Je tire l’épée qui me bat la cuisse
Je creuse un fossé d’à peu près une coudée
Je fais à l’entour les libations qui conviennent aux trépassés
La première de lait au miel la deuxième de vin doux la troisième d’eau
Je jette la blanche farine dans le trou
Je formule un voeu ardent sur la faible tête des morts
Si je revois mon pays de choisir une vache stérile mais la meilleure
Et de l’offrir chez moi sur un bûcher avec les offrandes les plus belles….
Puis après l’invocation aux morts et la prière
Je saisis les victimes je leur tranche la gorge au dessus du fossé
Le sang coule s’écoule en noires vapeurs
Je vois s’assembler…. les âmes des morts qui ne sont plus sur terre
Jeunes femmes et jeunes hommes vieillards qui ont souffert
Jeunes filles qui ont au coeur leur première souffrance
Soldats innombrables frappés du fer des lances
Hommes tombés dans les combats porteurs de leurs armes sanglantes
Innombrables les âmes accourant autour de la fosse jaillissaient çà et là
Elles glapissaient horriblement et je devenais vert de frayeur
Je restais debout J’attendais jusqu’à ce que ma mère
Vint boire le sang fumant Elle me reconnut
Elle gémit et me dit ces paroles ailées et aimées :
« Mon enfant comment es-tu parvenu vivant dans les brumes du nord ?
Il est difficile de les regarder…
Il y a d’immenses fleuves et des courants terribles
Il n’y a pas de gué sur l’océan…
Il faudrait un solide navire pour la traversée
Ou bien tu viens d’errer Tu arrives tout juste de Troie
Après un si long voyage avec ton bateau et tes compagnons
N’es-tu pas rentré chez toi pour ton épouse et ton château ? »
« O mère il m’a fallu naviguer vers l’enfer…
Je n’ai pas encore touché le sol de la patrie
Je n’ai pas mis le pied sur votre terre
Toujours dans le malheur je traîne mes pas
Depuis le jour où Agamemnon le divin
Nous a emmenés guerroyer contre les Troyens …. »