PCA 98

Le feu se meurt dans la cheminée
La lumière de la lampe vacille
Nous entassons ensemble les chagrins
Nous sommes amenés à nous revoir
Toujours renaîtra notre ressenti
Penchés sous la lampe cette nuit

A côté d’un arbre jaunissant
Un vieillard boit le vin de sa cruche
Sur ses joues rutile le rouge
Des feuilles abîmées
Le printemps ne connaît guère cette richesse des couleurs

Les frangins dorment du sommeil de l’ivresse
Je me lève je m’habille Je descends
Je reste immobile au coeur de la nuit
Au milieu de la cour
Les ombres des glycines
Escaladent les marches
Au clair de lune

La tête enfoncée dans mon oreiller
Je me tais dans la chambre vide
Je ne dors pas je ne suis pas malade
Qui saurait pourquoi je reste ainsi un jour entier ?

PCA 97

Je pourrais avoir du travail
Mais je suis trop paresseux pour en chercher
Je possède des terres que seule ma paresse
M’empêche de labourer
Dans ma hutte il pleut
Je suis trop fainéant pour m’en occuper
Mon paletot est déchiré
Je ne sais pas le repriser
J’ai du vin Je ne sais plus le boire
Donc mon verre est vide
J’ai un luth je suis trop paresseux pour en jouer
Donc il n’a pas de cordes
Ma famille me répète qu’il n’y a plus de riz bouilli
Je voudrais bien le cuisiner
Je suis trop paresseux pour le broyer
On m’écrit mais je n’ouvre pas les lettres
On m’a toujours dit que mon cousin
Est un fainéant total
Mais lui il joue du luth
Et passe dans sa forge
J’ai réussi à être plus paresseux que lui !

PCA 96

Au bord de la rivière au milieu de la steppe infinie
Le tertre se dresse taciturne sous le ciel bleu
Sous les herbes sauvages
Reposent les ossements du poète
Dont les vers ont jadis subjugué la terre
Les poètes sont souvent malheureux
Aucun ne l’a été autant que vous, cher maître

La cruche de terre est pleine de vin nouveau
La petite cheminée d’argile rouge est animée d’un feu joyeux
Ce soir quand la neige va tomber
Tu viendrais boire un verre avec moi ?

Ne coupez pas, s’il vous plaît ,
Le bambou mince qui a poussé devant la fenêtre
Pour en faire une flûte ou une canne à pêche
Il sera si beau en hiver sous une couche de neige

PCA 95

Nos regards se sont croisés ce matin
Les mots ne savent guère refléter la profondeur de nos pensées
Toute la journée nos coeurs
Vibrent de mille promesses

Je bois devant le buisson de pivoines
Une goutte amère tombe dans mon verre
Je crains que les pivoines ne pensent à part elles :
Ce n’est pas pour vous, vieux monsieur,
Que nous si belles sommes épanouies

PCA 94

J’appartiens à un époux
Vous m’avez offert deux perles lumineuses
J’ai tremblé en les contemplant
Mes parents sont proches
Mon mari est dans la garde
Vos sentiments sont purs
Reprenez vos perles
Mes larmes les accompagnent
Mon ami que ne vous ai-je connu
Avant d’avoir engagé ma liberté pour la vie !

Les oiseaux blancs
Aux ailes comme de la soie
Se perchent sur les branches
Près de ma fenêtre
Un petit singe vient chiper des châtaignes
Les oiseaux brusquement s’envolent
Deux par deux

J’arrive de nuit chez un pêcheur
Sa cabane se situe à l’embouchure du fleuve
Mais c’est les eaux de l’étang
Qui mouillent ma porte de branchages
Un voyageur s’arrête pour dormir
La maison est vide
Le sentier du village se perd dans les bambous
Les barques sont rares sous le surgissement de la lune
Pour accoster quelqu’un tâte le sable de la berge
Sa cape de paille se gonfle sous la brise

PCA 93

Ces soupirs sont printaniers
Chassez l’oiseau
Je ne veux plus entendre son chant maigrelet dans les branches
Il a troublé mon rêve
Je ne te rejoins pas à la frontière

Ne chéris pas ta robe au tissu d’or
Chéris plutôt ta jeunesse qui fuit
Cueille immédiatement et sans remords
Les fleurs qui s’épanouissent
N’attends pas qu’elles s’envolent
Tu ne cueillerais que des branches nues

PCA 92

Le sable blanc
Ressemble à de la neige
Au pied de la montagne
La clarté de la lune
Paraît du givre
Sur les remparts de la ville
Livrée par l’ennemi
Quelqu’un joue de la flûte quelque part
Toute la nuit elle a été la nostalgie des soldats

Dans l’ancienne passe les herbes jaunissantes
Ajoutent de la tristesse à notre séparation
Ton chemin grimpe vers les nuages glacés
Le mien s’enfonce dans la neige noire du soir
Né orphelin je suis devenu un vagabond sans attache
Mille misères ont retardé le moment de te connaître
Face à face muets épuisés nous retenons nos larmes
Que pouvons-nous encore espérer dans les turbulences présentes ?

Ils me diffament et me calomnient
Ils enflamment et brûlent le ciel
Ils se fatiguent bien en vain
j’absorbe tout ça comme de la rosée claire
Soudain purifié regénéré
J’entre dans le monde qui échappe à leurs pensées

PCA 91

En écartant le rideau
Je salue la lune nouvelle
Je descend en courant les marches de mon jardin
Je m’incline devant elle
Je chuchote et personne ne m’entend
Seul le vent du nord me souffle quelque chose

Sa musique résonne
A ses chevilles brille l’or
Ses mains blanches scintillent sur les cordes
Pour attirer les regards la joueuse de cithare
Se trompe à dessein

PCA 90

Par la nuit d’automne
Je pense à toi
Je me promène en chantant
La fraîcheur du ciel
Les pommes de pin
Tombent sur les collines désertes
Toi, solitaire au loin,
Ecoutes-tu le silence de la nuit ?

Avec qui au printemps partager la tendre beauté
Des herbes veloutées au bord de la rivière ?
L’oiseau chante dans les branches touffues
Au dessus de ma tête
Les vagues gonflées par la pluie
Se précipitent vers le crépuscule
Le long de la jetée déserte
Une jonque vide oscille au gré de l’eau

PCA 89

Peut-être ai-je déjà vécu en ce lieu ?
J’ai le sentiment de revenir au pays natal
il me semble même que les saules anciens
Qui ombragent les berges de la rivière
Frémissent de joie en me voyant

Le jour s’éteint
Un froid vif s’abat sur les collines
Je m’en vais seul par le sentier désert
La forêt assoupie ne donne aucun signe de vie
Sauf des traces de cerf sur les herbes qui ondulent