J’écoute la musique des prés
Enfin à peu près
L’orage originel a trop parlé
Qui occupe l’horizon ?
Sortons du bois
Sortons de la nature autant qu’il est possible
Entre les arbres et mes derniers scrupules
j’ai choisi les arbres
La vérité aujourd’hui est verte
La nature prépare notre avenir
Quel sens a l’écriture ?
L’oiseau si l’on veut bien nous rappelle
Les contradictions du concret
Le ciel est serein de significations
PFR 34
Je crois être au paradis
Je crois toujours être au paradis
Je dois être un peu bête
Il arrive souvent que la bêtise m’aide davantage que l’intelligence
Je ne veux pas dire le pire du pré
La prairie s’est amoindrie
Pour parler la parole me convient plus que la peinture
Je prépare la page où peut naître un pré
C’est bien vain Je suis vain
Mais la vérité peut être verte
Je devrais mettre ici un long passage
J’en suis incapable
Je m’en sens incapable
Il n’y a pas de nature humaine
Elle varie tout le temps
Parce qu’elle est historique
Ce que je voudrais dire relève de l’obstétrique
Qui me met des bâtons dans les roues ?
Je suis tiré à quatre rochers
Fragment limité d’espace
Assez pour un tableau
Au moins le fond
Selon moi le participe passé est un pré
Le participe présent est un champ
Monotonie et variété du monde
Contentons-nous d’être discrets
L’eau n’a pas de forme en elle-même
Elle est originelle
La terre végétale doit prendre le dessus
La longue théorie des visiteurs est inutile
Elle est même stérile
Il est si difficile de poser les bonnes questions
PFR 33
Il est vain d’essayer d’arranger les choses
Le choses s’arrangent très bien d’elles-mêmes
Elles travaillent les unes sur les autres
Il ne faut jamais s’arrêter à la forme poétique
Tout diffère tout est différent
Il faut savoir que les objets sont bruts
L’objet est plein de droits
Il s’oppose à tout poème
Le poème s’aime Il sème
C’est l’esprit qui survole les objets
On fait un poème ou on arrange les choses
Le soleil est à l’horizon de tout texte
Même si j’écris la nuit
On avance, non ?
Le soleil éblouit ma raison
Le soleil ne se lève jamais sur la littérature
Si le soleil entre dans le miroir
Je deviens fou
Alors que je le suis déjà
Si la nature subrepticement nous offre ce dont nous avons besoin
Le rouge-gorge se rengorge dans notre gorge
Dans le miroir la vérité ne s’y vit plus
A vrai dire elle ne s’était jamais vue
Cette vérité ne vit guère
Pour elle c’est la guerre
La guerre universelle de tous contre tous
Eh bien ! Tout ça est faux
C’est un fatras de fatrasies
Nos guerres sont souvent des faux-semblants
Après elles tout est vivant
Le tout du tout vit intensément
PFR 32
Les serfs n’étaient pas prisonniers d’eux-mêmes
Ils ne tenaient rien dans leurs serres qui n’étaient que des mains
Les draperies des mots ne cachent rien
Les oreilles sont des appareils profondément sensibles
Sublime et divine nécessité de l’imperfection
L’abstrait est trop limité
Il ne donne naissance qu’à des caractères
Traces humaines à bout de bras
L’arbre sain est source de nuit et de jour
De chaleur et de froidure
Tu étais froide sous un seul drap
Tu avais laissé la fenêtre ouverte
L’arbre est source de santé
Dans les cages je rencontre parfois un tigre
Dans les cageots on met souvent des poireaux
Les cages sont durables les cageots sont périssables
Il y a comme ça des lois de la nature
Arrangées par l’art humain
J’ai appris à ouvrir les huitres
Les arbres que je connais sont durs à la tâche
ils tiennent en vert des discours interminables
Ils suspendent leurs vérités à des tiges
Toutes leurs feuilles sont symétriques
J’ai le sentiment que les arbres sont heureux d’être des arbres
PFR 31
Poussant la porte je suis entré dans la maison
je suis né pour agir de toutes les façons
Je suis là je te soutiens tu n’es plus à l’abandon
Tu n’es plus un cauchemar
Je suis l’afflux qui ranime le feu dans l’âtre
La paix des prairies rentre en toi
Comme elles tu refleuris
L’oeuf fondamental est le centre de tout
Il a la forme de l’ovale mou
L’espace tousse et pas sur moi
Je ne suis rien dans les cieux
Ils n’aiment pas les vieux
Mes yeux ne savent pas grand-chose
Je ne suis pas infini
Mais on me traite comme si ça suscite des jalousies
Témoins d’infini Mis à l’infini
Je n’emploie pas mes deux mains
Je me soustrais pour m’ouvrir
J’aime les abeilles et les hirondelles
Je me pose dans le prisme lumineux
Les petites existences impures et précaires s’éloignent de la vie
Les fantômes se liguent contre moi
Les fantômes sont des fantasmes nous apprend la théorie
J’écoute des milliers de feuilles qui ne pensent qu’à bruisser
Le malaise de moi suffit à l’aise de moi
Le désir d’union devient désir de moi
Fluide fertile double du double
Pétales sans fin doubles de l’ineffable
Fleurs du perpétuel
Pouls du point du jour
PFR 30
L’inanité du tout néant n’est pas faite pour les passants
Certains construisent des villes avec des loques
L’humanité ne sera pas détruite par vos menées
L’évidence écumante viendra vous braire au nez
La fumée et la brume ne jouent pas le même rôle
Vos forteresses extravagantes sont faites
Exclusivement de remous et de secousses
Avant de tomber en fadaises et galimatias
Néant sur les vivants
Néant bien vivant
Mais qui ne suffit pas
Je répète : glas ! glas ! glas !
