Le fabuliste inconnu ( 126 )

Un fermier aimait sa vache
Qui lui donnait du bon lait
Un soir qu’il lui répétait
A quel point il l’aimait
La vache lui dit :
« Assez de tes cajoleries
Et donne-moi à manger »
Le fermier effrayé s’enfuit
A toutes jambes
Il n’avait jamais appris
Que les vaches peuvent parler

Le fabuliste inconnu ( 125 )

Il est des folies soudaines et inattendues
Une nuit un réverbère se prit pour le soleil
« N’éclairé-je pas le monde ?
L’autre est parti, prenons sa place »
Il s’étira tellement du cou qu’il s’envola
Malheureusement le soleil levant l’éteignit
Par la violence pacifique de ses rayons
La lumière d’un réverbère ne se voit pas en plein jour

Le fabuliste inconnu ( 124 )

Une vieille chatte ne mangeait plus que de la bouillie
Elle réprimanda de jeunes chats
Qui vigoureusement faisaient la chasse aux rats
« L’intempérance est un piège funeste
La chair que vous dévorez est indigeste… »
Le plus espiègle des petits chats lui demanda :
« Mamie, montrez vos dents ! »
« Hélas ! Je n’en ai plus »
« Mangez donc votre soupe »
La morose vieillesse reproche souvent à la jeunesse
Son penchant à l’amour et au plaisir
« Mamie, montrez vos dents ! »

Le fabuliste inconnu ( 123 )

Une vieille chouette en mal d’enfants
Déroba les oeufs de la voisine
Ils donnèrent de petits rossignols
Ce fut l’émoi dans la contrée
Et la stupeur pour la chouette
Qui pourtant était bonne mère
Le drame était qu’ils entendaient vivre le jour
Et qu’elle n’aimait que la nuit
Le crime paie mal en général
La vilaine chouette pourtant fut récompensée
Par le chant de ses faux enfants

Le fabuliste inconnu ( 121 )

Un bel Africain dirigeait à son aise sa pirogue
Un affreux orage éclata dans les airs
« Peu m’importe je suis sur l’eau »
Autour du frêle esquif la vague s’amoncèle
Et l’entraine en grondant vers les rocs entr’ouverts
L’Africain alors se met dans le sens du vent et du courant
Cesse de pagayer et se repose les yeux fermés
La pirogue heurte un rocher mais échoue sur une petite plage
Pas d’efforts inutiles

Le fabuliste inconnu ( 120 )

Moïse laissait parler sa verge :
« A moi seule les prodiges sont dus
J’ai confondu les vains prestiges de Pharaon
J’ai ouvert la mer Rouge
Et le rocher du désert… »
Un vieux sage-apprenti
Voulut mettre un terme à cette folle jactance :
« Faible roseau tu n’es que l’instrument du prophète… »
La verge l’interrompit : « Je sais qui je suis
Et je te dis zut et flute, vieil apprenti »
Il arrive que les hommes se laissent conduire par leur verge

Le fabuliste inconnu ( 119 )

L’enseigne de l’auberge montrait un dragon
Crachant ses flammes
En dessous en lettres d’or on lisait :
« Aujourd’hui vous payez »
Un quidam se priva de manger ce jour-là
Le lendemain il se gobergea
Comme il gagnait la porte
L’aubergiste lui demanda son dû
« Aujourd’hui c’est demain »
« Demain c’est jamais »