Stefan Zweig évoque ainsi les réactions- celles du peuple comme celles des intellectuels- au début de la première guerre mondiale :« Peu à peu, au cours de ces premières années de la guerre de 1914, il devint impossible d’échanger avec quiconque une parole raisonnable. Les plus pacifiques, les plus débonnaires, étaient enivrés par les vapeurs de sang. Des amis que j’avais toujours connus comme des individualistes déterminés, voire comme des anarchistes intellectuels, s’étaient transformés du jour au lendemain en patriotes fanatiques, et de patriotes en annexionnistes insatiables. Toutes les conversations se terminaient par des phrases aussi sottes que celle-ci : »Qui ne sait haïr ne sait pas non plus aimer vraiment », ou encore par de grossières accusations …….Les « défaitistes » étaient -disaient certains- les pires criminels contre la patrie.
Il ne restait dès lors qu’une chose à faire: se replier sur soi-même et se taire aussi longtemps que dureraient la fièvre et le délire des autres. Même vivre en exil n’est pas si terrible que vivre seul dans sa patrie. »
A propos des émotions : l’enseignement du Tao-tö king revu par Guy Dhoquois
Guy Dhoquois s’est livré à une opération passionnante sur son blog (http://auteurs.harmattan.fr/guy-dhoquois)). Il a réécrit les chapitres du Tao-tö king de Lao Tseu en fonction de sa propre sensibilité.
Ecrits au 3° ou 4° siècle avant JC, ces écrits donnent à penser, notamment sur ce que j’ai appelé les émotions négatives.
Voici le Chapitre 73 écrit par Guy :
Le vraisemblable peut se produire
L’invraisemblable se produit aussi
Le sage s’attend à tout
De la mesure avant toute chose
L’audace n’est pas témérité
Un homme de bien est circonspect
L’idéal humain est terrestre
Est de vaincre sans livrer bataille
De venir sans être appelé
Bien avant Kant, Lao-Tseu dit : »Mes principes enseignent le devoir d’appliquer d’abord à soi-même les règles qu’on voudrait voir appliquer par autrui. »
A méditer
« Dubito, ergo sum » : A propos des attentats et des « Emotions négatives »
« C’est la faute du colonialisme, de l’exclusion, du racisme, de l’islam, des religions, de la haine de l’autre, de la haine des femmes….
Il y a un fil ténu qui relie les désordres de la sphère privée (frustrations, jalousie, envie, vanité…) et ceux de la sphère publique… »
Oui, pourquoi pas.
Mais moi, par exemple,( mes excuses, je n’arrive à penser qu’au travers de mes expériences) j’envie terriblement les jeunes femmes aux longues jambes minces mais je ne les tue pas pour autant. Ma théorie du fil ténu n’est pas fausse mais ne m’autorise pas à parler comme si j’avais compris pourquoi certains êtres humains ont une tendance répétitive et consternante à massacrer collectivement ou un par un d’autres gens.
En fait, et c’est cela qui est horrible, je ne trouve aucune explication à ces crimes et tous les analystes en sont au même point pour la bonne raison qu’il n’y en a pas. On ne peut que constater leur existence depuis l’aube des temps. Cela s’appelle la condition humaine.
La seule réponse est de continuer à vivre normalement. Me voici donc dans la piscine de ma résidence d’été où un vieux monsieur très bronzé m’explique que son secret réside dans la « graisse à traire » . Mais » ne vous en faites pas-ajoute-t-il- je ne suis pas d’Afrique du Nord… »
Au secours, Monsieur Descartes, que fait-on avec les millions de gens qui ne cogitent pas ?
Tous concernés par la barbarie
Solutions militaro-policières
On peut bien sûr mettre un flic ou un militaire derrière chaque « présumé dingue ». On peut interdire les rassemblements festifs. On peut instaurer la rétention administrative contre toute personne musulmane louche…etc
Cela empêchera peut-être quelques attentats mais d’autres auront lieu. Ce qui est sûr par contre c’est qu’une telle politique liberticide ferait entrer la société française dans une spirale fascisante, où la délation et le racisme tiendraient lieu d’idéologie.
Il n’y a pas de solution miracle à la folie humaine.
