Le fabuliste inconnu ( 146 )

Une dame laide à faire peur
Se trouvait belle
Comme elle était riche et généreuse
Elle était entourée d’amis
Qui lui répétaient que sa beauté
Etait à nulle autre pareille
Et même d’une grande originalité
Un soir d’hiver seule pour une fois
Elle se regarda dans le miroir
Enfin elle se vit laide
D’un coup de pied elle cassa
Le témoin indiscret

Le fabuliste inconnu ( 145 )

Un oiseau gémissait sur son sort si funeste
Sa compagne était partie
Son nid restait vide
Il finit par s’envoler à tire d’ailes
Peu après un autre oiseau prit sa place
Et convainquit sa compagne
D’y couver à l’aise
A toute chose qui parait simple
Il faut de l’ombre et du mystère

Le fabuliste inconnu (144 )

Dans un coin de forêt
Une araignée tissait avec soin sa toile
Un coup de vent mauvais venu du nord
Emporte l’ouvrage tout entier
L’arachnide se dit : « Eh ! bien !
Il ne me reste plus qu’à recommencer
Peut-être dans un endroit plus abrité »
Si vos projets les mieux fondés
Sont emportés par un coup du sort
Peut-être ferez-vous comme l’araignée

Le fabuliste inconnu ( 143 )

Un derviche préparait sa maigre couche
Contre le mur d’un palais
Un courtisan lui dit :
« Chien, ne vois-tu pas que tu fais de l’ombre
Au palais d’un roi ?
Ce n’est certainement pas un hôtel  »
« Vous êtes combien là-dedans ? »
« Un bon millier »
« Ce n’est pas un hôtel
C’est un caravansérail »

Le fabuliste inconnu ( 140 )

L’éclair dit : « Dans la nuit la plus ténébreuse
Je suis éblouissant »
L’arc-en-ciel dit : « Après la pluie
J’annonce la renaissance des plus belles couleurs »
Un bouleau d’un certain âge reprend :
« A chacun son boulot
L’un terrifie l’autre apaise
A l’un la crainte à l’autre l’espérance »

Le fabuliste inconnu ( 139 )

Une cruche se penchait pour puiser de l’eau
Un courtisan qui passait se moqua
Le roi se présente avec une partie de sa cour
Sur un trône d’or et d’écarlate
Le courtisan se prosterne aux pieds du souverain
Le monarque disparait et le vase :
« Nous suivons tous notre intérêt
Je me baisse pour de l’eau et toi pour de l’or »

Le fabuliste inconnu ( 138 )

La droite la gauche et les extrêmes
S’agitent comme une mer horrible
Une brève accalmie les oppose
Comme des choeurs antiques
Personne ne se tait personne n’écoute
Le président impuissant et accablé
Décrète une suspension de séance
Chacun va boire et manger de son côté
Cette historiette ne décrit pas
L’une de nos assemblées

Le fabuliste inconnu ( 137 )

Un homme sans vue ni odorat
Prétendit que la rose
N’a d’autre attrait que ses épines
Ses dards qui piquent et qui déchirent
« A mon humble avis
Cette maudite fleur
N’a ni beauté ni senteur »
Femme poète enfant
Si l’on nie vos rêves chéris
Songez au malheureux
Qui méprisait la rose