Monsieur Valls, pourquoi ne pas faire preuve de votre autorité sur les Préfectures ?

Monsieur le Ministre,
Vous avez bien voulu vous pencher sur le sort de certains sans-papiers afin que leur situation fasse l'objet d'une attention particulière de la part des préfectures. Parmi les bénéficiaires de votre circulaire du 28 Novembre 2012 figurent les salariés disposant de fiches de paye (même si elles ne sont pas à leur nom) et d'une promesse d'embauche et prouvant entre trois et cinq ans de résidence en France. Les jeunes arrivés en France autour de l'âge de 16 ans et qui ont dans ce pays des attaches familiales, ainsi que les conjoints de personnes en situation régulière ou encore les parents d'enfants scolarisés depuis au moins trois ans devaient également faire l'objet d'un examen "sympathique" des Préfectures.
Dix mois après l'entrée en vigueur de cette circulaire, nous sommes informés par RESF de la possible expulsion de Cap-Verdiens ayant sept ans de présence en France et dont les enfants sont scolarisés depuis plus de trois ans.
La Préfecture des hauts de Seine vous désobéirait-elle ?
En ce qui concerne la régularisation des travailleurs, la conséquence perverse de votre circulaire est l'impossibilité pour les travailleurs qui n'ont jamais eu de faux papiers, même installés depuis plus de 7 ans en France, d'être régularisés puisqu'ils ont été payés en espèces et ne peuvent donc fournir de fiches de paye.
En ce qui concerne les jeunes majeurs-dont aucune définition n'est fournie par votre circulaire-je me permets de vous informer sur un cas parmi d'autres reçus depuis le début de l'année 2013 à notre permanence de la CIMADE.
Melle FR, de nationalité malienne est entrée en France en 1994 à l'âge de 11 ans. Elle a eu des papiers jusqu'en 2011. Depuis, elle a eu un enfant âgé actuellement de 14 mois. Elle est hébergée dans un hôtel par le SAMU social. Elle n' a plus de famille au Mali et est seule en charge de l'enfant. Je l'ai accompagnée au Commissariat de l'Avenue du Maine qui reçoit les premières demandes des étrangers habitant Paris. Après quatre heures d'attente, la personne de l'accueil a refusé de prendre son dossier sans donner aucune explication et bien sûr sans fournir aucune preuve de son passage.
Le 25 mars 2013, vous avez publié une autre circulaire relative aux procédures de première délivrance et de renouvellement de titres de séjour aux personnes de nationalité étrangère privées de liberté. C'est donc avec optimisme que j'ai répondu à Mr M. entré en France à l'âge de deux ans dont les deux parents sont français. Il a bénéficié d'une carte de résident jusqu'en 2011. Il a commis différents délits et a effectué six mois de prison préventive. Libéré sous contrôle judiciaire en Novembre 2012, il est allé Rue Truffaut dont il dépend demander le renouvellement de sa carte. Il y est retourné plusieurs fois et notamment depuis la publication de la Circulaire susvisée. Chaque fois le Chef de service en personne est venu lui dire que son dossier n'était pas recevable sans donner de raison.
Bien sûr, il ne s'agit là que de trois exemples sur des centaines.
Je suis au regret , Monsieur le Ministre de constater que l'autorité dont une partie de l'opinion vous fait crédit, ne semble pas perturber les employés de vos Préfectures.
Le moins que l'on puisse espérer d'un Ministre de l'Intérieur est qu'il se fasse obéir.
Je me permettrais de vous tenir au courant des suites des deux affaires citées ici.
Veuillez…………………..
Régine Dhoquois-Cohen, Bénévole à la CIMADE -Paris

