Le fabuliste inconnu ( 176 )

« Que désires-tu ? »
« Le bonheur »
« Comment comptes-tu être heureux ? »
« Par la gloire, les honneurs, l’or ! »
« Je te les donne »
Dix ans plus tard :
« Es-tu heureux ? »
« Non »
« N’as-tu pas obtenu ce que tu souhaitais ? »
« Si »
« Que te manques-tu ? »
« La vertu »
« La vertu ? »
« La paix de l’âme… »
« La vertu ? »
« La conscience paisible, la discipline librement acceptée… »
« La vertu ? »
« Le sens du devoir, l’amour de la loi, le civisme… »
« Tout ceci est baliverne »
« Hélas ! »

Le fabuliste inconnu ( 175 )

Un gros chien dormait toute la journée
Un baudet s’esbaudissait :
« Ah ! Quelle fainéantise ! »
Le chat de la maison répondit :
« Que ne veilles-tu la nuit !
Tu verrais un vrai chien de garde ! »

Le fabuliste inconnu ( 173 )

La neige désirait à tout prix
S’échapper de la haute montagne
On lui permit de tomber
Sur une campagne riante au printemps
Elle devint champ de neige
Elle aperçut au loin une ville
« Que cet endroit est vivant animé plein de bruits ! »
La neige blanche douce silencieuse
Tomba sur la ville sur le pavé
Et y devint fange vile
La ville n’aime guère la pureté

Le fabuliste inconnu ( 172 )

Le phénix mourait
Sur un bucher de flammes odorantes
Une tourbe insolente applaudissait
Quelle ne fut pas sa stupeur
Quand l’oiseau renaquit de ses cendres !
Aux humains la postérité
Permet parfois la résurrection

Le fabuliste inconnu ( 171 )

Du temps de l’empire romain
Un pauvre laboureur fut accusé de magie
Parce que sa terre naguère rocailleuse et stérile
Etait désormais verdoyante et fertile
Devant la foule assemblée au forum
Il montra ses boeufs
Ses garçons déjà forts
Tous ses outils de labourage
« Voilà », dit-il, « la magie dont on m’accuse »
Et le peuple d’applaudir

Le fabuliste inconnu ( 170 )

Une tourterelle cherchait l’amour
Tout l’indiquait jusqu’à sa démarche
A un coq elle dit : « Je n’aime pas les infidèles »
A un aigle : « Mon amour n’est pas dans l’ambition »
A un rossignol : « Je ne vis pas de chansons »
A un paon : « Je déteste la vanité »
La pauvrette en était réduite aux larmes
Quand survint un tourtereau
« Nous sommes semblables », dit-elle

Le fabuliste inconnu ( 169 )

Pour un feu d’artifice on utilise souvent
Des fusées folles de jactance
L’une d’elles témoignait à une lampe son mépris
D’éclatante fille des cieux
La lampe répondit : « Je luis plus longtemps
Et modestement je sers beaucoup de gens
Tu n’es qu’un vain amusement »
La fusée est futile la lampe est utile
Pourquoi pas ?

Le fabuliste inconnu ( 167 )

L’avare disait à l’hydropique :
« Votre sort est inconcevable
L’eau vous tue et vous buvez sans cesse »
« j’ai toujours soif je ne peux pas me désaltérer
Nous sommes victimes d’une semblable fatalité
Vous avez toujours soif de l’or
Plus votre trésor grossit plus vous avez soif »