Un trajet ordinaire

J’étais assise à l’arrière de l’autobus, là où il y a deux places qui se font face , une marche pour y accéder et aucune barre pour se tenir. Si vous parvenez à vous asseoir, vous passez le reste du trajet à échafauder des plans pour le moment où vous allez descendre.
Assise à l’une de ces places, j’observais la file de voyageurs qui s’allongeait dans « le fond de l’autobus » et calculais mes chances de descendre sans me casser la figure.
Mes pensées furent interrompues par un petit spectacle qui se déroulait dans l’espace identique situé de l’autre côté de l’allée centrale : un vieux monsieur essayait de s’extraire de sa place près de la fenêtre mais se heurtait à la présence d’un gros sac noir situé aux pieds d’un jeune homme, écouteurs sur les oreilles. Un ami du vieux monsieur enleva alors le sac afin qu’il puisse s’extraire.
Le jeune homme courroucé saisit alors le sac, murmura une sorte d’accusation de vol… et le posa sur le siège laissé vacant par le vieux monsieur, sans un regard pour la file de gens debout dans le couloir.
C’est alors qu’un gros monsieur s’écroula à mes côtés non sans m’avoir envoyé son sac à dos dans la figure. Il ne parut pas s’apercevoir que j’existais.
Il y a quelques années, j’aurais sans doute vociféré contre ces incivilités qui ont toujours représenté pour moi la première étape vers des comportements beaucoup plus graves voire létaux.
En regagnant mon appartement, je me sentais gagnée par l’indifférence et j’évoquais cette phrase de Montaigne : » La plus grande chose du monde c’est de savoir être à soi. il est temps de nous dénouer de la société puisque nous n’y pouvons rien apporter. »

Réforme : amélioration apportée dans le domaine social (Petit Robert)

Toute négociation, toute discussion suppose que l’on s’entende sur les mots.

Une modification de la loi pour remédier à un déficit inéluctable n’est pas une réforme. C’est la prise en compte d’un fait objectif et des moyens d’y remédier .(La part des retraités dans la population )

De même, renvoyer les migrants sans papiers est une régression et pas une réforme…etc

On pourrait faire une liste interminable des « fausses » réformes.

Les présenter comme des améliorations rend tout débat impossible.

Ce serait être aveugle ou stupide que de ne pas tenir compte de la nécessité parfois d’adapter la loi à une nouvelle donne.

Dans une économie complètement libérale, on peut s’arrêter là et dire aux gens : « capitalisez, démerdez-vous »

La société française avait jusqu’à ces dernières années un assez bon système de protection sociale. Il est en train de s’effriter.

Les citoyens les moins favorisés ou au contact des exclus le constatent tous les jours. Leur colère contre l’exclusion sociale est parfaitement justifiée.

Ce qui est injustifiable, c’est le mépris de classe auquel ils se heurtent.

La tentation est grande alors de reprendre les slogans de Mai 68 : « Je ne veux pas perdre ma vie à la gagner. » ou « Soyez réalistes, demandez l’impossible. »

Les deux attitudes ne peuvent conduire qu’à la violence dangereuse.

Une seule solution  : Ecouter l’Autre.

Nous savons tous que c’est une tare de nos sociétés , de bas en haut, que de s’écouter parler sans prêter attention au discours de son interlocuteur!

Et ça, c’est difficile à réformer !

Loi sur la fin de vie ? Monsieur Macron doute…

Anselm Kiefer

Monsieur le Président, je vous fais cette lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps…

Vous êtes parait-il (Le Monde du 11 mars 2023) saisi d’un doute salvateur à propos d’une éventuelle loi sur l’euthanasie ou le suicide assisté ?

Vous pensez que « ce doute est la force de la France » ???

Ou voyez-vous le doute dans ce refus réitéré d’entendre 80% des Français qui demandent à être rassurés sur leur fin de vie depuis des dizaines d’années.

Comment expliquez vous que nombre de pays européens aient adopté une loi cohérente (je ne parle pas de la loi française actuelle totalement inadaptée) Ne connaissent-ils pas le doute ?

Au diner à l’Elysée, vous avez une nouvelle fois convié les représentants des religions dont on connait les positions hostiles (et c’est leur droit le plus strict). Est-ce pour alimenter votre « doute? »

Monsieur le Président, pour qui vous prenez-vous ? Vous êtes le président des Français. Votre devoir est de les écouter . Mais une fois de plus, vous favorisez les plus nantis qui connaissent des médecins ou peuvent payer 10OOO euros pour en finir avec une vie intolérable.

