L’Immigration est un vrai sujet politique.

A droite et à l’extrême droite, elle est au centre des débats.
A gauche et à l’extrême gauche, on aborde le sujet avec timidité, de peur de ne pas être politiquement corrects.
Ce silence est une grave faute politique qui favorise la montée de l’extrême droite et de la xénophobie.

1 – Remettre les chiffres dans leur contexte mondial :
– Les réfugiés : Environ 50 millions de personnes sont déplacées contre leur gré aujourd’hui sur notre planète. La moitié sont des enfants. 86% de ces réfugiés vivent dans des pays en voie de développement. 14% tentent leur chance dans les pays développés.
Environ 400000 personnes ont demandé l’asile dans les 28 Etats membres de l’UE. Parmi eux, 123000 l’ont demandé en Allemagne, 60000 en France et 60000 en Suède. En Europe le taux de rejet des demandes d’asile est d’environ 66%. Il est de 83% en France Chaque année la France accepte environ 10000 réfugiés sur son territoire alors que plusieurs millions de Syriens, Erythreens, Soudanais, Irakiens, Congolais, Nigerians… sont chassés de leurs pays par des guerres et des massacres inter-religieux, interethniques etc

Les immigrés en situation régulière en France
– Selon l’INSEE, les immigrés sont des personnes nées étrangères à l’étranger et venues s’installer en France. Ils sont 5600000 en France dont 2300000 sont français (soit 41%) et 3300000 étrangers (soit 59%). Leur histoire a été marquée par les migrations.
Sur ces 5600000 immigrés, 3900000 vivent en France depuis au moins une décennie.
Le pourcentage d’immigrés en France est passé d’environ 2% en 1911 à 9% en 2012.
Au total un cinquième de la population française est soit née à l’étranger, soit née ‘au moins d’un parent étranger.

Les étrangers en situation irrégulière en France
: ils seraient entre 200000 et 400000. Déboutés du droit d’asile dans l’impossibilité de rentrer dans leur pays, immigrés économiques, femmes fuyant les violences.35000 d’entre eux ont été régularisés en 2013, pour des raisons familiales majoritairement. Les régularisations au titre du travail n’ont concerné que 2000 personnes.

Ces étrangers posent-ils des problèmes réels :
Les chiffres ne montrent aucun « envahissement » de la France. Par contre la concentration de populations étrangères ou d’origine étrangère, souvent pauvres, dont une partie minime mais visible tombe dans la délinquance pose un vrai problème qu’il faut nommer et tenter de résoudre, non pas par l’assimilation mais par plus d’intégration à la société française.
Cette intégration-qui ne doit pas nier la culture d’origine- peut prendre du temps. Les Polonais, les Italiens et les Espagnols, qui ont migré dans la première moitié du XX° siècle sont-ils considérés comme français par les militants frontistes ?

Ces immigrés ont-ils un coût ? D’une part, ils alimentent le travail au noir, ce qui constitue un cout indirect pour le pays mais un revenu direct pour les patrons qui les emploient.
Ils bénéficient en outre de l’Aide médicale d’Etat qui leur permet de se faire soigner et d’avoir des médicaments sans frais.L’AME évite les épidémies ou l’aggravation de certaines maladies.

A ces problèmes réels, on peut ajouter des problèmes secondaires comme la gêne causée notamment par l’habillement et la nourriture de certains musulmans (qui ne sont pas tous Arabes) . Pour être secondaires, ils n’en sont pas moins existants.

A moins de construire des murs autour de la France, on voit mal comment empêcher les arrivées de migrants prêts à mourir pour fuir des situations dramatiques d’ordre économique ou politique. Il faut donc gérer ces problèmes. Il faut en parler. Ils doivent faire l’objet de politiques nationales, européenne et mondiale.
Mais qui a la solution pour empêcher la guerre en Syrie ou au Soudan ou la dictature meurtrière en Erythrée par exemple ?
S’il faut tenter d’agir dans les pays de départ avec probablement peu de succès, l’action la plus importante est à faire dans nos pays. Elle est d’ordre psychologique, comme par exemple se mettre à la place de ces errants qui n’ont qu’une vie, comme nous, et veulent la vivre le moins mal possible et les accueillir sur des bases juridiques claires et égales pour tous. Tenter d’avoir une politique migratoire européenne qui permette de répartir ces hommes et ces femmes entre les pays européens, en fonction de leur langue, de leurs qualifications. Il faut aussi probablement que des associations d’immigrés se créent dans les pays d’origine et dans nos pays pour prévenir ces migrants de ce qui les attend ou ne les attend pas en Europe. Tout n’est pas de la responsabilité des pays d’accueil.