Solutions à très long terme
Mais il y a peut-être des choses à faire à court ou à long terme.
A long terme, l’éducation des enfants du monde à l’égalité entre hommes et femmes devrait commencer dans les familles, se continuer à l’école et dans toutes les religions monothéistes. Sans être pessimiste, cette révolution mondiale prendra beaucoup de temps.
A long terme toujours, mais dans l’urgence, l’apprentissage dès l’enfance du droit à exister de l’Autre sur son espace, qu’il soit jeune, vieux, femme, homme, blanc, jaune, noir ou rouge, en bonne santé ou handicapé, gros ou mince.
A long terme encore, l’éducation au bonheur, à la beauté du monde, des êtres vivants, des ciels, de la mer, du jeu, des livres, de la musique, de l’amour et pourquoi pas des arbres en bas d’une barre HLM.
Eviter la vanité, les frustrations, les désirs de vengeance exige (et là on est à très, très long terme) plus de justice dans ce monde
Quelques idées pour le court terme
Et puis à court terme, outre la responsabilisation de tous les citoyens devant la folie meurtrière (comme ces gens admirables qui ont essayé d’arrêter le camion fou de Nice), le refus des polémiques politicardes mesquines, il serait peut-être bon que les musulmans partout dans le monde se désolidarisent publiquement, par des manifestations nombreuses et pas seulement par des prises de position quasi invisibles, de cette barbarie accomplie au nom du soi-disant « vrai »Islam.
Pour terminer, voici une citation de Pierre Dac : » Un concerné n’est pas forcément un imbécile en état de siège pas plus qu’un concubin n’est obligatoirement un abruti de nationalité cubaine. » (Les Pensées, Ed du Cherche Midi, 1972)
Nouvelles de Balbec en ces temps terrifiants
15 juillet 2016 (le lendemain de l’attentat de Nice) :
-« Il fait beau et chaud, enfin!. Vous allez bien ? »
– » Comme on peut aller bien après ce qui s’est passé… »
– » Bon, profitez-en bien, bonne baignade. »
Je guette les conversations sur la Promenade Marcel Proust : on y parle de la belle-mère chiante, du chien du voisin…
Quelques jours plus tard, je vais au centre ville voir s’il y a une minute de silence.
Devant la mairie, une trentaine de personnes sous la houlette du Maire chantent La Marseillaise, pendant que des milliers d’autres batifolent devant les soldes, dans les bistrots et se réjouissent du beau temps.
Le 22 juillet : Rassemblement sur le parking public situé devant notre résidence. Depuis deux jours, le parking est réservé aux équipes du Festival de musique, « Cabourg mon amour ». Devant la colère des résidents Monsieur le Maire est venu s’expliquer sur cette atteinte insupportable à la liberté des citoyens propriétaires. Nous sommes aussi nombreux que devant la mairie. La colère gronde. Les émotions se déversent, les coeurs s’ouvrent :
– » C’est un scandale de nous priver de notre parking au profit de gens qui ne payent même pas d’impôts à Cabourg! (les intermittents du spectacle,ndt »)
– » Pourquoi, c’est toujours les gens du bout de la digue qui doivent toujours payer pour les autres! »
– » Pour faire plaisir aux jeunes, vous faites de la démagogie Monsieur le maire et c’est cela que les Français ne supportent plus! »
– » Il faut supprimer le panneau « Plage » à l’entrée de l’avenue pour que les gens (les pauvres et les non-propriétaires entre autres, ndt) ne puissent plus venir »
– » Pourquoi les autocars amènent-ils des gens (des pauvres ou des vieux ou des handicapés, lors de la journée organisée par le secours populaire pour les gens qui ne partent pas en vacances,ndt) précisément au bout de la digue, sur notre plage? »
Inventaire des émotions : frustrations, jalousie ( à l’égard des « privilégiés » qui vivent près du Grand Hôtel), nombrilisme, Propriétarisme ( concept forgé pour l’occasion qui porte notamment sur le rejet des « Autres », les « non propriétaires » notamment, et sur la volonté de s’approprier en passant le domaine public)…
En ce qui me concerne : nausée, haine, envie de tuer, lâcheté, volonté inconsciente de ne pas se démarquer de ces imbéciles ridicules mais cependant…voisins
Faire de la politique dans ces conditions ne relèverait-il pas d’une forme d’héroisme ou d’autisme ?
