On naît juive, on le devient…ou pas

article paru dans le journal La Croix du 6 mars 2015

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Le terme identité qui vient du latin « identitas=le même » est dangereux parce qu’il risque de réduire un individu à une seule caractéristique, excluant ainsi les autres potentialités qui nous permettent d’aller à la rencontre des autres.
J’écris ici à partir de ces identités multiples.

Au commencement, il y a la naissance en 1940, dans une famille juive athée, à moitié ashkenaze, à moitié séfarade, du nom de Cohen, plus préoccupée à l’époque par la survie que par la transmission d’une culture juive. Ce que je ressens dans les années d’après guerre, c’est que Je porte en moi une sorte de tare –incompréhensible- qui m’a obligée à être cachée, humiliée, rejetée. J’entends mes parents répéter que « c’est comme çà », que « ça recommencera » et que la seule possibilité d’y échapper est de changer de nom, ce qu’ils feront dans les années 50.
Plus tard, la volonté de sortir du tunnel d’angoisse, de culpabilité et d’identité victimaire me fait choisir la révolte, l’universalisme, le mélange, le refus viscéral de toutes les religions qui , selon moi, déresponsabilisent les êtres humains, le rejet du communautarisme , une forme d’auto-célébration mortifère et excluante. « Plus jamais çà (la Shoah) » implique d’aller vers les autres, vers le dialogue, vers la connaissance des autres cultures.
Je n’ai pas changé sur tous ces points. J’ai milité contre la guerre d’Algérie, contre le racisme. J’ai vécu en Algérie après l’indépendance. J’ai affirmé ce que j’ai appelé mon a-sionisme, Israël n’étant pour moi qu’un Etat-Nation comme un autre, qui privilégie le droit de vivre des SIENS au détriment des Palestiniens. J’ai affirmé mon appartenance à la France.
Mais surtout, j’ai été et reste féministe. Pour moi, les combat prioritaires, qui sont au cœur des évènements actuels, ce sont ceux : pour l’éducation des petites filles, la lutte contre le sexisme sous toutes ses formes, contre l’enfermement des femmes, l’instrumentalisation de leur corps, les violences auxquelles elles sont exposées, partout dans le monde, mais beaucoup plus dans certains pays (Pakistan, Inde, Arabie Saoudite …etc)
Assumer le féminin en moi m’a permis de me réconcilier avec une judéité plus positive.
J’ai passé des années à rechercher pourquoi la Française républicaine et laïque que je suis, se sentait aussi viscéralement, profondément juive diasporique. Je ne sais pas ce qu’il y a de réel ou de fantasmé dans cette « identité ». Il est probable que s’il n’y avait pas d’antisémitisme, ancien ou nouveau, je ne me serais jamais posé la question. Paradoxalement, les antisémites fabriquent des juifs !
La blague juive suivante résume à merveille mon ressenti : « Moshe et David tombent du cinquantième étage d’un gratte-ciel. Moshe dépasse David : « ça va ? » lui demande-t-il . Et David répond : « Man lebt. » (On vit)
Je ressens en moi cette force de vie, malgré tout, malgré l’horreur, cette faculté de se battre avec ses failles, ses peurs, de ne pas abandonner, de conserver sa dignité, de ne pas déposer les armes de la raison et de l’intelligence. Je sais que beaucoup de non juifs ont cela en eux mais je crois qu’un peuple opprimé depuis des siècles détient cette pépite plus fortement que d’autres.
Cette force de vie n’a rien à voir avec la religion, ni avec Israël, où certains juifs athées trouvent une autre forme de religion.
Je n’ai pas d’attirance particulière pour Israël mais je refuse que l’on en fasse le bouc émissaire unique de toutes les oppressions qui se produisent dans le Monde. Après avoir combattu sa politique de colonisation au travers de pétitions, réunions interminables, veilles de Femmes en noir à Paris, j’ai décidé que la politique israélienne ne me concernait pas spécifiquement. Les appels de Netanyahou aux juifs européens aboutissent paradoxalement aux mêmes conséquences que l’assimilation par de jeunes français d’origine arabo-berbère entre juifs et Israéliens. J’espère qu’Israël pourra vivre un jour dans la sécurité et la diversité.

En Janvier 2015, j’ai senti renaître en moi les prodromes d’une judéité victimaire. Et puis j’ai réagi. Ma culture juive, c’est celle que j’ai apprise en lisant Kafka, Singer, Primo Levi…C’est une culture de la révolte, de l’absurde, du « dépaysement », du doute, de l’humour, de l’exil par rapport à l’exil. Cette culture là n’exclut pas, elle englobe dans le désordre, Camus, Proust, Virginia Woolf, Toni Morrison, Kateb Yacine, Kamel Daoud,…Cette culture refuse les catégorisations qui enferment.
Je suis une femme pas LES femmes. Je suis une Française juive, pas LES juifs.

Régine Dhoquois-Cohen ( Juriste et sociologue, bénévole pour les étrangers sans-papiers à la CIMADE, Blogueuse), auteure de : « La Politesse » (Autrement), « Appartenance et exclusion » et « Le militant contradictoire »(avec Guy Dhoquois), Ed L’Harmattan .

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