Un renard avait lu La Fontaine
Et prétendait en avoir retenu l’essentiel
La gloire l’éloge des renards
Voyageant librement
Il tomba dans les pattes
De l’ours le plus terrible que la terre ait porté
Qui digérait un quatrième festin
Dans la même journée
Et qui fit preuve de jugeote
Il mit le renard en fourrière
Et sur le devant de sa tanière
S’étendit tout entier
Le rusé renard
Rusé comme tous les goupils
Flatta l’irascible geolier
Mais chose curieuse notre ours
N’était pas du genre à se laisser amadouer
Le flatteur flatta à s’en enrouer
Rien n’y fit
Vanta-t-il la taille ?
Un sourd grognement lui répondit
Le courage ? Grognement
Le poil ? Idem
Le flair ? Ibidem
La noblesse du port ? Il eut droit à un grognement plus fort
L’ours tourna la tête ses petits yeux et montra
Sans le vouloir
Qu’il était éborgné
Le flatteur tenta le diable
Entama un discours sur les grands borgnes de l’histoire
Insista sur Hannibal et les cyclopes
Se félicitant en lui-même
De la culture acquise dans son enfance
L’ours intéressé avait tourné vers lui son oeil vivant
Puis l’absent pour mieux entendre
Dans sa péroraison le renard conclut
Chef d’oeuvre d’éloquence
Que la beauté n’a pas besoin de deux yeux
Qu’un seul suffit s’il est beau
Comme c’est le cas avec notre ours
Le plantigrade tout joyeux se relève
Et dit d’une voix tremblante d’émotion :
« Tu as raison maître renard
Je mangerai quiconque prétendra le contraire
Va mon ami je te libère
Je trouve toujours de quoi manger »
L’ours embrassa le renard
Qui mourut étouffé
On ne trouve de tyran
Fût-il des plus brutaux
Qui ne présente une faille
Pour la flatterie
La recette la plus sûre
Est encore de louer ses défauts
J’ajouterai cependant
Que la fréquentation d’un tyran
Fait toujours courir quelques risques