C’est l’ histoire d’un diner chez des « amis ».
Ne pas y être convié signe une sorte d’arrêt de mort sociale.
Figurer dans le cercle des invités instaure chez moi un processus complexe fait de peur de l’ennui, d’excitation dénuée de tout fondement et d’observation nerveuse du calendrier destinée à évaluer le temps qui reste avant d’être de nouveau seule, certes, mais peinarde.
Dans la voiture qui me conduit vers leur maison au milieu des vignes, j’écoute Radio-Nostalgie. Jacques Brel chante « Les vieux ». Je me demande jusqu’à quel âge je me sentirais obligée de rencontrer mes semblables dans des situations ou personne n’écoute personne.
On m’a présenté aux autres invités : petits professeurs post soixante huitards, écolo-gauchistes et fiers de l’être. Ils semblent peu intéressés par la vieille dame que je suis devenue sans vraiment m’en apercevoir.
La maîtresse de maison m’interpelle : »Alors, le bruit de la route devant votre maison, c’est supportable » braille-t-elle avec un sourire perfide.
Une vague de détresse m’envahit. Je souris douloureusement. La maîtresse de maison me prend par les épaules. J’ai l’impression qu’elle me trouve pitoyable. Je me demande s’il y a un âge où tout vous indiffère ? Il faut que je pense à m’intéresser au bouddhisme.
Tout le monde parle en même temps. Le style est alter-mondialiste primaire, vaguement complotiste. Je m’enveloppe dans mon invisibilité pour ne pas casser l’ambiance. ça marche. On m’oublie.
Au bout d’une heure je commence à m’interroger sur les raisons pour lesquelles tous ces imbéciles , en m’ignorant, se coupent de la personne la plus intéressante de cette soirée !
Je suis brusquement réveillée par les hurlements de ma voisine qui vitupère contre les féministes : »Toutes ces soi-disant féministes qui veulent interdire le voile à l’école, sont en fait des fascistes »
Alors j’explose, de toutes mes colères refoulées, de tous mes silences complices. Peu à peu un silence gêné s’installe. Je dis que je crois aux valeurs universelles, que je déteste toutes les religions, les replis identitaires. Je dis que je les trouve bien tolérants vis à vis de la religion musulmane dans ses manifestations les plus misogynes. Je termine sur un hymne à l’école républicaine et à la laïcité.
Puis, je me lève, tremblante. Je les salue et rejoins ma voiture en trébuchant sur le chemin pierreux.
Pierre Bachelet chante les corons sur Radio Nostalgie. Je pleure sur les corons, sur la bêtise, sur mes rêves envolés, sur le retour du communautarisme. Je pleure sur moi-même, sur ma difficulté à accepter les autres comme ils sont.
La déprime me guette. Je connais le remède. Je fonce dans mon bureau. Je mets le CD des Chants du Ghetto. Peu à peu la musique agit. Je pleure sur les souffrances de mon peuple, exilé mais vivant. Je vais me coucher rassérénée.
Avant de m’endormir, une question me traverse un instant l’esprit : Pourquoi n’ai-je pas écouté plutôt Nina Simone ?
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L’obeissance stricte au droit peut tuer : A propos de : »Le chemin des morts » de François Sureau (Gallimard, 2013)
François Sureau a été Conseiller d’Etat. Il a siégé à la Commission de recours des réfugiés (devenue la Commission nationale du droit d’asile) au début de sa carrière dans les années 80. Il raconte comment, frais émoulu de l’Université, il doit rapporter sur le cas d’un ancien militant basque, réfugié politique en France pendant vingt ans, mais privé de son statut par une décision de Giscard D’Estaing refusant le statut de réfugié aux Basques espagnols vivant en France, au motif que l’Espagne était devenue un pays démocratique.
En loyal juriste, il conclut que, conformément aux textes, l’asile est réservé aux ressortissants des pays considérés comme non démocratiques. Le militant basque ne pourra donc pas rester en France, malgré ses dires sur les risques d’exécution de la part des membres des GAL ( Groupes antiterroristes de libération).
Quelques mois plus tard, le militant basque rentré en Espagne est exécuté.
Aucun juriste ne devrait rester indifférent à ce court texte, admirablement maîtrisé.
Ce qu’interroge François Sureau, c’est la certitude, c’est l’application bête du droit, sans recul.