Mais ça ne suffit pas
Monde étranglé ventre froid !
Je contre les symboles et le néant
Le résultat : je me gave de chiens crevés
Mais les dents du loup ne lâchent pas le loup
Dans le noir nous verrons clair
La poulie gémit Elle va t’écarteler
A moins que j’aie pitié de toi pauvre diable
Je juge bon de me mettre dans la pomme
Je suis bien installé
Bizarrerie Ma pomme est glacée
Un jour ! ça signifie : un jour bientôt peut-être
Il faut du courage pour être rien
Il faut y aller de fil en aiguille
Qu’est-ce que la déchéance ?
Mes semblables ne me ressemblent guère
L’humilité est une catastrophe
Je ne suis pas un clown
Je ne suis certes pas dans la risée le grotesque l’esclaffement
Enfin je crois j’espère
Je ne veux pas être risible
PFR 29
Voguant au plus bleu de ma tête
Les bulles de mots se volatilisent
A l’instant même où je crois les fixer
Minuit c’est les cornes midi c’est l’épée
Dans la marmite de mon ventre est mon grand secret
Mes mégères meurent dans leurs mouchoirs
Elles ne savaient que faire pour m’empêcher de choir
Le malheur est mon ami
Je l’invite à mes côtés
C’est un grand laboureur
Nous devisons
Tu m’éprouves je suis ta ruine
Ton théâtre et ton havre Ton avenir et ton horizon
Je m’abandonne à ton horreur
Dans la nuit je suis uni à la nuit
La nuit est sans limites
Mais elle est mienne
La nuit m’a donné naissance
Tu es la houle qui m’envahit
Tu est dense tu mugis
La nuit est implacable
Les morts ont quitté la table
J’aime courir sur la plage
Sous la nuit est la nuit
PFR 28
J’ai vécu dans les larmes
Le ciel n’a cessé de pleuvoir sur ma jeunesse frissonnante
J’ai tremblé pour l’ombre opaque du lever du jour
C’est ma faiblesse qui m’a porté au bout de mes tressaillements
Non les anémones ne sont pas sanglantes
Tu posais errante je dormais
Ma misère est vagabonde
Mon terreau est fait de racines mouillées
Mon radeau est fait de planches disjointes
Mes chansons sont un herbe odorante et brûlante
Le brouillard s’entasse dans le gouffre de ma gorge
Les tiges s’entassent avant de s’enlacer
Dans mes caves et mes cavernes les spectres sont ténus
Le ciel vous trahira pour scories de lumière
Vous êtes déjà perdus dans l’océan des mots et des maux
Avez-vous remarqué que les tableaux sont sombres la nuit ?
L’aube les dévoile peu à peu
Le mien montre une colonne rouge à gauche
Est-ce bien une colonne ? Ou plutôt un géant ?
A gauche la colonne de lumière
A droite celle de nuées
Il marche dans le néant
Je fuis mon coeur divisé
J’ai plongé tout habillé
En bas tu ressembles à un bloc de marbre
Avec des veinures bleuâtres cependant
Je prête beaucoup d’attention aux empreintes digitales
Aux coeurs gravés dans l’écorce des arbres
Aux graffitis Aux rides et aux cicatrices
Les signes prédisent que quelque-chose va se passer
Les traces perdues pèsent sur l’inanité du rien
PFR 27
Mouillée elle se lave
j’attends dehors et je suis bien
Salut corps de tous les corps
Comme moi comme nous tous
Les humains sont réconciliés
Elle est jolie la haie de mai
Plus que la haine de tous les jours
Que parfois on confond avec l’amour
La vengeance augmente la honte du sang
Pourquoi apprendre tant de choses redoutables ?
Le silence est atroce et la figure noire
Il ne s’agit pas de comprendre
Il s’agit de croire
La femme et ses oiseaux sont une flotte lourde
Touchant le fond du port
La haine ne suffit plus à la colère
La mort est une énigme elle n’est pas un mystère
Il y a toujours une solution aux delà des faits bruts
PFR 26
L’absence est vorace
Moins pourtant que ta présence
Tu as le don du mot qui se veut obscur
Et qui n’est que rêve perdu
Les glissades des mots sont des précipices
Qui n’est pas ne sera jamais
La soif du creux donne un volume à boire
Le silence va plus vite à reculons
Un seul verre d’eau éclaire le monde
L’éternité du vide n’est pas pour m’effrayer
Les miroirs devraient réfléchir davantage
Je viens de loin de beaucoup plus loin
Qu’on ne pourrait croire
Ma profondeur est dans le miroir
La nuit des confins la soif du désert
Connaissent seuls mon histoire
Avec ses griffes avec ses crocs
La relative présence fait mal
Je ne veux pas dormir au port de la misère
Je suis tombé sans flambeau en bas du monde
J’ironise sur les pitiés immondes
Pour moi seul tout est beau
Tout devrait être beau