« La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais elle peut en prendre sa part » avait dit courageusement Michel Rocard. Tous ceux qui le lui reprochent sans présenter de solutions viables pour accueillir correctement les immigrés aident à la montée de l’extrême droite, de la xénophobie, voire du fascisme.
Qui peut ignorer cette caractéristique fondamentale de la condition humaine : le refus de celui qui est Autre, à priori, sa constitution en bouc émissaire. On ne combat pas cette dérive par des mots mais par des actes et des politiques cohérentes et planifiées.

Passeuses de vie

MANIFESTE : LES PASSEUSES DE VIE

NOTRE VIE NOUS APPARTIENT

Des affaires récentes en Italie, en Espagne, ont à nouveau soulevé la question de la liberté de choisir sa mort. L’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité) va bientôt publier un Livre blanc et interpeller les candidats à la présidence de la République française sur leurs propositions pour la fin de vie. Des pays européens, la Belgique, la Hollande, ont eu le courage d’affronter le problème à travers des lois autorisant sous conditions l’euthanasie. En France, une loi hypocrite, la loi Leonetti, du 22 Avril 2005, prône le « laisser mourir » . Imprégnée d’interdits religieux, elle n’ose aborder de front le problème de la mort, systématiquement éludée dans notre société et renvoyée à des solutions hospitalières pratiquées dans la plus complète anarchie et créant une inégalité devant la mort et la souffrance. En fait elle décharge les médecins de leur responsabilité en les autorisant à « laisser mourir de faim et de soif » les patients, une fois débranchés.

Intolérable la cruauté qui accule ceux et celles qui veulent en finir avec la vie à recourir à des moyens violents, défenestrations, recours à des sacs en plastique pour étouffer, saut du haut de falaises, pendaison … Et à vivre leurs derniers moments dans la solitude et la honte. Qu’en est-il de la fameuse compassion chrétienne ?

Intolérable le déni de la liberté individuelle qui sous-tend ce refus de prendre en compte le choix de chacun à décider de sa vie et de sa mort quelques qu’en soient les raisons. Il représente une des poches de résistance les plus tenace à l’émancipation de l’individu, censée être la caractéristique de notre temps.

Les signataires de ce Manifeste se situent résolument dans la lignée des combats pour la laïcité et la liberté de disposer de sa personne, dont la dernière conquête fut celle de la contraception et de l’avortement libres.

La possibilité de décider de sa fin consacre le sujet dans son humanité à double titre. Elle est l’expression la plus achevée d’un libre-arbitre dégagé des interdits collectifs et d’une peur irraisonnée de la finitude. Elle affronte l’idée de la mort et assume ses responsabilités face à elle. Elle procède le plus souvent d’une longue préparation – « Vivre c’est apprendre à mourir » Montaigne – qui entraîne pour celles et ceux qui le souhaitent sérénité face à la mort. Cette possibilité n’est en aucun cas une obligation comme le prétendent les opposants à la liberté de choix, dans une regrettable confusion.

Notre propos n’est pas tant de revendiquer une loi que de poser les exigences suivantes à la collectivité dont nous sommes partie prenante.

Nous affirmons qu’il n’y a pas de «raisons» à fournir pour décider de mourir (maladie grave, handicap, grande vieillesse…) Chacun(e) est libre de décider des siennes, sans jugement ou interventions extérieures.

Nous demandons que soit facilitée l’information sur les moyens et les méthodes les plus fiables d’en finir. C’est le devoir élémentaire d’assistance à personne en souffrance.

Nous exigeons la fin des poursuites pour toute personne – médecin, soignant ou autre – ayant aidé et accompagné quelqu’un dans son ultime choix.

Nous déclarons être prêt/es à nous procurer les moyens les plus adaptés à cet objectif et à porter assistance à ceux et celles qui nous le demanderaient.

Régine Dhoquois, Juriste et sociologue, Université de Paris VII
Andrée Michel, Sociologue, Directrice de recherches honoraire au CNRS, auteure
Anne Zelensky, Professeure agrégée, auteure, Présidente de la Ligue du Droit des Femmes

A-t-on encore le droit d’être athée dans ce pays ?