Pire que la connerie isolée, la connerie collective

Nous la rencontrons tous les jours, la bêtise et d’abord en nous mêmes. C’est fatigant, mais on s’habitue.
Ces « Moi-je » compulsifs, ces narcisses assoiffés de reconnaissance, ces « CCM » (« C’est comme moi », Voir le supplément de L’express du 3 octobre 2013) qui profitent du moindre mot pour parler d’eux sans vous poser de questions, ces gens qui savent tout sur tout, qui jugent, décident, condamnent, n’aiment pas les étrangers ou les aiment trop… Il y a parmi eux des petites gens mais aussi des journalistes, des politiques, des intellos, des experts…
On s’en accommode. Mais que faire avec les certitudes et les narcissismes groupaux ?
On peut choisir d’éviter les groupes. Certes, mais c’est qu’ils sont collants ces extrémistes de l’idée reçue!
On peut peut-être y répondre par l’intelligence collective. Les animaux en sont pourvus. Cela leur permet de survivre.
Chez les êtres humains, elle passe forcément par le langage et par la loi. Par exemple, Il parait évident que plus il y aura d’armes en libre service, plus il y aura de crimes. Une majorité d’Américains pense pourtant le contraire. (voir l’affiche ci-dessus achetée à Central Park)

Cours camarade, la connerie n’est pas près de disparaître.

Les cadenas du Pont des Arts

C’est joli tous ces cadenas sur le Pont des Arts à Paris.
Il parait qu’ils portent atteinte à la résistance du pont.
Ils ont été accrochés là par des amoureux.
C’est sans doute idiot d’enrager contre ces manifestations d’amour venues du monde entier.
Mais comment accepter cette conception de l’amour comme enfermement ?
Quel couple peut survivre à cela plus de quelques années ?
Pour moi, pour nous, l’amour était ouverture sur les autres : amants et maîtresses en toute liberté et en toute transparence, engagements , Interdictions d’interdire.
Cela ne veut pas dire une absence de limites, mais juste celles que nous nous donnons à nous mêmes par respect pour l’autre, les autres.
Pauvre Pont des Arts qui s’abîme sous le poids de ces cadenas…peut-être à l’image des couples cadenassés !

Où en sont les féministes en France ?

Il y a les féministes des années 70 dont je suis.
Elles ont entre 65 ans et 90 ans. Ce n’est pas une critique. C’est un constat. Elles forment des petits groupes toujours aussi excluants vis à vis des femmes avec qui elles sont en désaccord.
Il y a les ex de Psy et Po dont la figure de proue Antoinette Fouque continue de charmer certains journalistes, sans que l’on comprenne exactement ce qu’elles souhaitent dire.
Il y a les féministes révolutionnaires qui véhiculent du Mélenchon à longueur de sites
Il y a les féministes universitaires qui traînent de colloques en colloques pour raconter ce qu’a été le féminisme.
Il y a les « jeunes » d' »Osez le féminisme » par exemple , courroie de transmission du Parti socialiste.
Il y a les FEMEN qui utilisent leurs seins alors que nous voulions les banaliser.
Il y a des individualistes qui vont chercher dans une identité quelconque autre que celle de genre un moyen de se sentir exister (J’en fais partie avec une forme de retour à une « mystérieuse » identité juive)

Bref, ce féminisme qui a été révolutionnaire dans les années 70, et qui a permis, outre une forme de libération mentale de nombreuses femmes, des réformes fondamentales, ne me parait plus fécond.
Il faut maintenant que les lois soient appliquées et que peu à peu les mentalités changent. Il faut donc maintenir une pression. Il faut aussi témoigner de nos combats.

Par contre le combat féministe à l’échelle internationale est ESSENTIEL. Le féminisme (comme la révolution selon Trotsky) doit-il alors s’internationaliser ?
Ce serait souhaitable et grâce à Internet ce mouvement commence à exister sous la forme de pétitions et surtout de circulation de l’information.
On ne peut guère aller plus loin. Comment combattre d’ici la Charia, les viols de femmes dans certaines régions d’Afrique ou du Mexique, les crimes contre les filles en Inde etc…

Dans nos pays, c’est maintenant aux hommes de comprendre que les femmes sont leurs égales et qu’il faut les respecter. Ce sera long. Mais c’est leur combat pas le notre. On ne fait pas disparaitre par miracle des siècles d’oppression masculine.

