Rab 43

Je t’ai bâti un sanctuaire de marbre blanc
Les femmes y déposent leurs offrandes de fleurs
Le fils a trahi le père
Le sanctuaire est en feu
La reine craint le pire
Elle redoute même la jeune fille qui apporte son odorante offrande
Quelques femmes ferment leur porte
Au nez de cette fille insignifiante
Voire l’insultent
Tout s’arrêtait peu à peu
Les ombres s’épaississaient
Dans l’obscurité limpide
Les étoiles palpitent de lumière
Un poignard troua le coeur de l’insensée
Le sang pourpre colora le marbre blême
Tout fut à nouveau paisible

Rab 42

Les jours sont terrestres les nuits célestes
Mes jours ne sont plus qu’une rivière étroite
Mon âme – ai-je donc une âme finalement ? –
Mon âme se cramponne à mon radeau de bois
Vivant comme tout un corps
Le clair et l’obscur se confondent-ils ?

La liberté éternelle est inconnaissable
Elle peut être sans pitié
Elle écrase l’huitre pour trouver une perle éventuelle
Toujours muette dans sa noire prison

Mon pauvre coeur se lamente
Au souvenir des joies d’autrefois
Il devrait se réjouir qu’il y ait des jours à venir
J’ai dit adieu aux chemins
Je te fais face peut-être pour la dernière fois

Rab 41

Le nautonier traverse dans la nuit
L’estuaire en furie
Les voiles sont gonflées à craquer
Le ciel déchiré tombe sur la mer
Le nautonier est pris de ténèbre et de peur
Les vagues allumées se brisent dans l’obscurité perfide

La lampe brûle dans le jardin silencieux
Elle t’attend muette ta petite fiancée
Ton navire vogue sur la tempête et l’immensité
Il ne contient ni pierres ni bêtes
Le nautonier habitué des mers calmes
Ne fléchit pas garde son calme
La rose blanche aux lèvres
Un loup à ses côtés

Ton amie minuscule et posée
Reste sur le bord de tout
Ses doux cheveux lui cachent les yeux
Elle ne voit plus les ombres sur les murs

Son nom est inconnu sauf de toi
Le jour tarde le soleil ne darde point
il hésite à frapper à ta porte
Les tambours ne sont pas prêts à battre
Tous les doutes s’évanouissent dans le silence
Les fleurs s’épanouissent en ta présence

Rab 40

Mort o splendeur défunte
Feu notre frère chant de victoire
Liberté terrible
Tu danses élancé
Sur la musique des anges

La mort venue tu incendieras
Les cordes qui lient mon pauvre corps
Que mon coeur ne fasse qu’un avec le tien
Ta frénésie tourbillonne sur moi
La chaleur de ma vie bondit vers toi

Rab 39

Le mur s’entrouvre
Miracle de la lumière
Rire divin
Le coeur de la nuit est transpercé
Tu es prise dans le noeud des doutes
Et des rires incertains
La blancheur immaculée n’est pas ton ennemie
Le tambour des lumières effrénées
Rythme ta danse de feu
Je brandis la torche rouge
La mort agonise

Rab 38

L’amour entre nous n’est pas badinage
Les tempêtes rugissantes
Se sont abattues sur moi
Ma lumière s’est éteinte
La forêt des doutes noirs
S’est amassée sur moi
Eteignant les étoiles

Les digues sont rompues
Les flots boueux ont recouvert nos moissons
Les plaintes de désespoir
Disloquent notre ciel

L’amour règne dans ces circonstances extrêmes
Il embellit sous les coups douloureux
Il triomphe de l’apathie glacée de la mort

Rab 37

Un brave disciple dormait dans la poussière
Contre la muraille de la cité
Les portes étaient fermées
Les étoiles cachées
Il tressaillit Les bracelets de pieds tintaient
L’apparition était constellée de bijoux
Ivre du vin de sa jeunesse insolite
De son art de danseuse

Le disciple obscur lui demanda
De passer son chemin
Mais lui promit de la revoir
La nuit noire fut illuminée par un éclair
La tempête grondait
La jeune femme en trembla

Les branches des arbres ployaient
Sous le poids des boutons de fleurs
La danseuse joyeuse chanta de sa flûte
La lune ronde contemplait les ombres

Le jeune ascète marchait sans bruit dans la rue déserte
La flûte joyeuse était loin
Les arbres chantaient leurs plaintes sans sommeil
La peste noire frappa brutalement
Le corps taché de plaies nombreuses
De la danseuse

Le disciple sommaire prit la tête de la jeune femme
Sur ses genoux humecta ses lèvres
Elle lui sourit pour la dernière fois
La vie et la mort se combattaient en elle
Pour la première et dernière fois

Rab 36

Ils ramassent de la boue pour souiller ta robe
Je cris vers toi : « Venge-toi ! »
Tes yeux sont rouges de l’orgie nocturne
Les lys craignent ton haleine
Les étoiles ne contemplent rien
Dans le jardin fleuri animé par les oiseaux
Au bord des berges ombreuses
Le murmure des feuilles d’arbre
Répond à celui, doux et triste, des vagues

Leur égarement est sans pitié
Ils rôdent toujours dans l’obscurité
J’en ai le coeur transpercé
Ils te frappent à nouveau
Impuissant tu pleures
Tu caches leurs armes dans tes blessures
Les amours souffrantes ne dorment pas
Dans la pâle lumière matinale du pardon

Dans une avidité croissante ils forcent les portes
Le fardeau de leurs rapines devient si lourd
Qu’ils ne peuvent le mouvoir
Tu pardonnes o maître serviteur
Ta tempête éparpille tout dans la poussière
Ton pardon est pluie de sang orage rouge

Rab 35

La trompette gît dans la poussière
Le vent est fatigué La lumière est morte
Nous somme face à un jour de malheur
Venez venez chanteurs et pèlerins

J’étais en marche pour aller nulle part
Le jour avait été poussiéreux
J’avais besoin d’un baume et d’eau
Ta trompette gisait dans la poussière

Il est l’heure L’heure de quoi ?
Il est toujours l’heure de quelque chose
Il est l’heure pour moi d’allumer ma lampe du soir
La nuit entame sa sérénade aux étoiles
Ma rose et les pavots se sont fanés
Mes égarements sont terminés
Je ne ramasserai pas ta trompette

La jeunesse est magique
Tu es jeune hélas et je suis bien vieux
Ma joie de vivre est intacte
L’aube traverse la nuit
Je ramasserai ta trompette

Je marche comme d’instinct
Sans éviter les flèches innombrables
J’entends une foule de bruits divers
Des cris des rires des gémissements
Il semblerait que ta trompette résonne

Je cherchais le meilleur
Je n’ai trouvé que la honte
Je suis nu sans armure
Ma vie est en flammes
Mon coeur bat une marche de victoire
Je saisis ta trompette

Rab 34

Ce que j’appelle un saint ne se distingue pas forcément
De ceux qui l’entourent
Un pauvre humain sans prestige
Se réfugia dans la grande forêt
Des humains comme lui
Se pressèrent à ses côtés
Comme des abeilles
Le roi constata avec fureur
Que tout le monde boudait
Son temple au dôme d’or
Le simple quidam répondit :
 » Des milliers d’humains sont morts
Pour la construction de ton temple
Nous, nous préférons le temple offert par la nature
Et qui ne coûte rien  »
Le roi presque seul réintégra
Son temple et son palais
Déjà ruinés