Hier nous étions une centaine devant l’Assemblée nationale au moment où commence la discussion du projet de loi sur la fin de vie à l’Assemblée nationale, à dire notre colère contre une demi mesure, qui n’autorisera toujours pas LES SEULES PERSONNES QUI LE SOUHAITENT à finir leurs jours dignement.

Manifestation de l'ADMD du 10 Mars 2015

Manifestation de l'ADMD

Nous avons dit : « je suis Charlie » le 11 janvier 2015 : cela voulait dire, je suis libre de m’exprimer, de vivre et de mourir comme je l’entends.Personne et surtout pas les religions établies ne sont autorisées à m’empêcher de choisir ma mort dans la mesure où cette liberté ne nuit à personne.
Photo prise le 11 janvier 2015

Or Le bien-pensant journal Le Monde publie dans son numéro du 10 Mars 2015 un Manifeste signé par : P. Barbarin (catholique), F. Claveiroly (protestant), H.Korsia (Juif), M. Moussaoui(Musulman) où ils déclarent notamment :« Nous lançons un appel commun, inquiet et pressant, pour qu’une éventuelle nouvelle loi ne renonce en aucune façon à ce principe fondateur : toute vie humaine doit être respectée spécialement au moment où elle est le plus fragilisée. »

Au secours, ils reviennent. Nous sommes nombreux à être athées, laïques et à vouloir finir nos jours, le plus sereinement possible, entourés par nos proches. Nous sommes nombreux à ne pas vouloir faire subir à ceux que nous aimons les horreurs d’une accablante fin de vie.

Nous avions rédigé il y a quelques années avec Anne Zelinsky et Andrée Michel un manifeste pour une fin de vie choisie. Il est toujours d’actualité. C’est l’article qui précède : Passeuses de vie

On naît juive, on le devient…ou pas

article paru dans le journal La Croix du 6 mars 2015

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Le terme identité qui vient du latin « identitas=le même » est dangereux parce qu’il risque de réduire un individu à une seule caractéristique, excluant ainsi les autres potentialités qui nous permettent d’aller à la rencontre des autres.
J’écris ici à partir de ces identités multiples.

Au commencement, il y a la naissance en 1940, dans une famille juive athée, à moitié ashkenaze, à moitié séfarade, du nom de Cohen, plus préoccupée à l’époque par la survie que par la transmission d’une culture juive. Ce que je ressens dans les années d’après guerre, c’est que Je porte en moi une sorte de tare –incompréhensible- qui m’a obligée à être cachée, humiliée, rejetée. J’entends mes parents répéter que « c’est comme çà », que « ça recommencera » et que la seule possibilité d’y échapper est de changer de nom, ce qu’ils feront dans les années 50.
Plus tard, la volonté de sortir du tunnel d’angoisse, de culpabilité et d’identité victimaire me fait choisir la révolte, l’universalisme, le mélange, le refus viscéral de toutes les religions qui , selon moi, déresponsabilisent les êtres humains, le rejet du communautarisme , une forme d’auto-célébration mortifère et excluante. « Plus jamais çà (la Shoah) » implique d’aller vers les autres, vers le dialogue, vers la connaissance des autres cultures.
Je n’ai pas changé sur tous ces points. J’ai milité contre la guerre d’Algérie, contre le racisme. J’ai vécu en Algérie après l’indépendance. J’ai affirmé ce que j’ai appelé mon a-sionisme, Israël n’étant pour moi qu’un Etat-Nation comme un autre, qui privilégie le droit de vivre des SIENS au détriment des Palestiniens. J’ai affirmé mon appartenance à la France.
Mais surtout, j’ai été et reste féministe. Pour moi, les combat prioritaires, qui sont au cœur des évènements actuels, ce sont ceux : pour l’éducation des petites filles, la lutte contre le sexisme sous toutes ses formes, contre l’enfermement des femmes, l’instrumentalisation de leur corps, les violences auxquelles elles sont exposées, partout dans le monde, mais beaucoup plus dans certains pays (Pakistan, Inde, Arabie Saoudite …etc)
Assumer le féminin en moi m’a permis de me réconcilier avec une judéité plus positive.
J’ai passé des années à rechercher pourquoi la Française républicaine et laïque que je suis, se sentait aussi viscéralement, profondément juive diasporique. Je ne sais pas ce qu’il y a de réel ou de fantasmé dans cette « identité ». Il est probable que s’il n’y avait pas d’antisémitisme, ancien ou nouveau, je ne me serais jamais posé la question. Paradoxalement, les antisémites fabriquent des juifs !
La blague juive suivante résume à merveille mon ressenti : « Moshe et David tombent du cinquantième étage d’un gratte-ciel. Moshe dépasse David : « ça va ? » lui demande-t-il . Et David répond : « Man lebt. » (On vit)
Je ressens en moi cette force de vie, malgré tout, malgré l’horreur, cette faculté de se battre avec ses failles, ses peurs, de ne pas abandonner, de conserver sa dignité, de ne pas déposer les armes de la raison et de l’intelligence. Je sais que beaucoup de non juifs ont cela en eux mais je crois qu’un peuple opprimé depuis des siècles détient cette pépite plus fortement que d’autres.
Cette force de vie n’a rien à voir avec la religion, ni avec Israël, où certains juifs athées trouvent une autre forme de religion.
Je n’ai pas d’attirance particulière pour Israël mais je refuse que l’on en fasse le bouc émissaire unique de toutes les oppressions qui se produisent dans le Monde. Après avoir combattu sa politique de colonisation au travers de pétitions, réunions interminables, veilles de Femmes en noir à Paris, j’ai décidé que la politique israélienne ne me concernait pas spécifiquement. Les appels de Netanyahou aux juifs européens aboutissent paradoxalement aux mêmes conséquences que l’assimilation par de jeunes français d’origine arabo-berbère entre juifs et Israéliens. J’espère qu’Israël pourra vivre un jour dans la sécurité et la diversité.