Honte à Sarkozy et à la droite en général !
Pierrot pleure et nous devrions tous pleurer sur cet acte barbare qui s’est produit à Nice le 14 juillet.
Je veux reprendre ici des extraits d’un texte d’une femme tunisienne paru dans le Huffington Post du 18 juillet :
« Honte à ceux qui font de Dieu le commanditaire de crimes abominables.
Honte à ceux qui au lieu de respecter la douleur des survivants, se sont répandus en insinuations, en récriminations, y allant de leur fonds de commerce d’analystes payés à la pige et de candidats en mal de campagne électorale.
…
Honte à ceux qui hésitent, tergiversent et se taisent devant l’horreur, parmi les musulmans que nous sommes, sous prétexte que nous n’avons rien à voir avec les terroristes, qui pourtant parlent en notre nom et se prévalent de citer les mêmes textes que nous. Car si nous ne sommes pas comptables de leurs crimes, il nous revient de les dénoncer doublement.
…Et nous dénoncerons ces assassins
Vous êtes et demeurerez à tout jamais un rebut de l’humanité.
Vous paierez »
Merci Madame pour votre colère et votre fermeté.
Je prolonge ce texte par ce qui suit : Honte à Sarkozy qui déclare sur la Une le 17 juillet que le gouvernement est coupable et propose des « solutions »:
– Mettre les étrangers suspects en Centres de rétention,, oubliant que la plupart des assassins sont soit français soit munis de titres de séjour et qu’enfermer ces gens en Centres de rétention où ne peuvent être retenus que les étrangers sans papiers, serait une atteinte grave à la démocratie. Or c’est justement cette démocratie que ces barbares haissent. Faudrait-il alors mettre tout musulman louche en rétention administrative! Terrifiante perspective.
– Ouvrir plus de centres de déradicalisation. A ma connaissance, ils existent et dans le cas de Nice, ils n’auraient servi à rien.
– Fermer les mosquées salafistes
Ah oui, personne n’y avait pensé avant lui !
–Punir les gens qui visitent les sites djihadistes sur Internet
Sans commentaires
Honte à vous Monsieur qui, avant même que les victimes ne soient enterrées, vous positionnez comme candidat de la fermeté en vue de la présidentielle. Vous et vos congénères, me donnez la nausée.
Vous risquez d’accroitre le rejet des politiques au seul profit de l’extrême droite.
Honte en cette période terrible à tous ceux qui se complaisent dans le Hollande/Valls/bashing, alors même que tous les français devraient être unis dans la lutte contre ces assassins
Voir le beau texte intégral dont j’ai cité quelques extraits sur: http://www.huffingtonpost.fr/une-tunisienne-en-colere/nice-attentat-vous-paierez-tunisienne-en-colere b 11039590.html?utm hp ref=france
Citation à propos des émotions : Métamorphoses d’un mariage de Sandor Marai (Le Livre de poche, 2006)
Livre remarquable écrit par cet écrivain hongrois entre 1941 et 1948 :
« L »amour, dis-tu, n’a pas besoin de « compréhension ». Détrompe-toi, ma chère. On aime ou on n ‘aime pas, il n’y a rien à « comprendre »… Que vaudrait un sentiment humain dicté par une intention consciente ? Ecoute-moi bien : en vieillissant, on apprend que les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent, qu’il faut bel et bien les comprendre, qu’il faut tout apprendre y compris l’amour. Nous sommes des êtres humains… et tout ce qui nous arrive doit être filtré par la raison. C’est elle, la raison, qui rend nos sentiments et nos émotions supportables ou insupportables. Il ne suffit pas d’aimer, non…«
Face à la folie meurtrière, la débilité du discours politique de l’opposition…
Que peut-on faire contre un homme violent qui pour ne pas mourir tout seul décide de précipiter un camion sur la foule joyeuse et familiale du 14 juillet ?
Rien. la vie est dangereuse.
