Dha 7 Le sage et le « dharma »

Ne suis pas forcément celui qui te parle de trésors cachés
Celui qui condamne le mal est haï des méchants

Que tes amis soient vertueux !
Abreuve-toi à la source de l’ordre cosmique !

Qui creuse un puits canalise l’eau
Le fabricant de flèches leur fait fendre l’air

Le charpentier aime sculpter le bois
Les sages canalisent, fendent l’air, sculptent eux-mêmes pour eux-mêmes

Le vent n’ébranle pas le roc
Les sages ne vacillent ni face à la louange ni face au blâme

Les sages qui suivent l’ordre cosmique, le « dharma », sont aussi sereins qu’un lac tranquille
Les sages sereins ne sont ni exaltés ni déprimés

Le sage ne parle pas sous l’influence du désir
Le sage n’aspire pas à la réussite par des biais injustes

Peu d’humains atteignent l’autre rive
La plupart vont et viennent le long du rivage

Ceux qui respectent l’ordre, le « dharma », iront au delà du domaine de la mort
Le sage quitte la pénombre sournoise de la vie quotidienne

Le sage ne réalise la sagesse que là où elle parait impossible
Le sage abandonne le plaisir

Le sage n’est propriétaire de rien
La réflexion, la recherche, l’énergie convergent dans la connaissance

Dha 6 L’insensé

Longue est la nuit pour celui qui veille
Longue est la distance pour celui qui est fatigué

Long est le voyage de la naissance à la mort pour l’insensé qui ignore l’ordre cosmique
Si tu ne rencontres pas ton égal, voyage en solitaire

L’insensé est tourmenté par ses propriétés
L’insensé peut reconnaître sa folie et rester insensé

L’insensé augmente sa folie en se croyant sage
Une cuillère ne perçoit pas le goût de la soupe

Sans être sage, la langue perçoit le goût de la soupe
Les insensés sont à eux-mêmes leurs pires ennemis

Les insensés récoltent les fruits amers de leurs actes
Un insensé se repent de ses actes

L’insensé recueille douloureusement les fruits de sa mauvaise action
L’insensé pense que son action est du miel tant qu’il n’a rien fait

Le jeûne ne sert à rien pour l’insensé
Une mauvaise action nuit lentement

L’effet de la mauvaise action couve sous les cendres
Il ne convient pas de révéler la mauvaise action de l’insensé

L’insensé aspire à une bonne réputation
L’orgueil de l’insensé ne peut que grandir

Il y a deux chemins L’un mène au monde
L’autre se retire du monde

Dha 5 Fleurs

Un esprit bien maîtrisé est le secours le plus précieux
Qui trouve la fleur dans un bouquet ?

Il n’y a pas de bon disciple
Seul compte l’ordre cosmique

Le corps est écume et mirage
Mes flèches ont la pointe fleurie

Je ne compte pas voir de sitôt la mort
Son prince est insignifiant

La mort emporte celui qui cueille les fleurs des plaisirs
D’un esprit aussi négligent que la crue d’une rivière

La soif de plaisirs ne rassasie pas l’esprit négligent
L’abeille n’altère pas la fleur Ainsi fait le sage dans son village

Le sage n’est préoccupé que par ses fautes
Une fleur dépourvue de parfum ressemble à une parole fausse

Le parfum des fleurs ne s’oppose pas au vent
Le sage fait ce qu’il veut

Rien ne surmonte le parfum de la vertu
Dans la terre infestée de vers pousse le lys

Dha 4 L’esprit

Je fabrique des flèches droites
Le sage conserve droit son esprit instable

Tel un poisson jeté hors de l’eau
Notre esprit se débat pour échapper à la tentation

Il est bon d’avoir un esprit dompté, maîtrisé, ni volage, ni inconstant
Le sage maîtrise ses pensées, subtiles, inconstantes

Ceux qui brident leur esprit errant, solitaire, incorporel, sont libres de tout lien
Ceux qui sont instables, qui ignorent la loi et le droit, dont la paix mentale est affectée, auront du mal

L’esprit indompté est au delà du bien et du mal
Le corps est fragile comme un vase de verre fin, on doit affermir l’esprit

L’esprit vigilant et affermi accède à la connaissance tel une forteresse
Il tient inlassablement en respect la peur et la tentation

Avant longtemps le corps repose sur la terre
Méprisé ignoré comme un morceau de vieux bois inutile

L’être haineux fait du mal
Un esprit non maîtrisé est davantage dévastateur

Dha 3 La vigilance

La vigilance est la voie de l’immortalité sur terre, presque rien
Ce presque rien vaut presque tout

Le manque de vigilance est d’abord la voix, ensuite la voie de la mort
La mort elle-même, dans son costume habituel

Les vigilants ont plaisir à la connaissance
L’extinction de la souffrance est déjà en soi un bonheur

