PCA 108

Pour elle aussi est venu l’automne
Le temps de la cueillette des graines de lotus
Sa barque glisse sur le lac miroir chatoyant
Elle regarde avec curiosité un jeune homme
Qui laisse sa barque ballotter au gré des vagues
Sans réfléchir elle lance au dessus de l’eau quelques graines
Elle se sent observée elle reste rouge de honte
Jusqu’à la fin de la cueillette

La brume timidement se dissipe
Les dernières étoiles sur le ciel pâle
S’effacent peu à peu
La faible lueur de la lune déclinante
Effleure ta joue
A l’aube nous partageons les larmes du départ

Beaucoup a été dit
Mais comment épuiser les mots d’amour ?
Elle tourne la tête et répète :
« Souviens-toi de ma jupe de soie
Et regarde tendrement les herbes
Partout où te mènent tes pas  »

PCA 107

Par-delà les sommets
j’attendais toute une année
Des nouvelles des miens
Aujourd’hui je reviens
J’approche de mon village
Je n’ose rien demander aux passants

La lune de printemps éclaire la cour endormie
Les pétales blancs des cerisiers s’effeuillent d’eux-mêmes
Seule à la fenêtre mon regard distrait glisse sur le jardin
Les cordes de la balançoire s’agitent au gré du vent
La fraicheur printanière pénètre ma chambre solitaire
Derrière mes rideaux de soie de tristes pensées m’empêchent de dormir
Les gouttes de pluie tambourinent sur l’étang
Mon petit bateau sera rempli d’eau
Comment cueillir demain les fleurs de nénuphars ?

Nous allons vers un temps plus frais
L’alcôve couleur de jade a des rideaux de soie
Le paravent rouge est brodé de pivoines
La grande natte de roseaux rares
La courtepointe de brocart
Tout est prêt à affronter les nuits
Ni froides ni ardentes

PCA 106

Je monte le coeur serré sur la tour du bord du fleuve
La lune brille comme les eaux Les eaux la reflètent avec le ciel
Celui qui m’a emmenée ici pour admirer le ciel et la lune
Où est-il aujourd’hui ?
La vue est aussi belle ce soir qu’elle l’était l’an dernier

La nuit dernière en rêve
Je l’ai vue sur l’oreiller
Nous chuchotions
Son visage était frais comme une fleur de pêcher
Elle baissait souvent les paupières comme des feuilles de saule
Moitié timide et moitié gaie
Prête à partir elle s’attardait
Au réveil j’ai su que je sortais d’un rêve
J’ai été inondé d’une tristesse énorme

Au sud de la rivière le pays est merveilleux
Les vagabonds du monde entier souhaiteraient y vieillir
Les eaux sont plus bleues que le ciel de printemps
Dans une vieille barque je me laisse bercer par le murmure de la pluie
Les filles de l’auberge ont l’éclat de la lune
Leurs poignets blancs sont doux comme de la neige
Ne reviens pas avant que ne s’éteigne le feu de tes veines
Sinon ton coeur déçu éclaterait en regrets

PCA 105

Le soleil plonge derrière les monts
je cherche l’ermite auprès de sa chaumière
Sous toutes ces feuilles qui choient
Où donc se trouve-t-il ?
Le sentier se perd dans la brume

Seul au crépuscule l’ermite frappe le gong de pierre
J’écoute immobile appuyé sur mon bâton
Un grain de poussière résume le monde
A quoi bon l’amour ? A quoi bon la haine ?

Tu me demandes quand je viens ? Je ne sais pas encore
Sur la montagne automnale un étang
Déborde de pluies nocturnes
Quand couperons-nous de nouveau
La mèche de la bougie à la fenêtre ?
Quand donc te parlerai-je des nuits
Sur la montagne noyée de pluie ?

Je suis épuisé par une nuit sans sommeil
Je pose un oeil hagard sur le paysage nocturne
Je suis des yeux un oiseau effrayé
Qui vole vers la rive engloutie dans la brume
Il traverse l’étang pour errer dans l’obscurité des arbres drus
Les hennissements des chevaux répondent aux flutes
Le braiment des ânes se mêle aux battoirs à linge
L’oiseau égaré sur un arbre devine sa fin
A la lisière du ciel lui et moi partageons la même peine

PCA 104

Le vent est léger sur la rosée matinale
Je me réveille seule derrière le rideau de soie
Les oiseaux et les fleurs sont rayonnants
Mais que m’importe à moi que le printemps soit là ?