Ne nous étonnons pas du rejet des politiques, qui profitent de cet évènement atroce, pour tenter de faire monter leur popularité dans les sondages
Il faut rester solidaires, unis contre la barbarie
« Mort aux dingues » , « Vaste programme » comme disait De Gaulle (à propos des cons)
Une féministe et un allergique aux tâches ménagères : négociation difficile et rigolote
Plus haut dans ce blog, j’ai évoqué la nécessité de trouver des compromis dès le plus petit groupe humain, en l’occurrence le couple.
J’ai également rappelé mon « concept phare » (!), le Fil ténu qui relie nos comportements individuels à des situations collectives parfois harmonieuses, parfois tragiques.
Mais il ne faut pas attribuer le qualificatif de tragique à n’importe quelle situation:
Prenez une féministe historique mariée depuis plus de 50 ans à un intellectuel de gauche. Ils s’apprêtent à fêter l’anniversaire de leur mariage. Il ont acheté un grand plateau de fruits de mer.
Il est l’heure de se mettre à table. Monsieur est assis sur son fauteuil autour de la table et déclare avec satisfaction que tout est prêt.
La féministe (que je suis) fait un bilan rapide de la situation ; la table est entièrement occupée par un énorme bouquet de fleurs, un ordinateur, un classeur, des paquets de bonbons, cigarettes…, un cendrier, des magazines… et pas de raton laveur. Le plateau mesurant à peu près 25 cm de diamètre n’a aucune chance de se glisser au milieu de ce bordel.
J’hésite entre l’étranglement, la gueulante, la pédagogie ou l’action. Je choisis cette dernière sous les yeux de chien battu de l’allergique qui hésite entre l’excuse, l’engueulade et l’aide. Il tend vaguement les mains dans ma direction, des mains émouvantes, un peu tremblantes, prêtes à servir mais à quoi ? (se demande-t-il )
« Tu me demandes si tu veux que je fasse quelque chose », affirme-t-il.
« Peux-tu apporter un récipient pour mettre les coques »
Il se lève, se plante face au meuble de 50 cm de haut qui nous sert de placard à vaisselle…et son dos réfléchit avec ferveur.
Alors je choisis d’éclater de rire, un rire un peu moqueur mais gentil, un rire libérateur.
Ce n’est plus un compromis, c’est Waterloo. Mais une défaite pas grave, rigolote avec des solutions :manger peu, des plats tout prêts et surtout …en rire.Le rire partagé fait partie de la négociation et du dialogue.
Narcissisme et chauvinisme tombent à l’eau : Vive le Portugal
(dessin de Guy Dhoquois)
Lovée sur mon canapé rouge, j’ai tremblé pendant tous les matchs de l’Equipe de France de football pendant cet Euro de l’été 2016.
J’ai crié à chaque but, été folle de joie quand cette équipe joyeuse et bicolore a vaincu l’Allemagne. Les vieux réflexes ne s’effacent pas facilement !
Moi qui suis toujours incapable de comprendre ce qu’est le hors jeu, qui fut (Honteusement) dispensée de gymnastique au lycée pendant des années à cause d’un mythique épanchement de synovie (!) je me surprends à écouter les commentateurs et cette litanie médiatique sur la joie des supporters français.
Le dimanche soir de la finale, blottie sur mon canapé rouge, j’ose à peine regarder. Quelque chose ne marche plus et je sens qu’ils vont perdre.
Une sorte de tristesse s’abat sur moi…
Mais qu’est-ce qui m’arrive ? Depuis des années, je « théorise » sur l’absurdité des compétitions, sur la nécessité de déclarer ex-aequo les sportifs qui ont juste quelques secondes de différence. Je sais que ça énerve mon entourage. Mais j’en fais une sorte de combat politique. On pourrait appeler cela du « Poulidorisme » ou la revanche du « Nul en sport. »
Alors je jaillis de ce fichu canapé rouge et j’ai l’impression de sortir d’un long sommeil dogmatique (comme disait l’autre)
Moi, l’Européenne , l’internationaliste, l’universaliste, je me suis laissée prendre à l’une des émotions que je dénonce, une forme de chauvinisme narcissique.
Que le meilleur gagne et que périssent les nationalismes stupides
Vive le Portugal