Il ne s’agit pas de condamner le Droit en général, bien au contraire, mais de toujours avoir envers lui le recul nécessaire et critique.
C’est à cette réflexion essentielle et salutaire sur l’obéissance et sur le doute que François Sureau nous invite.
La mort d’Antoinette Fouque
Je me souviens des attentes interminables dans des salles enfumées, avant qu’Antoinette et ses troupes n’arrivent aux réunions …organisées par elles.
Je me souviens des discours d’Antoinette. Elle appartenait à cette catégorie d’oratrices dont on ne savait pas ce qu’elle avait voulu dire après ses interventions.
Je me souviens de ses condamnations péremptoires, alors que nous parlions d’égalité en droit, du Droit considéré par elle comme Patriarcal par essence.
Je me souviens de la difficulté que j’éprouvais à choisir entre son groupe, Psychanalyse et Politique, et le groupe des féministes pour l’égalité.
Je me souviens du Groupe du jeudi créé justement par des femmes qui voulaient parler à la fois d’elles et de politique, d’égalité en droit et de l’importance de la psychanalyse, pour illustrer notre slogan :Le privé est politique ou encore : »Une ne se divise pas qu’en deux ».
La difficulté pour les groupes d’êtres humains de parvenir au dialogue socratique, d’assumer nos contradictions et d’avancer avec elles n’a pas permis à ce groupe de durer.
Je me souviens du week-end à La Tranche sur mer organisé par Psychanalyse et politique, où un certain nombre de femmes du MLF venues pour vivre la sorrorité, sont reparties blessées par le mépris des « Antoinettistes »à leur égard.
Je me souviens de l’attirance des médias pour Antoinette, fêtée lors des journées du 8 Mars ou d’autres évènements, au détriment de mes copines qui agissaient pour l’IVG, pour la création de Centres pour Femmes battues, pour la criminalisation du viol, pour la parité…Anne Zelensky, entre autres, fut exemplaire dans toutes ces luttes. Dommage que son féminisme exclusif l’ait conduit depuis quelques années sur les chemins dangereux de l’islamophobie.
Je me souviens d’avoir été horrifiée par le dépôt du sigle MLF, à la Préfecture, par Antoinette Fouque. Par ce geste « juridique » (et profondément patriarcal pour le coup), elle remettait en cause les aspects anarchistes du MLF que j’aimais.Elle affirmait qu’il ne pouvait exister qu’un seul MLF, le sien. C’est précisément contre ce type de comportements que nous avions créé le MLF.
Paix à ton âme Antoinette. Tu étais intelligente et inventive, mais tu aimais trop le pouvoir et tu n’avais pas compris (ou pas voulu comprendre) que notre Mouvement des femmes des années 70 voulait inventer une autre manière de faire de la politique.
Dommage. Avec toutes nos sensibilités différentes, nous aurions pu ne pas avoir ces absurdes querelles de clans. Nous aurions pu discuter de nos différends, sans haine et sans volonté d’avoir raison à tout prix. Mais sans doute était-ce une utopie. Les femmes sont des hommes comme les autres.
Individualisme et Intérêt général

Le bruit court, la rumeur enfle : les jeunes seraient de plus en plus individualistes, de plus en plus éloignés de toute idée d’intérêt général ou de contrat social.
Chaque personne ayant dépassé 50 ans s’exaspére de voir des jeunes et des moins jeunes l’oeil agrippé à leur smartphone, à leurs messages ou à leur page Facebook, comme si leur vie en dépendait. Chaque génération a du mal à comprendre la génération qui suit. Rien de nouveau sous le soleil.
Outre, comme je l’ai dit plus haut, qu’il n’y a pas LES jeunes mais des jeunes, on peut aussi se poser des questions sur cette soif de faire société avec des amis réels ou virtuels.
Est-ce que cette volonté de se créer une petite société d’amis n’est pas un bon moyen d’apprendre ce qu’est la vie sociale, ses joies, ses déceptions, ses compromissions, ses grandeurs et ses lâchetés ? Et pour ne pas trop souffrir, il vaut peut-être mieux que ce soit virtuel.
Autre question : Ce que donne à voir le monde politique, social, intellectuel, n’est pas exaltant. Vouloir s’y engager nécessite soit une bonne dose de volonté de pouvoir, soit une bonne dose de naïveté.
Les beaux esprits qui s’exaspèrent de la baisse du niveau , du narcissisme des jeunes, de leur individualisme devraient peut-être se demander qui a envie de leur ressembler ?