Compétitivité et Droit du travail

Les droits des travailleurs sont en train de devenir la variable d’ajustement dans la recherche de la compétitivité des entreprises.
Le Droit du travail actuel est le résultat de luttes très dures, parfois meurtrières entamées au 19ième siècle.
Parmi ces conquêtes, le droit de se reposer un jour par semaine,les limites imposées au travail de nuit, les congés payés, le SMIC, la protection contre les licenciements abusifs, l’encadrement de ces droits dans des conventions collectives de branches, la création d’un corps d’inspecteurs du travail, les textes sur l’hygiène et la sécurité…etc
Bien sûr, ce droit fondé sur la subordination du salarié vis à vis de l’employeur, ne pouvait que connaitre des hauts et des bas en fonction de la conjoncture économique. Le pouvoir des syndicats s’affaiblit en période de crise et même si le droit ne change pas, on invente des solutions légales pour le contourner comme la légalisation des entreprises d’intérim et des CDD.
Si l’on ajoute aux lois anciennes, des textes de conjoncture et des textes pour tenter d’améliorer les textes précédents (comme en matière d’égalité entre femmes et hommes), on aboutit à un code du travail frappé d’obésité, inapplicable non seulement du fait de sa méconnaissance notamment dans les TPE, mais aussi de la pénurie d’inspecteurs et de contrôleurs du travail.
On en arrive à cette situation ubuesque de travailleurs poursuivant en justice les syndicats pour avoir demandé l’application du droit en matière de travail de nuit ou de travail du dimanche dans certains commerces.(cf Sephora)
Entre les démagogues de service, qui estiment que le repos du dimanche par exemple permet de se retrouver en famille et de se livrer à des activités ludiques (toujours en famille) dans un pays où des milliers de gens vivent seuls et ne comprennent pas pourquoi on voudrait les empêcher de travailler la nuit ou le dimanche et les patrons de choc qui voudraient supprimer purement et simplement le droit du travail pour retrouver de la compétitivité, y-a-t-il une troisième voie ?
J’espère que oui mais elle suppose de chaque côté une ouverture que l’on ne voit guère se manifester.
Le monde a changé. La mondialisation, l’échec retentissant du soi-disant socialisme,une idéologie consumériste qui n’a pas que des aspects négatifs, la révolution Internet…doivent nous amener à penser autrement.
Sans remettre en question les principaux acquis des travailleurs, on peut envisager une évolution du droit du travail qui prendrait en compte cette nouvelle société mais aussi les crises qui conduisent à un chômage de masse. Un chômeur de longue durée n’a plus de droits. Il risque de perdre son existence sociale. Revenir sur quelques avantages sociaux sous le contrôle des syndicats et de l’inspection du travail devrait pouvoir s’envisager.
Mais les obstacles sont légion: un syndicalisme français déambulatoire et catégoriel qui semble ignorer que ce sont les PME et les TPE qui créent des emplois, précisément là où ils ne sont pas présents et un corps d’inspecteurs du travail méconnu, silencieux, qui continue à mettre des PV dont 2% seulement font l’objet d’une condamnation.(Voir à ce sujet un excellent blog :le blog d’un inspecteur du travail-http://inspectiondutravail.wordpress.com
Ne pas faire appliquer les lois, c’est prendre le risque de la contagion. Pourquoi appliquer telle ou telle loi et pas telle autre ? Par contre soumettre le code du travail à une cure d’amaigrissement en donnant un cadre général et obligatoire à des principes de base qu’il faudrait redéfinir dans notre nouvelle société paraitrait une voie à suivre.

Jeu : trouver le fil conducteur entre la petite jupe, le féminisme, l’économie, l’exclusion des vieux etc…

Quand j’étais jeune inspectrice du travail, je m’habillais tout en noir, portait un très lourd cartable noir et des lunettes cerclées de noir.
J’avais 27 ans, en paraissait moins et je m’imaginais que pour être prise au sérieux par les patrons, les ouvriers sur les chantiers, les militants syndicaux, il fallait que je disparaisse en tant que jeune femme éventuellement séduisante. J’ai tellement disparu que j’ai failli devenir invisible.
Nous ne parlions jamais de fringues dans les organisations de gauche auxquelles j’appartenais à cette époque.
Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai osé affirmer que « les petites jupes font aussi partie de l’Histoire » et revendiquer la superficialité comme l’un des éléments de notre vie sociale, reposante. Cela ne veut pas dire que seule la superficialité rend la vie supportable. Mais elle aide.
Puis vint le MLF. Entre femmes nous nous autorisions à parler chiffons, à faire du shopping même si nous culpabilisions. C’est au MLF que j’ai compris que la vie de militante peut être joyeuse, et que la superficialité n’est pas forcément là où les valeurs dominantes dans un groupe la remisent.
Et pourquoi voulions-nous changer le monde sinon pour le rendre certes plus juste mais aussi plus joyeux.