L’extinction du moi rapproche du bonheur suprême
La vigilance rayonnante rapproche de l’ordre cosmique

La vigilance du sage fait de lui une île insubmersible
Les insensés recherchent les vanités fluctuantes

Les plaisirs éphémères sont le contraire de la joie suprême
Eux du moins existent pendant un temps

La vigilance permet au sage de regarder de haut les insensés
Du sommet de sa montagne il contemple la foule des affligés

Le sage est comme un cheval fougueux qui gagne une course
Il est vigilant parmi les négligents, éveillé parmi les endormis

Plus âgé le vigilant l’emporte à jamais
La négligence est toujours blâmée

Le vigilant ordonné ne peut déchoir
Tous ses liens se consument

Dha 2 Pensées jumelles

Ceux qui voient l’essentiel dans le contingent n’atteignent pas l’essentiel
Ceux qui voient le contingent dans l’essentiel sont loin d’avoir tort

Il est essentiel de distinguer l’essentiel du contingent
Il est essentiel de distinguer le contingent de l’essentiel

La pluie pénètre une maison au toit mal entretenu
De même la passion inonde un esprit négligent

Celui qui agit mal s’agite en vain
Il se lamente dans tous les mondes

Le vertueux agit bien et se délecte
Le vertueux est heureux dans tous les mondes

Celui qui prend le chemin du mal s’enfonce dans la souffrance
Celui qui agit mal souffre en pensant au mal qu’il a fait

Celui qui agit bien pense au bien qu’il a fait
Celui qui est négligent compte les bêtes des autres

Mets en pratique les textes sacrés comme le Dha
Celui qui a renoncé à la passion la haine et la bêtise est proche du but et de nous

Dha 1 Pensée débutante

Qu’on ne voit pas de blasphème dans ces propos Dha !
Je persiste dans la recherche de ma veine poétique

Il est crucial de persister et même de répéter
Tout est pensée et la résultante de nos pensées

Une mauvaise pensée et nous tombons malades
Tout est de la substance même de nos pensées

Il est des pensées pures
Leur résultat sont la joie et le bonheur

Les pensées de violence suscitent la haine
La haine ne peut pas supprimer la haine

La plupart des humains ne réalisent pas qu’ils vont mourir
La quête du plaisir vous transforme en arbre frêle que le vent abat

Celui qui est modéré dans son alimentation est semblable à une montagne
La tempérance et le souci de la vérité ne nous vaudront pas de compliments

Rab 86 et fin *

Ceux qui marchent sur le sentier de l’orgueil
Ne laissent que des traces de sang
Ce jour est à nous
Notre sort est déshérité
Nous portons le fardeau de la puissance des autres
Nous cachons notre visage
Nous étouffons nos sanglots dans l’ombre
Notre peine palpite au coeur de la nuit funèbre
Chaque insulte est recueillie
Le silence nous appartient

Le soleil se lève sur les coeurs qui saignent
Ils se métamorphosent en fleurs du matin
Tant que les orgies sont réduites en cendres *

* Les 86 articles de la série Rab sont inspirés par Rabindranath Tagore, « La corbeille de fruits », publiée dans « L’offrande lyrique », « Poésie », Gallimard, NRF, 1949 – 2016

Rab 85

J’entonne le chant de la défaite
Qui serait ta promise
Son visage est couché
Sous son voile noir
Un seul joyau brille
Lampes et fleurs sont silencieuses
La maison gémit dans le vent
Doux visage de honte et de souffrance !
L’épreuve suprême viendra plus tard

Rab 84

Entendez-vous le tumulte de mort
Cet appel à travers les nuages de poison
Qui nous oriente vers un rivage sans nom
Les temps stagnants sont révolus
Tout était ronde Les meilleurs rondes ont une fin
On échange toujours la même marchandise
Les choses mortes sont à la dérive
Toute vérité est vide
La vérité est épuisée

La peur est soudaine
Quand viendra le jour ?
Les nuages ont effacé toute étoile
Le doigt rose de l’aurore ne nous fait pas signe
Mère et épouse guettent vainement
Le temps a vécu

Les démons sont noirs
Courbons la tête
La faute fut vôtre
Mais nôtre aussi
La colère se réchauffe
Lâcheté et arrogance
Gourmandise et rancoeur
Fierté et injure
La tempête est furieuse

Le coeur de la tempête se fend
Abandonnez votre tumulte
Ramons sur notre petite barque sacrée
Vers le rivage sans nom
Nous avons connu chaque jour la faute et la mort
Notre monde rit fulgurant comme l’éclair
Prodige ! Tout s’arrête soudain
Nous ne craignons pas les monstres

L’immortalité n’est pas cachée dans la mort
La sagesse ne nait pas de la douleur
La faute ne meurt pas d’être divulguée
L’orgueil ne succombe pas sous ses hochets
D’où vient l’espoir fou ?
Au moment de la mort
Que nous arrive-t-il ?