Enième reflexion sur l’écoute dans les groupes

Coucou, c’est moi.
En sortant d’une réunion d’un groupe « politico-culturel », je me disais que ce qui importe pour être écouté, n’est pas le fond, le contenu du discours, mais le statut ( classe sociale, sexe, notoriété…) de la personne qui le prononce.
Au secours Molière, les manières de cour n’ont pas disparu avec la démocratie !
« Nommez-le fourbe, infâme et scélérat maudit,
Tout le monde en convient, et nul n’y contredit.
Cependant sa grimace est partout bienvenue;
On l’accueille, on lui rit, partout il s’insinue;
Et s’il est, par la brigue, un rang à disputer,
Sur le plus honnête homme on le voit l’emporter.
Têtebleu ! ce me sont de mortelles blessures,
De voir qu’avec le vice on garde des mesures;
Et parfois il me prend des mouvements soudains
De fuir dans un désert l’approche des humains.
Alceste, Scène 1, Acte 1, Le Misanthrope
Immigration=intégration=Une Commission
Comment mieux intégrer les immigrés ?
On aurait pu imaginer plusieurs réponses : Qu’ils subissent moins d’humiliations aux guichets des préfectures, qu’ils puissent trouver facilement des structures pour apprendre le français, que les employeurs qui les apprécient puissent les faire régulariser s’il ne trouvent aucun européen pour certains postes, qu’ils ne campent plus dans des lieux insalubres et forcément communautaires, qu’ils puissent voter aux élections municipales après quelques années de présence en France…
Après cinq rapports enterrés et dans le cadre d’une rivalité Matignon /Ministère de l’Intérieur, M. Ayrault a trouvé la solution : Créer un Organisme public consacré à l’intégration et à la lutte contre les discriminations qui serait rattaché au Premier Ministre.
Bon sang, mais que n’y avait-on pensé plus tôt ?
S’ils fréquentaient des immigrés, nos gouvernants et nos excités racistes constateraient que la plupart des enfants d’immigrés élevés dans des familles aimantes et attentives, qui fréquentent l’école de la République, parlent un français impeccable, maitrisent le tweet, leur page facebook et l’histoire de France.
Pour la plupart, ils conserveront leur langue maternelle et, heureusement, quelque chose de leur culture d’origine.
Quant à la discrimination, il existe à ma connaissance d’autres organismes qui s’en occupent.
« Je me presse de rire de tout avant d’être obligé d’en pleurer. » Beaumarchais
Mauvais genre : A propos de Tomboy
Tomboy est un délicieux film de Celine Sciamma sorti en 2011.
C’est un film délicat et tendre sur une petite fille de 10 ans, cheveux courts et allure androgyne, qui l’espace d’un été, fait croire à d’autres enfants qu’elle est un garçon.
J’ai aimé la finesse, la véracité de ce film. Il nous parle de la pression exercée sur les enfants par une société qui admet mal la marginalité , l’étrangeté (inquiétante), l’Autre et qui le constitue parfois en bouc-émissaire.
Ses copines, ses copains, ses parents, son quartier constituent son petit univers. Comme tous les enfants (et les adultes…), elle a peur qu’on ne l’aime pas, elle a peur de la solitude, elle a peur de ne pas être comme il faudrait qu’elle soit, elle a peur que son amour du football la fasse mal voir de ses camarades de classe.
Qui n’a pas vécu à cet âge cette inquiétude à l’idée de ne pas être accepté, parce que l’on est timide, trop gros, mal habillé, trop petit, trop grand, binoclard, garçon manqué ou garçon trop « efféminé ».
Ce film rare était projeté dans les écoles grâce à l’Association : »Enfances au cinéma ».
Les enfants ont aimé ce film. Caroline Brizard du Nouvel Observateur (05/02/14) rapporte les propos de Mateo (9 ans): »C’est un film sur l’amitié. Laure veut tellement avoir des amis qu’elle est obligée de mentir, comme nous des fois, et après quand on ment, on est coincé, on n’ose plus dire la vérité. »
Et pourtant, en Janvier 2014, une pétition est mise en ligne par une association de chrétiens, contre la diffusion de ce film dans les écoles. La pétition a recueilli autour de 30000 signatures.
Cet incident est emblématique de l’atmosphère qu’une certaine frange droitière, confite en religion quelle qu’elle soit, fait régner dans ce pays.