En Janvier 2015, j’ai senti renaître en moi les prodromes d’une judéité victimaire. Et puis j’ai réagi. Ma culture juive, c’est celle que j’ai apprise en lisant Kafka, Singer, Primo Levi…C’est une culture de la révolte, de l’absurde, du « dépaysement », du doute, de l’humour, de l’exil par rapport à l’exil. Cette culture là n’exclut pas, elle englobe dans le désordre, Camus, Proust, Virginia Woolf, Toni Morrison, Kateb Yacine, Kamel Daoud,…Cette culture refuse les catégorisations qui enferment.
Je suis une femme pas LES femmes. Je suis une Française juive, pas LES juifs.

Régine Dhoquois-Cohen ( Juriste et sociologue, bénévole pour les étrangers sans-papiers à la CIMADE, Blogueuse), auteure de : « La Politesse » (Autrement), « Appartenance et exclusion » et « Le militant contradictoire »(avec Guy Dhoquois), Ed L’Harmattan .

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Deux cibles : l’humour et les juifs

Après des dizaines d’années de recherche de mon identité juive, autre que victimaire, j’avais décidé d’abandonner, d’être logique avec mon refus des communautés enfermées dans une auto-célébration mortifère.
Le 7 janvier 2015, mon utopie n’a pas disparu mais a été ébranlée.
Je suis athée, je ne suis pas sioniste mais je suis née avec un nom juif, dans une famille juive laïque. Que je le veuille ou non, je suis juive, entre autres défauts et qualités, et je le serai jusqu’à la fin de mes jours.
Du fonds de leur profonde bêtise, les terroristes semblent avoir trois cibles en Europe : l’humour, les juifs et ceux qui les protègent.
(Un petit rappel pour les personnes mal informées : l’humour consiste à se moquer de soi-même, contrairement à l’esprit.)
Certains juifs ont développé au cours de siècles d’oppression une forme d’autodérision qui tente de rire de la persécution, du mépris, de la mort ou de la souffrance comme identité.
Deux exemples d’histoires juives : Moshe et Elie tombent du 50 ième étage d’un gratte-ciel. Moshe, plus léger, dépasse Elie. « ça va ? » lui demande-t-il. Elie répond : »Man lebt » (On vit) Et :« Pourquoi les juifs ne prennent pas d’aspirine ? Parce que ça enlève la douleur. »
De grands penseurs ont tenté de comprendre l’antisémitisme. Léon Poliakoff confessait à la fin de sa vie qu’il n’était pas sûr après des années de recherche d’y avoir compris quelque chose.
Daniel Sibony dans une conférence récente avançait une hypothèse intéressante : L’antisémitisme pourrait s’expliquer par cette disposition qu’ont les juifs (certains d’entre eux) de vivre bien avec leurs failles, de re-vivre après l’horreur, de s’épanouir dans la Diaspora. Le vrai humour juif est l’une des illustrations de ce talent.
(Que l’on me comprenne bien : tous les juifs n’ont pas d’humour, des non juifs comme Desproges ont cette forme d’humour et il ne suffit pas d’avoir souffert ou de venir d’un peuple qui a souffert pour avoir de l’humour.Mais qu’on le veuille ou non, il y a une spécificité intéressante de l’humour juif.)
A cette ancienne forme d’antisémitisme, s’ajoute la nouvelle cuvée anti-sioniste/antisémite liée à la politique israélienne.