Le deuxième fil conducteur se trouve entre la recherche de la jupe et le fonctionnement économique de ce pays. Les impératifs de la mode sont perçus par les derniers maillons de la chaîne commerciale comme des diktats. Il s’agit d’habiller la jeune fille entre 17 et 25 ans, faisant du 36/38…etc, ou encore la jeune femme chic entre 30 et 50 ans, atteignant rarement la taille 40, dotée d’un confortable budget vêtements et qui peut dépenser 300 euros pour chausser ses pieds.
Les autres- trop rondes, trop vieilles, trop grandes, trop petites etc ne constituent pas un « marché » rentable.
En termes économiques, il s’agit d’un raisonnement absurde. Il y a beaucoup plus de gens (femmes et hommes) dans cette dernière catégorie que dans les deux premières. Les gens qui la composent ont souvent un peu d’argent à dépenser. Cette fermeture, cette obéissance aux décideurs, conduit les commerçants à perdre de la clientèle au nom d’idées reçues.

A la recherche…d’une jupe

Il faut la voir portée !
L’indémodable BB, Betty BOOP (ci-dessous) nous rappelle opportunément que certains vêtements ne se démodent jamais. Ils s’adaptent. Comment ne pas penser à la magnifique robe de Marilyn Monroe dans « Certains l’aiment chaud »

Il y a quelques semaines, j’ai été prise d’une envie fulgurante de m’acheter une jupe. Eh oui, même à 70 ans, ça arrive.
Ras le bol des pantalons « slim », qui serrent les cuisses un peu lourdes, les ventres ronds et le reste.
J’ai donc été voir une très belle exposition à Caen (proche de mon lieu de villégiature) sur les Impressionnistes. En effet, à mon âge, il faut un prétexte sérieux pour aller déambuler dans les boutiques.
Je vous résume : « Madame, les jupes qui arrivent au mollet, ça vieillit. » Je m’en fous , je suis déjà vieille.
« Nous avons cette jupe longue, transparente et orange qu’il faut voir portée. » Merci mais je souhaite pouvoir marcher sans me prendre les pieds dedans et si possible ne pas être ridicule.
« Une jupe ? Non, je ne vois pas. A part cette petite jupe en cuir, un peu courte qu’il faut bien sûr porter sur des leggings »

Paris, Bastille : Très belle exposition à la Maison Rouge sur Johannesburg, ses peintres, ses photographes. Mission accomplie, je peux déambuler de Bastille à Nation et manifester mon désir d’une jupe ni trop longue, ni trop courte, ni trop serrée, ni en cuir.

Résumé : « Une jupe ?, non, c’est vrai que nous en avons peu cette année. Ce qui se fait beaucoup d’est la jupe en lurex (un truc qui brille..), pourquoi pas un pantalon? C’est plus cool (la gentille vendeuse mesure 1m50 et ses fesses rebondies sont boudinées dans un pantalon rouge slim). Non, merci, je veux une jupe, vous savez comme on faisait dans le temps.  » Cherchez plutôt chez Damart. » m’assène cette charmante représentante de l’amabilité parisienne.

Ce n’est pas grave me dis-je. Ce ne sera pas la première fois que je marcherais sur ce parcours sans obtenir ce que je veux.

Je me rappelle tout à coup d’un dépôt-vente dans la rue Trousseau. « Le vestiaire de Jasmine ». Et là, miracle, des jupes de toutes les formes, de toutes les longueurs, à ma taille, le tout avec une patronne adorable.

Un conseil aux manifestants : quand vous décidez de déambuler, prenez parfois la tangente.

