« C’en est fait je quitte le monde
Je fuis à jamais le spectacle odieux
Des crimes des horreurs
Dont sont blessés mes yeux
Dans une retraite profonde
Loin des vices loin des abus
Je passerai mes jours doucement à maudire
Les méchants de moi trop connus
Seule ici bas j’ai des vertus
Aussi pour ennemi j’ai tout ce qui respire
L’univers entier m’en veut
Hommes enfants animaux
Jusqu’au plus petit des oiseaux
Tous cherchent à me nuire
Qu’ai-je fait pourtant ? Que du bien !
Les ingrats ! Ils me regretteront
Mais après ma mort ! »
Ainsi se lamentait certaine sauterelle
Une de ses compagnes la soupçonna d’hypocondrie
Ou du moins d’orgueil chimérique
Dédaignant de répondre à ces sottes raisons
La sauterelle part sort de la prairie sa patrie
Elle sauta deux jours pour faire deux cents pas
Elle se croit arrivée au bout de l’hémisphère
Chez un peuple inconnu
Sous de nouveaux et beaux climats
Des épis nombreux se balançaient entre eux
Elle dit avec transport : « Voilà bien mon désert solitaire
Mon asile sûr »
La voilà dans le blé
Dès l’aube suivante voici venir les moissonneurs
Parmi les clameurs les rires les chants des jeunes filles
Les épis tombent sous la faucille
Les blés abattus laissent voir les sillons tout nus
La triste sauterelle s’écrie : « Voilà bien qui prouve
La haine universelle
Qui partout me poursuit
De peur que je m’échappe
Ils ravagent leurs biens
Ils y mettraient le feu
S’il était nécessaire »
Elle se montre et crie : » Me voilà ! »
Un petit moissonneur par hasard la voit
Se baisse la prend la jette dans l’herbe fleurie
Et dit : » Mange bien petite amie »