Israël s’est constitué en Etat-Nation et au lieu de tenter la paix, fait la guerre au nom de sa soi-disant intégrité . Tout nationalisme guerrier qui porte gravement atteinte à un autre peuple est scandaleux. La guerre de Poutine en Ukraine en est un exemple récent qui n’a rien à voir avec les juifs (ni avec l’humour). Nos vieilles utopies internationalistes et multiculturelles se fondaient(et se fondent toujours) entre autres sur le refus du nationalisme excluant.
On peut tenter de comprendre mais en définitive, cette haine des juifs est inexplicable. Elle est absurde mais elle EST.
« Tout est Histoire ». (Guy Dhoquois)
Depuis le 7 janvier, il m’arrive de penser en conseillant les sans-papiers à la CImade, que leurs enfants voudront plus tard trucider des dessinateurs ou des juifs ou des policiers, parce qu’ils se sentiront mal en France. Je tente d’aider ces femmes et ces hommes, prêts à tout pour vivre en France et ne pas retrouver la misère ou l’oppression de leur pays d’origine.Bien sûr, je continuerai à le faire et je continuerai à ne pas comprendre ce qu’Amin Maalouf appelait : « Les identités meurtrières ».
Même pas peur. Je refuse de laisser tomber mes idéaux pour une cohorte de décervelés.

L’errant (Chagall) juif ou pas

La règle du jeu

Dessin publié par Valeurs Mutualistes (MGEN)

Et voici revenu le temps de l’Instruction civique et de l’enseignement de la Morale à l’Ecole, comme moyens de lutte contre les fanatismes de toutes sortes.
Je suppose que cet enseignement est différent d’un professeur à l’autre et il ne s’agit pas de jeter l’opprobre ni sur la connaissance des Institutions françaises ni sur la Morale.
Mais,le seul instrument pratique dont se sont dotés les sociétés humaines est le Droit. Ce sont les grands principes du Droit français et international qu’il s’agit d’enseigner. L’article 1134 du Code civil énonce l’essentiel des principes qui fondent notre Droit :« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. » Ce texte porte en lui l’essentiel, à savoir, la suprématie de la loi, la contractualité qui entraîne la responsabilité des co-contractants dans l’application des contrats qu’ils ont conclus dans le cadre des lois de la République.
Tous les enfants jouent à des jeux sportifs ou de société. Ils savent tous que les jeux ont des règles que l’on ne doit pas transgresser. Que serait un match de foot ou de hand ou de tennis ou les jeux vidéo sans règles ?

Le Droit est la règle du jeu social qui entraine des sanctions (des penalty) si on ne l’applique pas. C’est le droit qui permet le vivre-ensemble.Or, curieusement, les grands principes du droit ne figurent pas dans les programmes scolaires. Quand on évoque le droit, certains pensent punition, droit pénal. Mais le droit du travail permet que les travailleurs ne soient pas trop exploités, le droit de l’environnement, au prix de batailles judiciaires moins meurtrières que les guerres, autorise une relative préservation de l’environnement…etc
C’est le droit qui permet de poursuivre les violeurs, les pédophiles. Certes, il faut parfois se battre pour le faire respecter.Alors, battons-nous, battez-vous pacifiquement.