Merci à Jasmine (pub absolument gratuite) et petit conseil aux décideurs/bureaucrates de la mode : Ouvrez l’oeil sur un autre monde que le votre

Les blessures infligées aux autres…Suite

Le point de vue de Guillaume

J’étais tranquille devant ma télé et tout d’un coup, écran noir !
J’ai observé cet écran en manipulant mes diverses télécommandes. Et si c’était cela la fin, cet écran noir qui me défie.
Il faudrait que j’agisse avant l’arrivée d’Hélène.
Je me suis trouvé assez efficace. j’ai téléphoné au réparateur taciturne qui m’a dit qu’il allait passer dans l’après-midi. Confiant, j’ai essayé de me servir de l’I-PAD que ma fille m’a offert pour Noêl. Je ne suis arrivé à rien. Je l’ai remisé dans un coin.
Le réparateur est venu. Il a parlé dans sa barbe de l’antenne collective et a disparu.
J’ai alors appelé le syndic en pensant qu’Hélène allait être contente de moi. Une jeune fille timide m’a répondu que le technicien était en RTT. J’ai rallumé la télé et contemplé mon écran noir.
J’ai pensé à ma femme Hélène, à ses énervements soudains. Elle va sans doute s’agiter, m’engueuler un peu, hurler contre les RTT. Puis, elle va résoudre le problème. Ses colères parfois injustes, monstrueuses, inadaptées me font peur. Mais je me rassure en pensant qu’elle a dû passer un moment agréable avec sa meilleure amie au bord de la mer et qu’elle devrait être en forme.
J’ai entendu la porte s’ouvrir et perçu une sorte de grognement.
« Bonjour le petit bonhomme, ça s’est bien passé ? » ai-je lancé immédiatement.
Elle a le teint plombé, les traits tirés. Elle s’est écroulée dans le fauteuil stressless, son grand sac mauve à ses pieds. Elle s’est mise à ma raconter son week-end d’épouvante en s’efforçant à l’humour. En même temps, elle fixait l’écran noir.
« Je me suis évanouie. Cette pétasse m’a reproché d’avoir voulu mourir dans ses bras. Elle m’a dit que j’étais le genre de personne à tomber dans les pommes quand un médecin compétent comme elle pouvait s’occuper de moi ! Elle n’a pas cessé de m’insulter. Elle a dit que sous prétexte d’humilité, j’étais juste une non-personne, incapable de faire cuire des pâtes, fermée à tout engagement. puis elle m’a planté sur le trottoir en disant qu’elle souhaitait ne jamais me revoir ! Merveilleux week-end ! » a-t-elle conclu en souriant faiblement.
Je la sens désarçonnée. Mais heureusement, je ne suis pas la cible cette fois-ci.
« Laisse tomber, cette femme est folle. Quand on compare Besancenot à Doriot, on a forcément quelque chose qui ne tourne pas rond. Peut-être m’écouteras-tu à l’avenir quand je te conseillerais de ne pas partir en week-end si tu es mal fichue ? Au fait, la télé est en panne. j’ai fait tout ce qu’il fallait. Rien de tel que des tâches pratiques pour oublier la folie humaine ! »
Le regard fixe d’Hélène passe de l’écran noir à moi avec un éclair de mépris.
« Vous êtes tous méchants » dit-elle
« Oh, oh, ta copine l’est. Pas d’amalgame s’il te plait. C’est bizarre, regarde, quand j’appuie sur ce bouton de la deuxième télécommande, on dirait que ça va marcher… »
Hélène se lève, saisit un gros livre et menace de me l’envoyer dans la figure.
« Tu ne vas pas faire une crise d’hystérie à cause de cette dingue. Allez, ce n’est pas grave. »
« J’avais juste besoin d’un peu de tendresse. je n’en peux plus. Mais qu’est-ce que j’ai fait pour susciter la haine ? Depuis que je suis née, des gens décident de m’exclure pour des raisons que je ne comprends pas. Je n’en peux plus. Je préfère en finir. Et toi, l’homme qui est censé m’aimer et me soutenir dans les moments difficiles, tu me parles de ta sacro-sainte télé ! »
Sa voix d’habitude presque inaudible est montée dans les aigus. Elle semble enfermée dans un profond désespoir. Elle reprend :  » Bon Dieu, mais ce monde est dingue. Qu’est ce que je vous ai fait à tous ! Cette bonne femme me reproche mon incompétence, me traite d’égoïste, de manipulatrice alors que je croyais que c’était mon amie. Et toi, tu es là écroulé sur ton fauteuil, incapable du moindre geste de tendresse, incapable de me foutre la paix avec ta télé. Vous êtes tous des monstres. Je n’en peux plus d’affronter des fous ou des idiots inutiles ! »
Elle pousse un long cri et se met à parcourir l’appartement frénétiquement. Elle dit qu’elle va partir, que nous n’avons plus rien à nous dire, qu’elle ne comprend plus rien à rien. Elle passe et repasse devant moi en essayant de pleurer. Elle remplit son sac de médicaments.
A ce moment précis, je me mets à la haïr.
J’étais tranquille dans ma grotte, enfin aussi tranquille qu’on peut l’être quand on a 75 ans, mal partout et l’interdiction à vie de boire le moindre petit verre d’alcool.
Je ne reconnais plus mon petit copain rigolo dans cette harpie pleurnicharde, vociférante, frappée brutalement par une sorte de syndrome de Tourette qui consiste à aligner des gros mots et à affirmer que le monde entier lui en veut.
Après 50 ans de vie commune, tout se passe comme si elle n’avait jamais compris mon besoin de calme, de distance pour lutter contre mes démons. Elle connait les mots qui me font souffrir, ces mots qui catégorisent, qui transforment mon univers pétri de contradictions en manichéisme simplet.
Je sais que je devrais me taire et attendre que la crise passe. Elle est malheureuse. Je comprends qu’il y a parfois de quoi désespérer des êtres humains.Mais, je sens ma violence remonter peu à peu à la surface. Je lui crie qu’elle est folle, hystérique, détestable, qu’elle n’est pas la seule à souffrir, que si chaque fois que quelqu’un lui fait mal, elle se venge sur moi, alors je préfère être seul, car les êtres humains sont souvent cruels et ce genre d’incidents se reproduira inévitablement.