Moi aussi, je doute (par exemple de l’existence de Dieu et heureusement je vis – tout au moins le croyais-je- dans un pays laïque)

Mais ce que je sais, c’est que je ne veux pas finir ma vie dépendante, souffrante, ayant perdu l’esprit, atteinte par une grande vieillesse invalidante.

Je n’impose cela à personne. C’est ma décision et j’espère parvenir à une IVV (interruption volontaire de vie) NON VIOLENTE quand je l’aurais décidé, quitte à désobéir à la loi, parce que l’on doit désobéir aux lois injustes.

Comme le dit Boris Vian : « J’irais par les chemins et je dirais aux gens , Refusez d’obéir »

Le suicide assisté ne nuit à personne, même pas aux soignants.

Alors, ou est le problème ?

Pour Macron et sa bande, le peuple n’a pas d’intérêt

– « Gisèle Halimi, par ses mots avait fait changer la loi. » (discours du Président en hommage à Gisèle Halimi le 8 mars 2023)

Ah bon ? Ainsi les dizaines de manifestations des féministes dans les années 70 réclamant l’avortement libre et gratuit, les milliers de femmes dans la rue, les articles dans « Le Torchon Brûle »,les meetings, le MLAC etc etc n’auraient servi à rien ! Les mots d’une femme célèbre auraient suffi pour changer non seulement la loi mais les mentalités, l’idéologie patriarcale ? Quelle curieuse conception de la démocratie !

A l’instar des millions de militants et de travailleurs qui ont manifesté contre la loi sur les retraites, je me sens humiliée par ce discours, invisibilisée.

Comme beaucoup de citoyens, je me demande si je voterai encore aux prochaines élections.

En agissant ainsi, Monsieur le président, vous ouvrez un boulevard à l’extrême droite. Si cela devait arriver vous en seriez responsable.

Françoise Basch s’est endormie pour toujours

C’était mon amie. Elle était bienveillante, drôle, attentive

A l’âge de 93 ans, cette spécialiste de la civilisation britannique, petite fille de Victor Basch avait traversé des moments douloureux. Mais elle avait cette capacité étonnante d’être toujours à l’écoute.

Nous nous étions connues à Paris 7, au Groupe d’études féministes puis au CEDREF (Centre d’études, de documentation et de recherche féministe) dans les années 70, perdues de vue, puis revues par hasard.

Elle voulait mourir dans la dignité. Même si je suis horriblement triste de ne plus la savoir proche de moi, je suis contente qu’elle se soit endormie doucement dans son sommeil, comme elle le souhaitait.

Je ne t’oublierai pas

Les vieux n’ont pas d’histoire

Les vieux n’ont pas d’histoire.
(sauf les maladies et la mort)

C… est très heureuse : son fils passe la voir pendant quatre jours. C’est le meilleur des fils : attentif, il prend en charge les travaux ménagers : débarrasser la table, faire les lits ….
Elle a programmé une rencontre avec nous, ses amies, pour le dimanche après-midi. Mais, le matin, elle nous téléphone : son fils a le nez qui coule, elle aussi, et il pense que ce serait plus prudent que nous ne nous voyions pas de trop près.
Mon nez aussi coule un peu, ceci ne me semble pas une bonne excuse. Par contre, j’admets que la mère et le fils veulent rester en face à face, et que nous, les amies, pourrions perturber leur bonne entente.
Pourtant, à y repenser, je commence à voir les choses autrement. Je renverse la situation : quand mes enfants me présentent leurs ami/es, je suis toujours très heureuse de les connaître. J’ai « naturellement’ une très grande curiosité pour leur vie. Je sais, je risque d’être la mère abusive, la mère possessive, mais il me semble qu’il est naturel, puisque je les aime, de deviner un peu une partie de leur vie, à travers leurs amis. Je ne demande rien, d’ailleurs, mais je me réjouis quand ils m’offrent ainsi un morceau de leur vie affective.
Je crois avoir fait une découverte : la situation n’est pas réciproque. Nos enfants ne s’intéressent pas à nos vies. C’est comme une loi de la nature. La flèche de l’intérêt sera toujours à sens unique.
Car, quel intérêt offrent nos vies à nos enfants ? nous sommes le passé. Avons-nous même une vie digne d’intérêt ? Bons enfants, ils s’intéressent bien sûr à nos maladies, voire, à nos souffrances. Mais devant la montée des nouveautés, des tragédies qui nous menacent, des actualités vibrantes, nous nous trouvons, du fait de notre relégation dans la vieillesse, hors du coup.

jf, Hyères, 29/01/2023

L’interruption volontaire de vie : sujet délicat ?

