Rab 63

L’amour est mesure
Il connaît la démesure
Pareil à l’écume du vin
Il brûle aisément ses vaisseaux

Que l’amour pur comme la pluie
Bénisse notre terre fraîche !
L’amour désire s’abîmer dans les tréfonds de son être
La sève invisible court dans les branches de vie

L’amour est fleurs et fruits
Il m’est envoyé par notre dieu commun
Le petit lutin au regard malicieux
Plein de fantaisie

Rab 62

Heureusement le ciel contient le soleil
Son image est convenue
La goutte de rosée entame son refrain
« J’aurais aimé refléter le soleil
Ma vie n’est que larmes
Je disparais très vite
Simple étincelle de lumière »

Rab 61

Elle n’est qu’une enfant
Elle fait de toi un jouet
Elle ignore tes cheveux qui tombent
Tes vêtements négligés
Elle s’endort quand tu lui parles
La fleur du matin glisse de ses yeux
La tempête éclate
L’enfant jette sa poupée par terre
Se cramponne à toi dans sa terreur
Tu es son papa

Rab 60

Le bouton floral a un petit parfum
Le jour heureux du printemps s’en va déjà
Le bouton se sent prisonnier
Des pétales naissants

Que l’humble petite chose
Ne perde pas courage !
Ses liens sont proches d’éclater
Le bouton sera fleur

Au printemps il se fanera
En pleine vie
Le printemps te survivra
Le père des fleurs

Ni le bouton ni la fleur
Ne clament que les heures passent
Que personne ne sait ce qu’il sait
Pire on ne sait pas où on va

La brise printanière devance tes désirs
Le jour ne finira pas que tu n’accomplisses ta destinée
Le parfum n’a pas d’avenir
A qui la faute ?

Les petites humbles choses
Se mêleront à la vie éternelle
Sans jamais connaître
Le pourquoi de leur existence

Rab 59

La lassitude de la route
M’accable soudain
La soif du jour
Est aride

Le crépuscule est spectral
Ses ombres s’étendent
Ma vie est vide
Tends-moi la main

Mon coeur est angoisse
Il porte le fardeau
Des richesses
Qu’il n’a pas distribuées

Etends la main au travers de la nuit
Que je la prenne ! Que je la tienne !
Je l’embrasse et je la garde
je sens son étreinte dans la solitude
Du chemin qui s’allonge

Rab 58

A toi appartient la lumière
Qui jaillit des ténèbres
La bonté qui s’entrechoque
Dans le coeur comblé du combat

A toi une maison ouverte
Des amours sur le champ de bataille
Le don qui demeure quand tout est perdu
La vie du gouffre de la mort

A toi le ciel caché
La poussière terrestre
Tu es là pour moi
Tu est à pour tous
Tu es là pour toi moi et les autres

Rab 57

Qui est la femme qui habite mon coeur ?
Je l’ai courtisée
Je ne l’ai pas conquise
Pourtant je l’ai couverte de fleurs
J’ai fait de mon mieux en chantant ses louanges
Je n’ai obtenu qu’un demi-sourire fugitif
Qui n’éclaira même pas son visage
La femme désespérée me cria :
« Je n’ai aucune joie avec toi »

Je lui achetai des pierreries
Je lui fis un lit sacré
Un mince rayon lumineux
Souligna dans ses yeux
Un plaisir fugace
« Je n’ai aucune joie »

Je l’emmenai d’un bout à l’autre de la terre
Sur un char doré
Les applaudissements tonnaient autour de lui
Elle fit la fière un court moment
Puis les larmes obscurcirent son regard
« Je n’ai de joie à rien »

Je lui demandai : « Que cherches-tu à la fin ? »
« Tout rien tout et rien à la fois »
« Des mots ! »
« J’attends celui dont le nom est inconnu »
« Du vent ! »
« Quand viendra-t-il le bien aimé
Que je ne connais pas maintenant
Afin qu’il m’accompagne pour l’éternité ? »

Rab 56

Tu es venue quelques instants à mes côtés
Tu respirais le mystère de la femme
Qui palpite au coeur de l’univers
Qui nous renvoie sans cesse
Au flot débordant de sa douceur
Elle est la fraîche beauté
La jeunesse dans la nature
Elle danse sur les eaux courantes
Elle chante dans la lumière matinale
Elle étanche la soif de la terre
C’est en elle que l’unique éternel
S’incarne tout joyeux
Son contentement ne peut plus se contraindre
Il s’épanche dans les souffrances de l’amour

Rab 55

Le poète était pris dans ses songes
En un lieu solitaire où l’on brûle les morts
Il aperçut soudain une femme luxueusement parée
Aux pieds d’un homme pensif
Elle dit au poète : « Chante-moi une chanson
Pour dérider mon homme  »
Le poète répondit énigmatique :
« La terre appartient à tout le monde »
La femme : « Je ne soupire pas après le ciel
Mais après mon époux »
Le poète : « Tu retrouveras ton mari
Sorti de ses rêves de ses fantaisies »
La femme était pleine d’un joyeux espoir
Le poète lui donnait des pensées chaque jour
Jusqu’à ce qu’elle débordât d’amour
Sa cousine vint aux nouvelles : « As-tu retrouvé ton époux ? »
« Je l’ai retrouvé Il dort sur la terrasse
Mais surtout il est dans mon coeur »

Rab 54

Le nuage me parle :
« Je m’évanouis »
La nuit me dit :
« Je vais plonger dans l’aube ardente »
La souffrance m’a dit :
« Le silence est aussi profond
Que mon empreinte »
La vie : « Je meurs dans ma plénitude »
La terre : « Mes lumières s’éteignent pour toi  »
L’amour : « Les jours passent, mais je t’attends »
La mort : « Au travers des flots de mer
Je conduis ta barque »