PCA 56 LB

Je n’ai d’abord voulu qu’écrire une seule ligne
Pour y dire avec force que je t’aime
Puis j’en ai ajouté une autre
Et une autre encore
Jusqu’à ce que j’aie noirci toutes les feuilles
En tentant d’exprimer le profond de mon coeur
Une grue jaune est descendue sur la tour de jade
Pour murmurer à une voisine
Que l’éclat juvénile de mes joues s’estompe
Et que des cheveux gris apparaissent sur mes tempes
Je sais que pour le moment je ne peux revenir
Bien que trois saisons déjà nous séparent
Dis moi, un mot, sous tes fenêtres
Pêchers et pruniers gardent-ils les fraîches couleurs ?
Ne te laisse pas duper par les chuchotements de la brise menteuse
L’attente finie, le manteau rouge et le fin parfum
Se réjouissent l’un de l’autre

PCA 55 LB

La lune émerge au dessus de la montagne
Elle se cache dans la mer des nuages
Un vent puissant arrive du lointain
Force la passe
L’armée descend les passes
Les barbares accourent près du lac bleu
Depuis un temps immémorial ce lieu
Sert de champ de bataille
Les guerriers ne reviennent pas chez eux
Les soldats à la frontière regardent vers la ville
Ils pensent à leur famille le visage amer
Dans leurs chambres particulières
Les femmes angoissées ne trouvent ni calme ni repos

PCA 54 LB

L’an dernier nous nous sommes battus à la source
Cette année on se bat sur le chemin
Nous lavons nos armes dans les vagues
Et laissons paître les chevaux dans la neige
Nos armées sont épuisées
Pour les barbares le massacre est
Ce que pour nous est le labour
Depuis l’époque antique les ossements blanchis
S’empilent sur le sable jaune ….
Longtemps après, des humains croisent toujours le fer
Dans un corps à corps sans merci….
Rappelez-vous les armes sont les instruments du mal
Et ne devraient être que le dernier recours du sage

PCA 53 Li Bo

L’aigrette blanche médite une patte repliée
Sous le clair de lune dans l’eau froide de l’automne
Effrayée par des humains elle s’envole au loin
Droit vers la rive où te mènent tes pas ami

Quand elle était là la maison paraissait déborder de fleurs
Aujourd’hui il ne reste qu’une chambre vide
Personne n’a touché les couvertures brodées
Enroulées sur son lit Trois ans après
Leur parfum est encore délicat
Si loin de moi et toujours là
Mais jamais de retour
Les feuilles mortes tourbillonnent
Je pense à elle ma rosée blanche sur la mousse

PCA 52 LB

Ma frange me couvrait à peine le front
Je jouais avec les fleurs cueillies devant ma porte
Tu venais avec ton cheval de bambou
Nous folâtrions autour du puits
Dans le verger où bleuissent les prunes
Nous grandissions ensemble
Deux enfants ignorants du soupçon et de la haine
A l’âge de quatorze ans je suis devenue ta femme
Si timide que je n’osais pas rire
Les yeux baissés regardant dans les coins
Je ne me retournais pas à tes appels
A quinze ans j’ai décrispé mes sourcils
Toi et moi ne voulions que faire un
Comme cendre et poussière
Je m’identifiais à celui qui attendit sa fiancée
Sous le pont malgré les eaux déchaînées
Pourquoi aurais-je pensé alors
A la montagne d’où l’on guette
Le retour de l’époux ?

PCA 51 LB

A qui est cette flute qui cachée quelque part
Fait résonner ces tons plaintifs
Que la brise de printemps
Répand sur toute la ville ?
Qui cette nuit écoutant l’antique chanson
Peut s’empêcher de penser
Au pays de son coeur ?

J’aime le maître
Le monde se prosterne devant son génie
Jeune encore il a renoncé aux fonctions de mandarin
Aujourd’hui vieillard aux cheveux gris
Il médite au milieu des pins et des nuages blancs
Devant sa cruche à la lueur de la lune
Il atteint souvent la sagesse divine
Amoureux des fleurs il a refusé de servir l’Etat
Comment regarder le sommet
Si proche du ciel ?
On ne peut que s’incliner bien bas
Et respirer son pur parfum

PCA 50 LB

Une brise fraîche sème dans l’auberge
Les chatons parfumés des saules
Des filles minces s’inclinent devant vous
« Voulez-vous continuer à boire, monsieur ? »
De jeunes amis sont venus me faire leurs adieux
Il faudrait partir mais le dernier verre tinte
Demandez au grand fleuve :
« Quel est le plus long
Du cours de la rivière ou du chagrin de la séparation ? »

PCA 49 Li Bo

Un monsieur m’a demandé pour quelle raison
Je vivais dans les vertes collines
Je n’ai pas répondu J’ai souri le coeur serein
Fleurs de pêcher sur l’eau qui court
Tout s’en va et tout s’efface
En haut c’est une autre terre un autre ciel
Qui n’ont rien de commun
Avec le monde des humains en bas

Il semblerait que le mont dont nous parlons
Fut fendu en deux pour laisser le fleuve s’écouler
Les eaux vertes furent détournées
Les falaises bleues se regardent dans les yeux
En bas un rai de soleil illumine une voile
Solitaire sur les eaux ombrées

Déjà les oiseaux frileux s’envolent
Le nuage solitaire aussi s’en va au loin
Je reste seul avec ma montagne
Nous nous contemplons l’un l’autre
Sans jamais nous lasser

PCA 48 WW et LB

Ma chaumière donne sur la montagne au sud
Depuis un an aucun visiteur n’a frappé à ma porte
Je savoure mon repos la journée entière sans souci
Je pêche à la ligne Je vide ma cruche
Si tu veux venir je vais t’accueillir de grand coeur

LI BO :
L’aboiement du chien se perd dans le fracas du torrent
Les gouttes de pluie brillent sur les fleurs de pêcher
Un cerf surgit parfois du taillis épais
Midi passe sans tintement de cloche
Les pointes des bambous percent la brume bleutée
Une cascade se suspend au sommet d’émeraude
Personne ne sait où l’ermite est parti
Tristement je m’attarde adossé au tronc d’un pin

Je passe la nuit dans le temple du sommet
Si je tends la main je touche les étoiles
J’ose à peine parler de peur
De vous déranger

PCA 47 WW

La brève averse du matin
A balayé la poussière de la ville
Les feuilles de saule éclatent de fraîcheur
Dans la cour de l’auberge
Reste reste un instant buvons un autre verre
A l’ouest de la grande porte
Tu n’as plus d’ami

J’aime un rocher solitaire près de la source
Une branche de saule frôle ma coupe
La brise de printemps nous comprend
Sur ma tête elle souffle des pétales blancs

Au déclin de ma vie je n’aime plus
Que le silence et la solitude
Loin de moi les orgueilleux désirs
Et les petites vanités du monde
Il me reste plus que la joie du retour
Enfin je suis là dans ma forêt natale
Le vent qui souffle des pins en couronnes
Dénoue mon écharpe et l’emporte au loin
La lune sur la montagne les doux sons du luth
La sagesse de la vie ?
Ce chant de pêcheur résonne clair sur les ondes
Et s’éloigne dans la profondeur des roseaux