Nous braillons sans discontinuer. Je lui lance un grand verre d’eau à la figure.

Tout peut s’arrêter.
Rien ne peut s’arrêter.

Les blessures infligées aux autres nous font moins souffrir que celles qu’ils nous imposent… Bizarre, non ?

    ,Hélène et Guillaume vivent ensemble depuis 50 ans, mais tout n’est pas toujours harmonieux.

    Le point de vue d’Hélène

    Je suis écroulée sur mon fauteuil stressless, le téléphone à la main. J’épèle pour la troisième fois mon nom à une jeune fille butée. Cela fait 20 ans que nous sommes locataires dans cet immeuble et une dizaine de fois depuis deux mois que j’appelle le syndic pour des dégâts des eaux, le monceau d’ordures jusqu’au plafond dans le local poubelles, les enfants des voisins qui font leur jogging à n’importe quelle heure.
    Je tapote nerveusement le téléphone et demande à la demoiselle avec un ton pincé si elle souhaite savoir éventuellement pourquoi moi, Hélène, une personne importante et pressée, suis en train de dépenser mon temps précieux avec une débile mentale qui n’est pas foutue de comprendre une adresse du parc immobilier du syndic pour lequel elle travaille. La petite commence à s’énerver. Elle déclare que personne n’a le droit de lui parler sur ce ton, que si Madame est énervée, elle devrait se faire soigner et elle raccroche.
    La colère s’abat sur moi. J’aperçois dans la pièce à côté Guillaume mon mari, assis sur sa chaise, regardant fixement l’écran noir de la télévision. Il est pâle, presque défait. Il évite mon regard courroucé.
    Moi, la timide Hélène, à qui personne ne demande jamais son avis, j’ai tout à coup l’impression de détenir la vérité. Je me surprends à mépriser tous ces ectoplasmes autour de moi. Guillaume a toujours été paresseux et passif. Je m’occupe de tout, même de la télévision que je regarde peu.
    Je passe devant Guillaume, le visage fermé en bougonnant. Il ne réagit pas. Pendant un instant, j’ai peur qu’il ait un malaise. Il parait enfermé en lui-même, au bord d’une décision grave.
    Souvent lors de ces crises, il y a un moment où je ressens une grande tendresse pour lui et où je trouve le courage de m’excuser de mes imprécations tonitruantes. Dans ces cas-là, l’incident peut prendre fin rapidement.
    Mais je ne cèderai pas. J’ai raison. Et puis il y a eu ces minutes interminables passées au téléphone et ce week-end catastrophique avec celle qui était jusque là ma meilleure amie.
    Je ne me demande pas si j’aime ou si je hais Guillaume. il est là, c’est tout. Il a le tort d’être toujours là depuis si longtemps. Je n’ai pas peur de lui. Je peux continuer mon soliloque bruyant et revendicatif. Je peux éructer contre tous les cons de la terre qui ont empêché les gens comme moi, les idéalistes pas méchants , de faire la révolution.