Je reste couché vêtu de deuil
J’accueille morose le printemps
La porte est fermée mes désirs sont sans objets
Dans la chambre rouge nos regards restaient froids
Malgré la pluie je suis rentré seul
Le rideau est tiré la lampe est épuisée

Sur la route trop longue
Comment ne pas pleurer le déclin du printemps ?
Mon rêve est-il vrai aux dernières heures de la nuit ?
Ces bijoux de jade et ces lettres, où les envoyer ?
Une oie vole esseulée
A travers les mailles des nuages

PCA 103

La rivière porte son voile de brume
Mais un rayon de lune touche le sable blanc de la rive
Nous sommes amarrés près d’une maison de plaisir
Les filles de joie ignorent les malheurs du pays vaincu
Elles chantent les fleurs de jade

Seul hôte de l’auberge je rumine ma solitude
Sous la lampe éteinte ma pensée fuit vers le passé
Le cri anxieux d’une oie sauvage me chasse du sommeil
Ainsi réveillé à l’aube d’un rêve agité
Je relis les nouvelles de ma famille
Vieilles d’un an
Je surprend la lueur de la lune
Dans la brume sur la rivière
Mon bateau de pêche reste amarré
Près de la porte

PCA 102

Je ne peux guère montrer ma passion
Nos deux verres tintent
Nous essayons en vain de sourire
La chandelle qui a du coeur
Regrette déjà notre rupture
Elle fond en larmes blanches
Jusqu’au petit jour

La montagne est froide
Là où elle touche le ciel
Un seul sentier escarpé
Grimpe sur les rochers
Là où les nuages s’amassent
Parait une chaumière
J’arrête mon chariot au crépuscule
Je contemple enchanté
La forêt d’érables
Les feuilles brûlées par le gel
Sont bien plus rouges
Que des fleurs printanières

PCA 101

Tu étais la fille la plus jeune
Depuis que tu as épousé un poète sans le sou
Tout est allé de mal en pis
Tu m’as trouvé des vêtements
Pour m’acheter du vin
Tu as vendu ton épingle de jade
Tu nous as préparé des repas savoureux
Avec des plantes sauvages
Pour nourrir le feu
Tu as ramassé des branches épineuses
Aujourd’hui j’ai de l’argent
Et je t’offre des mets délicats

La lampe vacille une dernière fois
Les ombres battent comme des ailes
J’apprends que vous êtes banni
Je me lève malade à en mourir, épouvanté
A la fenêtre obscure
Une rafale glaciale
Me cingle le visage

PCA 100

J’interroge le garçon à côté du sapin :
« Où est ton père ? »
« A l’aube il est parti
Cueillir des simples
Une brume épaisse est venue
Il a disparu je ne sais où »

Sur le lit pour oreiller
Je dispose une pierre de torrent
La source du puits
Se jette dans l’étang
Au milieu des bambous
Minuit passé le voyageur attend
En vain le sommeil
Il est seul à écouter les gouttes
Qui tombent sur la montagne

PCA 99

Au-dessus des mille montagnes
Pas un oiseau
Sur les dix mille sentiers
Pas une trace humaine
Sur la barque solitaire
Un vieil homme tout seul
Sous sa cape de paille
Penche sa canne
Sur les ondes glaciales
Il neige

Il gèle fort en cette fin d’automne
Le givre est déjà épais
Tôt levé je traverse une vallée perdue
Le ruisseau et le petit pont
Disparaissent sous les feuilles jaunes
Un village est déserté
Sous l’ombre d’arbres séculaires
Quelques fleurs sont transies
Le silence de la solitude ne donne aucun signe de vie
Seule la source cachée gazouille par intermittence
J’ai chassé de mon esprit les tracas de ce monde
Par quoi le jeune faon est-il effrayé ?