Les enfants ne pourraient pas comprendre le droit entend-on. Tous les enfants qui ont joué savent l’importance des règles Il ne s’agit pas de faire un cours de droit mais d’en donner à comprendre les principes organisateurs d’une société humaine. Les enfants ou les adolescents apprendront à sortir des idées reçues sur le droit qui se résument parfois à la peur de la punition, par exemple ,s’ils fraudent dans le métro. Il s’agit de leur faire comprendre que ce qui peut parfois les punir, les protège. Un ado qui compose de la musique prône la liberté d’Internet. En sera-t-il de même quand sa musique sera plagiée ? Le droit n’échappe pas aux contradictions. il tente de les ordonner.
Seule l’acceptation des règles du jeu par les co-contractants permet à une entreprise de fonctionner par exemple. Signer ou accepter un contrat, c’est bien sûr renoncer à certains avantages ou libertés au profit d’un but commun.Ce qui compte, c’est la tranquillité fondée sur la certitude d’un recours en cas de non application de la règle.

Je ne parle pas ici du Droit fondé sur l’inégalité des personnes (notamment entre hommes et femmes ou entre blancs et noirs…etc). Je parle d’un droit fondé sur l’égalité des personnes, la liberté d’agir et de penser…dans le cadre des lois et donc de la liberté d’autrui.
« La liberté d’autrui n’est pas la limite mais la condition de notre liberté. » Simone de Beauvoir

A propos de la liberté dans le couple et de la liberté en général

j’ai toujours été partisane de la liberté et de la transparence dans le couple.
Cette prise de position a l’air simple.
Elle est en fait extraordinairement compliquée à mettre en oeuvre et ne peut se construire que sur la sincérité.

Dans la cité, on n’est jamais seul. La liberté n’existe que si on lui met des limites afin de respecter celle des autres. C’est à cela que servent entre autres la morale et le droit ( la seule morale ne suffit pas. Elle est souvent subjective)
Pour beaucoup d’êtres humains, leur liberté est une fin en soi. Cette conception de la liberté comme absolu peut avoir des conséquences dramatiques.
Don Juan est libre et il le proclame. Sa liberté est criminelle pour les femmes qu’il approche.
La liberté ne peut se concevoir que comme le résultat d’une négociation, d’un compromis plus ou moins bancal mais acceptable pour les partenaires.
Certains hommes ont de la liberté une conception égotiste. Leur liberté est l’hypothèse. Aucune concession n’est envisageable. Le terme concession est en soi dégoutant pour ces gens (hommes ou femmes mais pour des raisons historiques plus souvent des hommes)) enfermés dans leur narcissisme.
Certes, eux aussi sont aliénés. Mais si ceux qu’ils font souffrir acceptent d’être maltraités, ces personnages pourront vivre leur vie entière au chaud dans leur égotisme. Refuser la soumission à un ordre aliénant est une obligation morale. Il faut parfois plus de courage pour refuser que pour accepter.
Stendhal aimait la concision et la précision du Code Civil. On y trouve les fondements d’une société à peu près démocratique. » La condition résolutoire est sous-entendue dans les contrats synallagmatiques au cas où l’une des parties ne respecterait pas ses engagements » (Art 1184)(synallagmatiques signifie réciproques)
La vie amoureuse échappe au droit et heureusement. Elle relève cependant des mêmes règles sur la responsabilité et le respect des contrats implicites ou explicites. Elle n’est pas extérieure à la vie en société. Même si elle n’a pas de limites juridiques, elle trouve ses bornes dans le respect de la sensibilité de l’autre.
S’il y a incompatibilité entre deux conceptions de la liberté, l’arrêt de la relation dans la plus complète transparence sera la seule solution acceptable.

Aucune société ne peut être fondée sur une liberté sans bornes, à moins d’imaginer un paradis terrestre où chacun d’entre nous aurait intériorisé les limites de sa propre liberté au regard de celle d’autrui.On est loin du compte.

(Ce petit texte m’a été inspiré par le récit d’échecs amoureux, de souffrances infligées par la cuistrerie et la lâcheté de l’un des partenaires.)

Kamel Daoud : « Meursault, contre-enquête » l’Algérie au coeur

Plage d'Oran au 19° siècle

Kamel Daoud est algérien. Il est né en 1970 à Mostaganem.
Il a fait toute sa scolarité en arabe, comme la plupart des enfants algériens nés après l’indépendance.
Il a vécu, entre 20 et 30 ans, la sale guerre des années 90.
Il n’a pas connu l’Algérie française.

