Je me lève tard et je me pose la question :
Y-a-t-il pour moi quelque chose à faire ?
S’il n’y a rien le coin est plaisant
La couleur des bambous est celle du paysage
Ma hutte se reflète dans le ruisseau
Mes enfants sont paresseux
Mon épouse se plaint de la misère
La vie d’ivresse se passe comme un rêve
Je ne coiffe plus mes cheveux
PCA 77 DF
J’ai eu longtemps du mal à respirer
Mais dans cette chaumière
Au bord du torrent ça va mieux
Je me réjouis de l’air pur et de la paix
Loin de la ville
Quand arrive un visiteur
Je prends mon chapeau de paille
Je cueille des légumes
Ce n’est pas beaucoup
Mais c’est offert de bon coeur
PCA 76 DF
Je rêvais de calmes années dans la capitale
Je me suis contenté d’une vie de paysan
Le coeur serré je regarde souvent
Vers mon foyer ancien
Ce matin j’ai emmené ma femme
Dans une promenade en bateau
Nous regardons les enfants barbotant
Dans l’eau claire et tiédie
Les papillons se pourchassent
Quel est le couple parfait ?
Deux fleurs de lotus
Sur une tige unique
Nous avons pris du thé et du jus de canne
Nos tasses de terre cuite valent bien vos coupes de jade
PCA 75 DF
Les bras de la rivière limpide
Embrassent notre village
Où les longs jours de l’été
Se passent paisiblement
Les hirondelles nichent sous les poutres
Vont et viennent à leur guise
Les mouettes du bord de l’eau
Se blottissent tendrement l’une contre l’autre
Ma femme dessine un échiquier
Notre petit garçon fabrique un hameçon
En courbant une épingle
La maladie me tourmente
J’ai besoin de remèdes
Que peut souhaiter d’autre
Un homme modeste ?
PCA 74 DF
La mort sépare
Les larmes sont difficiles à avaler
La vie sépare et nous meurtrit
Les fièvres sévissent là-bas
Pas de nouvelles
Mais tu reviens dans mes rêves
Comme si tu savais que je pense à toi
Comment as-tu réussi à déplier tes ailes ?
Peut-être seule ton âme s’est-elle dérangée ?
Une distance immense nous sépare
En rêvant je te vois arriver des bocages
Regorgeant de verdure
Tu disparais dans le paysage obscur
Où se perdent les passes dans les monts
Le clair de lune inonde les poutres aux plafond
Asperge faiblement ton visage
Les vagues sont déchaînées
Et les eaux dangereuses
Sois prudent Evite les monstres
Qui se cachent dans les profondeurs
PCA 73 DF
La montagne de l’ouest se voile de nuages empourprés
Le soleil est déjà bas sur la plaine
Des oiseaux gazouillent à notre porte d’osier
Je suis de retour enfin ayant parcouru beaucoup de chemin
Ma femme et mes enfants sont stupéfaits
ils ne cessent d’essuyer leurs larmes
Par miracle je reviens de la guerre
Les voisins eux aussi sont émus
A la lueur des chandelles
Nous nous contemplons les uns les autres
Comme des êtres qui viennent d’un autre monde
PCA 72 Du Fu *
Les eaux débordent
La lune dans le fleuve est à portée de main
Sur le mat une lanterne vacille
Perçant la profondeur de la nuit
Les aigrettes blanches sur la rive
Se serrent l’une contre l’autre
Elles sont comme les doigts d’une main fermée
Dans le sillage du bateau
Un poisson bondit replonge
Fait jaillir des gerbes de gouttelettes *
* Reprise de la série PCA
PFR 58 *
Nous n’avancerons jamais aussi vite que l’étoile
Même si elle parait plus lente que nous
Les fleurs de neige ont fondu
Le troupeau est rageur des enfants disparus
Que nous sommes tous
La joie du monde n’est pas née chez nous
Nous allions voir la joie
D’ici et d’ailleurs
Le pays n’est pas sûr
J’ai peur la nuit
La seule route est celle du vent
Les innocents se couchent dans l’herbe
Nous avons fait de faux rapports
En fait nous vivons sans lumière
Nous murmurons contre nous
A trois nous sommes brouillés
Le temps nous offre les moires
Fatalités de carnaval
Pas de salut hors des méandres
Je maudis l’aventure je préfère l’avenir au futur
La fraîcheur de mon ombre *
*L’ouvrage de référence pour la série PFR est : « Anthologie de la poésie française », Collection la
Pléiade, Gallimard, Paris, 2000
PFR 57
Il marchait le long de la route gelée
Il tenait ses clés
Il buta sur une boite de conserves
Vide et froide
Elle roula sur elle-même
Pendant quelques centimètres
Le ciel était émaillé d’étoiles
La quincaillerie a des vis et des écrous
La plupart des clients ont des cheveux
Filasses ou de bon goût
Il suffit de toucher un verrou
Pour sentir le poids du monde inéluctable
Notre quincaillerie vogue vers l’éternité
Des clous qui fulgurent
Je parle seul pour comprendre ce qui m’arrive
Je prononce parfois des mots étranges
Fleurette caillou brindille barrière
Chaise table armoire
De simples mots qui s’embrasent pour la gloire
Poser son pied nu
Sur un clou rouillé de préférence
Je bois au robinet
Une eau délicieuse très froide
Le monde n’a plus d’âge
Le ciel est inexorable
On se réfugie dans les couleurs de l’utile
Surtout le gris
Je vis aussi dans le noir le bleu le rouge
Je fais appel à la pluie
Pour qu’elle me délave tout ça
Le chien remue l’eau des astres en la lappant
L’horizon bouge le lointain crie
Un maître se laisse aller aux phrases
Vibration suraiguë des choses
Le pauvre chien mourra jusqu’à l’os
PFR 56
Ainsi donc nous sommes
Nous sommes dans les chemins
Nous sommes dans les marges
L’air est un espace
La parole n’est pas malsaine
Tout part de nous pour y revenir
Ecrire c’est fuir pour trouver
C’est rassembler pour se retrouver
Tu pétris les mots
Avec ce qui les habite
Ton regard indispensable
Se braque sur l’horizon
Sans toi la terre et le ciel
Vont leur chemin
Chaque mot est une falaise
Je grimpe avec les mains
J’aime les matins
D’autres mots sont mes complices
Je bavarde avec des mots