Je me suis installée au premier étage du Café de Flore pour déjeuner tranquillement.
Je mange mon omelette en lisant le journal.
Je suis bien.
Deux jeunes gens arrivent, jeunes cadres, costard, cravate.
Ils s’approchent de mon coin désirable et décident que c’est le bon puisqu’il n’y a personne et pas de bruit.
Je passe sur le « personne ». J’ai l’habitude. On ne voit pas les vieux.
Alors commence un dialogue de sourds : d’abord seule une surdité naissante peut vous inciter à hurler très fort et ensuite parce que l’un n’écoute pas l’autre qui tente de s’infiltrer dans les interstices du monologue de l’un.
Je plie mon journal et je paye.
Je ne suis plus bien.
Je suis avec une très vieille amie.
Elle me propose de venir avec elle dans un magasin chic pour lui dire si la robe qu’elle a repéré lui va bien
J’accepte tout en insistant sur le fait que je dois être à un rendez-vous important une heure plus tard
Bon, la robe lui va pas mal.
Elle me propose de prendre un café
Son teléphone sonne. Elle répond.
J’avance vers le bar , attend, me retourne et ne la voyant pas, je retourne là où son téléphone a sonné. Elle est toujours en communication.
Quand elle raccroche enfin, je lui demande s’il y a quelque chose de grave
« Non-dit-elle- il y avait quelque chose que je ne comprenais pas sur mes relevés bancaires! »
je la salue et m’en vais.
Elle s’excuse vaguement
Ces gens sont supposés être bien élevés.
C’est pas de la parano, c’est juste une sensibilité à la politesse contractée depuis plus de trente ans
C’est le rapport entre ces comportements banals et la barbarie (le fil ténu) que je ne parviens pas à analyser.