culot de détrôner notre héros national Renaud Lavillenie.
Mais France 2 nous a réservé (sans le vouloir) un intéressant moment de journalisme: cela s’est passé pendant l’épreuve du 50km marche. Notre champion français Yohann Diniz titube, tombe, saigne, s’arrête, repart. Le commentateur s’émeut, en appelle aux autorités olympiques pour arrêter sa course folle et demande à Nelson Montfort de trouver un responsable du staff français. Habituellement, nous voyons les chefs, mais dans l’urgence, le journaliste n’a déniché qu’un obscur bureaucrate grisâtre et grisé par cette célébrité inattendue. Face à la description du martyre de notre champion, il déclare en souriant : »Tout se passe bien, tout est sous contrôle, les médecins du staff suivent la course. Yohann Diniz est toujours en marche. C’est l’olympisme, le sport, la compétition, en un mot RAS. »Fin de l’interview. Disparition du bureaucrate. The show must go on.
Comme le dira plus tard Yohan Diniz : » Si l’athlète était au coeur des JO, ça se saurait! » (L’Equipe du 20/08/2016)

Je rejoins entièrement Jacques Attali qui dans l’Express, dénonce le triomphe de la hiérarchie- que l’on estime cependant nuisible dans l’éducation-, la fascination pour les seuls vainqueurs dans toutes les dimensions de notre monde et en particulier-en dehors du sport- dans la compétition économique. Le risque-ajoute-t-il- c’est de condamner l’essentiel de l’humanité à la frustration et à la rage.

L’émotion olympique peut être très belle. elle peut être répugnante.

Burkini or not burkini ? A propos des émotions qui nous empêchent de réfléchir

Elle avance vers moi sur la promenade, habillée de noir, voilée. Elle marche quelques pas derrière l’homme.
Je la hais. J’ai envie de crier ma colère, de l’interpeller, de lui demander « pourquoi » ? Je pense à tous nos combats pour la liberté , pour avoir le droit d’user de notre corps comme nous l’entendions. Je pense aux morts dans les attentats et cette femme me donne la nausée.
Bien sûr et heureusement, je ne dis rien. Je passe et je ravale ma méchanceté.
Une heure plus tard, je vais me baigner. Et alors que j’ai une très forte envie de reculer face aux grosses vagues, j’aperçois la femme en burkini avec une copine. Elles sautent dans les vagues en hurlant de rire. Fauchée par une vague méchante, je rejoins ma serviette un peu penaude et je tente de réfléchir à ma position sur cette question qui agite notre pays en ce moment : faut-il interdire le burkini ?
J’ai lu des dizaines d’articles à ce sujet : il y a ceux qui veulent l’interdire au nom de l’égalité entre hommes et femmes, ou au nom de la laïcité, ou au nom de la neutralité de l’espace public. il y a les partisans des droits de l’Homme qui veulent interdire d’interdire au nom de la liberté individuelle et du risque d’islamophobie. Tout cela est respectable. Il y a aussi ceux qui en profitent pour faire état de leur racisme nauséabond.

Il y a enfin d’ennuyeux analystes qui tentent de faire passer leurs obsessions à travers (si j’ose dire) le burkini : c’est ainsi que jacques Sapir désigne la fin de la souveraineté nationale et la mondialisation comme les responsables du repli identitaire et donc…du burkini.(Causeur, Aout 2016)
En regardant ces deux jeunes femmes sauter dans les vagues rejointes par leurs enfants, je me souviens de ces femmes mexicaines, catholiques qui dans les années 80 à Puerto Vallarta, jouaient dans la mer, entièrement vêtues.
Finalement, là encore, le doute l’emporte : au moins ces jeunes femmes peuvent profiter de la mer. Toute interdiction aboutirait à les priver de ce plaisir.
Je pense à toutes les femmes qui ne se baignent pas pour ne pas montrer leur corps et qui se privent d’un plaisir merveilleux

Le seul problème est : comment combattre l’intégrisme (dont le traitement discriminatoire des femmes fait partie intégrante bien sûr) dans TOUTES les religions (étant entendu qu’il est plus dangereux dans les religions prosélytes). Je ne crois pas que ce soit par une énième prescription vestimentaire réservée aux femmes que l’on y parviendra.
Parmi les commentateurs, je me rallie à Caroline Fourest qui titre avec humour dans son blog : »Face au burkini, optons pour le nudisme. »

La jalousie vue par Sandor Marai

Je continue à vous faire profiter de mes lectures de vacances. Il s’agit encore de « Métamorphoses d’un mariage » de Sandor Marai. Il propose ici une analyse de la jalousie que je partage en partie :« Et la jalousie, alors ? Quel est son sens? Que cache-t-elle ? Qu’y-a-t-il derrière elle ? La vanité, bien sûr…La vanité représente soixante dix pour cent du caractère humain, le reste étant partagé entre le désir, la générosité, la peur de la mort et l’honnêteté. Lorsqu’un homme amoureux court dans les rues, éperdu, les yeux injectés de sang, parce qu’il craint qu’une femme passionnée, solitaire, assoiffée de bonheur et, en fin de compte, malheureuse comme tout être humain, ne soit quelque part dans la ville, entre les bras d’un autre homme, ce qu’il veut, ce n’est pas préserver le corps et l’âme de cette femme d’un danger ou d’une infamie imaginaires, mais protéger sa propre vanité d’une pareille blessure. »

La guerre et les émotions négatives: Extrait de  » Le Monde d’hier » de Stefan Zweig

Stefan Zweig évoque ainsi les réactions- celles du peuple comme celles des intellectuels- au début de la première guerre mondiale :« Peu à peu, au cours de ces premières années de la guerre de 1914, il devint impossible d’échanger avec quiconque une parole raisonnable. Les plus pacifiques, les plus débonnaires, étaient enivrés par les vapeurs de sang. Des amis que j’avais toujours connus comme des individualistes déterminés, voire comme des anarchistes intellectuels, s’étaient transformés du jour au lendemain en patriotes fanatiques, et de patriotes en annexionnistes insatiables. Toutes les conversations se terminaient par des phrases aussi sottes que celle-ci : »Qui ne sait haïr ne sait pas non plus aimer vraiment », ou encore par de grossières accusations …….Les « défaitistes » étaient -disaient certains- les pires criminels contre la patrie.
Il ne restait dès lors qu’une chose à faire: se replier sur soi-même et se taire aussi longtemps que dureraient la fièvre et le délire des autres. Même vivre en exil n’est pas si terrible que vivre seul dans sa patrie. »

A propos des émotions : l’enseignement du Tao-tö king revu par Guy Dhoquois


Guy Dhoquois s’est livré à une opération passionnante sur son blog (http://auteurs.harmattan.fr/guy-dhoquois)). Il a réécrit les chapitres du Tao-tö king de Lao Tseu en fonction de sa propre sensibilité.
Ecrits au 3° ou 4° siècle avant JC, ces écrits donnent à penser, notamment sur ce que j’ai appelé les émotions négatives.

Voici le Chapitre 73 écrit par Guy :
Le vraisemblable peut se produire
L’invraisemblable se produit aussi
Le sage s’attend à tout

De la mesure avant toute chose
L’audace n’est pas témérité
Un homme de bien est circonspect

L’idéal humain est terrestre
Est de vaincre sans livrer bataille
De venir sans être appelé


Bien avant Kant, Lao-Tseu dit : »Mes principes enseignent le devoir d’appliquer d’abord à soi-même les règles qu’on voudrait voir appliquer par autrui. »

A méditer