Le livre de Kamel Daoud m’a ému aux larmes, au point de le relire plusieurs fois. Son idée est lumineuse : rendre une identité à l’Arabe de « l’Etranger ». Peu importe que ce ne soit pas le meilleur livre de Camus, comme l’insinuent quelques critiques malveillants et stupides avec condescendance à l’égard de Kamel Daoud.

Daoud a su à merveille, dans son premier roman, manier les contradictions: L’Européen a tué l’Arabe et n’a pas été condamné pour cela. Le héros de Daoud tue un Français quelques jours après l’indépendance et ne sera pas non plus puni. Son crime n’a pas de sens, à moins que ce ne soit une piètre vengeance.

Il prend conscience de l’absurdité et de la facilité du crime :  » Quand j’ai tué, donc, ce n’est pas l’innocence qui par la suite, m’a le plus manqué, mais cette frontière qui existait entre la vie et le crime. » et : » L’Autre est une mesure que l’on perd quand on tue. »

Il va plus loin et se demande finalement si l’assassinat n’est pas un moyen de tout résoudre, y compris ses petits problèmes personnels. Certains l’ont fait et continuent à le faire dans notre monde. On ne sort pas de l’absurde.

Il y a aussi dans ce livre une violente critique de l’Algérie d’aujourd’hui, une déception profonde sur un processus d’indépendance confisqué, « et une colère contre l’instrumentalisation de la religion: « Hurler que je suis libre et que Dieu est une question, pas une réponse. »

L’oeuvre de Camus et celle de Kamel Daoud se déroulent dans un monde absurde, sans Dieu. Mais, Daoud s’en sert aussi comme prétexte à un roman, à une fiction, une histoire dont on a envie de connaître la fin. Il dit avec humour: »Les mots du meurtrier et ses expressions sont mon bien vacant. »

Je me souviens avoir été choquée en lisant l’Etranger de Camus par l’anonymat de l’Arabe, la gratuité du crime et l’absence de sanction. Kamel Daoud émet une hypothèse à ce sujet : »Dès le début, on le (Meursault) sent à la recherche de mon frère (l’Arabe). En vérité, il le cherche, non pas tant pour le rencontrer que pour ne jamais avoir à le faire. »

Le mystère du  » fond de l’autobus »

Il y avait « Le mystère de la chambre jaune ».
Il y à Paris le mystère du « fond de l’autobus ».
Imaginez un autobus. Il y a un couloir, une petite place au milieu, un autre couloir, une marche et un espace au fond de l’autobus.
Ce dernier est rarement occupé même quand les nouveaux arrivants étouffent à l’entrée et qu’une voix douce enregistrée susurre : »Veuillez avancer au fond de l’autobus ».
Voila l’un de ces problèmes sans intérêt apparent dont je me plais à parler dans ce petit blog, malgré les remarques acerbes de certains de mes amis intellos de gauche qui après avoir jeté (forcés et contraints par mes relances) un coup d’oeil sur ce dernier déclarent : »C’est mignon mais tu pourrais élever le niveau ! »
Et bien justement, j’élève le niveau au dessus de la fameuse marche qui mène au fond de l’autobus.
Très souvent, lassée d’étouffer à l’avant, j’ai usé de ma petite taille pour m’avancer au fond de l’autobus et respirer enfin.
L’expérience est intéressante. Outre les regards curieux des passagers légèrement bousculés, il y a au fond les regards offusqués des ASSIS. Ils semblent dire : »La vieille veut nous piquer nos places mais on ne se laissera pas faire ». Le plus souvent, ils regardent fixement leurs pieds ou leur téléphone.
On est bien au fond de l’autobus. On y est le plus souvent seul à distance du passager qui s’est aventuré en bas de la fameuse marche mais n’a pas osé la franchir
Je ne suis pas la seule à le faire, heureusement, mais cette réticence me pose problème.
Y-a-t-il une définition légale du fond de l’autobus ? Est-ce que l’on transgresse une règle quand on s’y installe ?
Je rejoins là mon obsession : le fil ténu qui relie nos petits comportements quotidiens aux agissements étranges et parfois criminels des êtres humains.
Refuser d’aller au fond de l’autobus quand les derniers arrivés ne peuvent plus accéder à ce même autobus, n’est-ce pas faire preuve d’une forme de désintérêt pour autrui , qui dans ce cas est bénin, qui peut être criminel dans d’autres cas ?