    Je passe et repasse devant Guillaume toujours figé dans son silence. Mon ton monte. Je force ma voix qui devient criarde et aigue. Je veux le faire souffrir. Je m’arrête à côté de lui et observe un instant l’écran toujours noir. Je persifle :
    « Tu attends qu’il se répare tout seul?  »
    Guillaume se tait, j’en profite pour l’enfoncer.
    « Tu penses que j’ai tort de me mettre en colère, que ça ne sert à rien, que je suis folle, paranoïaque. Mais comment penses tu que cette télé va se réparer si je ne fais rien, si je ne m’énerve pas contre l’incompétence.? »
    A ce moment précis, j’ai la certitude que mon énorme colère est justifiée, que je suis la seule à détenir les clés d’une bonne gouvernance sur les abrutis assistés qui sont légion dans ce pays. Mais Guillaume n’est pas sensible à mes arguments. Je sens qu’il me méprise, me hait sans doute. Alors, j’ai envie de lui faire mal. Je le fusille du regard, plantée devant lui.
    Guillaume se tourne vers moi. Son regard est glacé.
    Je doute de moi pendant quelques secondes. Et si j’étais en train de péter les plombs et si ma voix perchée était intolérable et si mes accusations contre le monde entier et Guillaume à propos d’une antenne en panne étaient ridicules, im-pensées, inadaptées et si j’essayais inconsciemment de compenser mon humilité naturelle par une assurance disproportionnée vis à vis de la seule personne dont je sais qu’il ne me veut pas de mal ??

    Sous le regard de Guillaume, je perçois comme en écho le son de mes glapissements. Je pense à mon père, à ses énervements continuels, à sa façon unique de transformer les meilleurs moments en drames.
    Mais aucune rationalité ne peut m’éviter de me sentir confusément victime d’une injustice et je reprends : » Et merde, moi aussi, j’ai le droit de m’exprimer, surtout face à un zombie vissé sur sa chaise devant une télévision morte ! »
    Furtivement, je pense que j’en rajoute, que je pourrais décider d’arrêter ce cirque, et m’excuser.
    Guillaume murmure : »Tu pourrais te calmer. »
    « Mais comment pourrais-je me calmer alors que tu es là, abruti, devant une télé en panne et que, comme d’habitude, je suis la seule à agir pour que cette foutue merde fonctionne de nouveau puisqu’il n’y a que ça qui semble te rendre la vie supportable. »
    « Mais tu ne fais rien, tu hurles. »
    Je reste muette devant tant d’injustice. Je me mets à bombarder les vilains cochons verts des Angry Birds sur mon IPad
    Guillaume se lève difficilement. Il me regarde et assène: » Il vaudrait mieux que tu fermes ton clapet à conneries. »
    Je m’enferme dans mon bureau, trépigne, tente de pleurer. J’attends que Guillaume ouvre la porte, me sourie et que toute cette comédie s’arrête.
    Ma colère est passée. Je m’en suis purgée. Je me demande pourquoi Guillaume a réagi avec cette brutalité.
    Il ouvre la porte pour me dire qu’il n’en peut plus, qu’il a mérité d’être tranquille; qu’il en a assez de mes énervements inutiles, qu’il s’est trouvé sa grotte et qu’il n’y a pas de place dans son refuge pour une harpie vociférante.
    « Tu me fais peur quand tu es hystérique. Je ne supporte pas d’être enfermé dans une catégorie, celle des passifs, des soi-disant incapables d’agir. Quand comprendras tu que nous n’avons pas la même temporalité. »
    Il disparait et j’entends la porte de l’appartement claquer.

    Il me faudra des jours pour comprendre que ma terreur des catégorisations est partagée par d’autres, que moi aussi je peux faire souffrir avec mes agressivités d’ex-timide, mes frustrations de petite bonne femme, ma manière de me venger sur Guillaume des méchancetés que je subis, mes certitudes que je déteste tant chez les autres.