Reculer face à ce crétinisme montre s’il en était besoin que la médiocratie et la lâcheté sont au coeur de la social-démocratie.
Entre l’indigence de la droite, la pusillanimité de la « gauche »et l’extrémisme qui s’affiche dans nos rues, il nous faut choisir le moins pire.
Mais est-ce que le parti au pouvoir mesure bien les séquelles à long terme de sa couardise ?
Socialisme, social-démocratie, Réforme, Révolution ? Que Faire ?
Quel programme ! Mais rassurez-vous je n’ai que des banalités à écrire, des questions sans réponse à déposer sur ce blog. Car quoi de plus stupide que d’avoir réponse à tout ! Merci à Flaubert qui disait : » L’ineptie c’est de conclure. »
Quand j’étais jeune je me disais socialiste. Cela voulait dire pêle-mêle sans aucun respect de la doxa marxiste :
– une société plus juste sans appropriation excessive des moyens de production.
– Des usines autogérées par les travailleurs (et les patrons).
– Des conditions de travail respectueuses de la santé et de la dignité des ouvriers.
– La liberté d’expression y compris dans les partis dits « de gauche ».
– L’obligation de faire tourner les responsabilités dans toutes les organisations.
– L’égalité entre hommes et femmes.
– L’Education et la formation pour tous.
– Un habitat correct pour tous.
– Plus un seul SDF..
– L’aide au développement des pays pauvres.
– La fin de la dictature du capital sans disparition du capital pour autant…etc
Les évènements de Hongrie en 1956 m’ont fait prendre conscience que le système stalinien était à l’opposé de mes rêves. Dès lors mon socialisme fut relégué dans un avenir im-pensable, celui d’une humanité sans inhumanité, sans guerres pour le pouvoir, sans égoïsmes, sans narcissismes. Sans ces conditions, l’utopie révolutionnaire risquait de devenir meurtrière. (Cf le Cambodge)
Restait la social-démocratie incarnée entre autres par Jaurès, Léon Blum, Pierre Mendès-France ou Michel Rocard, c’est à dire une forme de gestion la moins injuste possible du capitalisme, assortie de réformes sociétales importantes.
Le coming-out de F. Hollande à ce propos, après les mensonges de sa campagne électorale, est donc le bienvenu. En d’autres termes le Président reconnait qu’il fait ce qu’il peut dans un monde gouverné par l’argent, confronté à la mondialisation donc à une concurrence acharnée notamment des pays émergents, malheureusement trop souvent fondée sur des salaires de misère et l’absence de charges sociales.
Quand on fait ce que l’on peut dans un monde qui ne vous obéit pas, cela risque de conduire à la social-médiocratie. C’est mal fichu, ça mécontente à tour de rôle toutes les catégories de la population, plus promptes à accuser l’Etat de tous leurs maux plutôt que de se demander en quoi ils pourraient participer à un effort collectif.
On pourrait imaginer des réformes plus radicales, moins de lois ajoutées aux lois existantes, plus d’attention accordée à l’application des lois, moins de délégation de responsabilités à des partenaires sociaux peu disposés au dialogue ou à l’innovation (à part la CFDT dont je salue la clairvoyance et le courage)
Mais en ces jours de manifestation des extrêmes contre la prétendue « familiphobie » du gouvernement, les interrogations sur les insuffisances de la social-démocratie s’effacent. La boue remonte à la surface, violente, rabacheuse (racisme, antisémitisme, théorie du complot, homophobie…).
Certes, tout cela n’est pas nouveau. Mais ce qui me frappe dans cette situation, c’est la responsabilité de la droite « républicaine ». La social-démocratie ne peut reposer que sur un consensus minimum sur un certain nombre de valeurs communes. Or la droite critique, vocifère, n’approuve rien, ne propose rien. En agissant ainsi de manière irresponsable, elle contribue à favoriser les extrêmes, leurs déclarations haineuses dont le but est toujours le même : Désigner des bouc-émissaires.
« La rage de vouloir conclure est l’une des manies les plus funestes et les plus stériles qui appartiennent à l’Humanité. Chaque religion et chaque philosophie a prétendu avoir Dieu à elle, toiser l’infini et connaître la recette du bonheur. Quel orgueil et quel néant. » (G. Flaubert, 1863, Lettre à Melle Leroyer de Chantepie)