On en parle avec des hésitations, des réserves, des atermoiements, une certaine procrastination.

Je parle ici de liberté : c’est à moi seule de décider si je supporte la souffrance, la dépendance, la vulnérabilité, le sentiment d’inutilité, l’invisibilité.

Je n’oblige personne à choisir l’IVV.

Certes le suicide n’est pas interdit mais le suicide demande soit des connaissances médicales, des relations dans le milieu médical ou des formes de violences inacceptables.

Ce que je demande c’est que l’on respecte mon choix de mourir si je ne supporte plus de vivre comme un légume

Si les médecins ne veulent pas le faire, que l’on me laisse accéder à la pilule magique . Ils ne risqueront rien. Et moi je mettrai fin à un calvaire parce que la liberté est pour moi l’une des seules valeurs qui compte.

De quel droit des gens qui ne connaissent rien de moi s’arrogeraient le droit de m’empêcher de quitter ce monde.

Personne ne m’a demandé si je souhaitais venir au monde en 1940 dans un monde en guerre et antisémite.

Facebook ne veut pas de moi : Les réseaux sociaux et la démocratie

Pour diverses raisons, j’avais décidé d’ouvrir un compte Facebook.

Je m’inscris, trouve un mot de passe et commence à chercher des « amis » , comme ils disent.

C’est alors qu’apparait sur l’écran brutalement l’annonce suivante : « Votre compte a été désactivé. Vous ne pouvez pas utiliser Facebook car votre compte n’a pas respecté les standards de la communauté »

Je clique sur « contester ». Aucune réponse

Quelques jours plus tard, j’essaye de me reconnecter et je trouve la même phrase assortie d’une autre : « Nous avons déjà examiné cette décision et elle ne peut pas être annulée. »

J’erre de page en page pour essayer de trouver une sorte de contact humain qui m’explique pourquoi je suis ainsi exclue alors même que je n’ai rien écrit. IMPOSSIBLE

La justice a beau dysfonctionner trop souvent, elle existe : on peut porter plainte, aller devant un juge, faire appel, rencontrer des êtres humains…

Dans le cas de Facebook, me voila punie pour un motif que j’ignore.

C’est peut être un bienfait de ne pas être sur ce réseau social mais on a beau dire, être exclue pour une raison inconnue, c’est très désagréable.

Alors je lance un appel : Y-a-t-il de nombreux cas de ce genre ? Que faire ?

Je connaissais la méchanceté et la connerie sur Twitter. Je connais maintenant une forme de dictature sur Facebook

Ce monde est décidément merveilleux.

« Sous le ciel de Paris. Le petit monde du Pletzl » de K. Benech (Ed Fabert)

J’ai beaucoup aimé ce livre, malheureusement passé presque inaperçu.

K. Benek est né en 1905 à Lodz en Pologne. Réfugié à Paris après la guerre, il travaille et passe son temps libre à écrire en yiddish.

Dans ce livre paru en 1957 et traduit en français en 2020 par Serge-Alain Rozenblum, il met en scène dans des nouvelles, le petit monde juif de Paris.

Son écriture est simple, lumineuse et surtout pleine de tendresse pour ces gens du Pletzl, ballottés de pays en pays, survivants mais capables de rire.

Il réussit à transmettre l’atmosphère d’un quartier juif et populaire, avec tendresse et humour.

C’est la petite histoire dans la grande qu’il nous raconte.

Maternité (Jacqueline Feldman)

On élève ses enfants, le mieux qu’on peut. On guide avec quel bonheur, leurs premiers pas hésitants. On leur apprend tant bien que mal, la vie, la société, autant qu’on en sait soi-même, ce qui se révèle, en définitive, bien peu : la société change si vite.

Puis, c’est la maturité, ils volent de leurs propres ailes, ils expérimentent, ils essaient, ils se trompent, ils apprennent, on ne peut plus grand-chose pour eux. Leur génération s’estime en avance sur la nôtre, nous sommes mises à l’écart, des potiches que la morale leur demande de respecter, sinon d’aimer (l’amour se commande mal).

Et puis, les voila frappés à leur tour par l’aile de la vieillesse. Désarçonnés soudain dans leurs désirs, freinés dans leur élans, comme nous l’avons nous-mêmes été, il y a quelques temps, ils prennent conscience du temps qui coule, et avec conscience des générations, de l’avant, de l’après, de la mort, de l’oubli.

Et les voilà qui nous reviennent un peu, puisque ce drame inévitable qui leur tombe dessus, nous l’avons déjà connu et pouvons peut-être, à nouveau, les guider. Nos cheveux blancs retrouvent la fonction de maternité.