Un fleuve se vantait de sa gloire
En arrivant à l’océan
Il était grand il était vaste
Il pouvait porter
De petits et grands bateaux
L’océan a mugi :
« Ne sois pas trop fier !
Tu ne serais rien
Sans les ruisseaux
Sans les rivières
Qui t’ont nourri »
Le fabuliste inconnu ( 155 )
Un pot était fait de terre
Pour ne pas dire de fange
Un autre était en or
Le premier ne valait presque rien
Le second était vanté
Pour son prix son éclat et sa solidité
Le premier avait été endurci au feu
Le second tombe dans un foyer
Le voilà fondu !
Chacun dépend des circonstances
Pour se détruire ou résister
Le fabuliste inconnu ( 154 )
Le flot fuyait le rivage
Ses sables ses rochers ses falaises
Ses herbes ses fleurs ses oiseaux
Ses coquillages
Vers quel abime courait-il ?
Il ne le savait pas
Le fabuliste inconnu ( 153 )
Un moucheron débutant inoffensif mais désobéissant
S’approcha de la flamme d’une chandelle
Celle-ci gracieuse lui dit :
« Tu n’es pas un couard
Tu ne t’épouvantes pas pour une folle chimère
J’accepte de te loger dans mon palais
Je te donnerai ma couronne de zéphyr et d’azur
Le chef-d’oeuvre des sylphes »
Vous savez ce que fit le pauvre moucheron
Il s’élança et dans le beau palais rencontra sa mort
Une mouche vieille et prude
Avait assisté au drame
« Que la jeunesse est imprudente ! »
Elle se précipita vers un bol de lait
« Là du moins on ne risque pas de se brûler »
Oui mais on peut s’y noyer
Cadavre noir dans un lac blanc
Le fabuliste inconnu ( 152 )
Une fauvette chantait insolemment et continûment
La foule geai dindon corbeau pie jusqu’à l’oison
Commençait à en avoir marre
Un pinson se sentait enroué
Il demanda à la fauvette d’où lui venait son ardeur joyeuse :
« Du rossignol qui m’a félicité »
« Cele suffit-il à te mettre en joie ? »
« Certes non, mais le rossignol est un génie
Et j’ai un brin de talent »
Le merle se mêla à la conversation :
« je suis dans la même situation
Quand le génie applaudit à nos chants
Peu importent les clameurs des sots et des méchants »
Le fabuliste inconnu ( 151 )
Un coq régnait sur la basse-cour
Et terrorisait même les dindons
Tous les matins il claironnait :
« je suis le maître du monde »
Un aigle survint qui lui montra
Qu’il est d’autres maîtres
Comme il y a d’autres mondes
Le fabuliste inconnu ( 150 )
Une abeille sermonnait un papillon :
« Vas-tu jusqu’à ta mort
Eparpiller une vie oisive et oiseuse
Ta vie vagabonde
Aux quatre coins du monde ?
Sans aucun souci de l’avenir ?
Quant à moi je suis le modèle
Du travail assidu
Toujours fidèle à ma ruche
Et à mon petit peuple »
Le papillon répondit :
« Je suis l’esprit dégagé des liens terrestres
Emeraude vivante diamant volant
Symbole charmeur de l’âme voyageuse
Je vole à mon gré de fleur en fleur
Quand la mort met un terme
A ma vie insoucieuse
Je rêve encore d’amour et de plaisir
A la muse poétique je ne demande rien d’autre
Que la muse elle-même »
Vivons et laissons vivre !
Le fabuliste inconnu ( 149 )
Le corbeau s’apprêtait à dévorer un fromage
Le renard mielleux et fielleux
Lui tint à peu près ce langage…
« Halte là » lui dit le corbeau
« Mes pareils deux fois ne se font pas avoir »
L’oiseau noir mangea son fromage
Aux yeux du bon apôtre
« Fieffé matois pour me séduire encore
Entonne une autre gamme »
Le fabuliste inconnu ( 148 )
Les grenouilles se choisissent de temps en temps un roi
Soliveau héron ou même hydre épouvantable
Le peuple coassant jamais content se plaint :
« Quand on est malheureux n’a-t-on pas raison de se plaindre ? »
Un crapaud solitaire observe tout cela :
« Pourquoi donc ces idiotes ont-elles besoin d’un roi ? »
Le fabuliste inconnu ( 147 )
Deux canards barbotaient de concert
L’un d’eux : « Le mouton est moutonnier c’est là son moindre défaut
Je le trouve bête
Je préfère le chacal toujours en activité
Capable quand il le faut d’en appeler à sa bande »
L’autre : « Je ne te souhaite pas
De te trouver en tête-à-tête
Avec l’un de ces chacals que tu apprécies
Le mouton est bête j’en conviens
Mais il est sensible et doux
Ce pauvre animal n’a jamais fait le moindre mal »