Un nez ne supportait pas
De porter des lunettes
« Elles me font mal
Ou du moins elles me gênent »
On les lui enleva
Sur le premier obstacle venu
Il se cassa le nez
Il est possible que le désagréable
Soit nécessaire
Le fabuliste inconnu ( 95 )
Pas de fumée sans feu
Pas de feu sans fumée
C’est ce que la fumée
Disait au feu
Le feu répondit :
« Si tu crois que ça m’amuse !
Tu obscurcis l’air que j’éclaire »
La fumée : « Il y a un aspect négatif
A chaque chose »
Le fabuliste inconnu ( 94 )
Un fantôme s’enfuit le long de la vallée
Il abandonne trois femmes en deuil
Les humaines vertus lui font-elles reproche ?
Il court encore plus vite
Il foule aux pieds des malheureux
Il s’engloutit enfin
Dans l’azur du matin
Les fantômes
Ne sont que le reflet de nos angoisses
Ils sont souvent antipathiques
Le fabuliste inconnu ( 93 )
Un chêne se moquait d’un arbuste :
« Que tu es petit ! que tu es laid ! »
L’arbuste répondit :
« Petit certes ! Laid certainement pas !
Souvent dans ce qui est petit
La beauté trouve refuge
Admettons, vous êtes beau
Mais notre ombre ? »
« Quoi notre ombre ? »
« Nous avons tous les deux une ombre
La votre est plus grande voilà tout »
Pour le fabuliste inconnu
L’ombre est notre part sombre
Plus nous grandissons plus elle grandit
Le fabuliste inconnu ( 92 )
Un hibou sentencieux ( comme ils le sont tous )
Sur sa branche assis
Jouait au professeur
Pour qui voulait l’entendre
Nul succès Ils passaient tous leur chemin
Le hibou mourut dans l’indifférence
Cependant on s’aperçut quelques mois plus tard
Que le baudet s’essayait aux airs d’opéra
L’araignée la tête en bas tentait la tapisserie
Le cygne dansait sur le lac
Il n’est pas si fréquent que l’on sache
Quand un enseignement porte ses fruits
Le fabuliste inconnu ( 91 )
Un cygne couvait des oeufs
Qui n’étaient pas à lui
Un canard colvert se moqua de lui :
« Ne vois-tu pas que tu prends soin
D’oeufs de tourterelle ?
Jamais ils ne te rendront la pareille ! »
« Je sais », dit le cygne, « mais j’aurai tant de joie
A voir éclore les petits »
Ce cygne était-il humain ?
Le fabuliste inconnu ( 90 )
Un arbre poussait
Ses petits voisins
Buissons ronces et même le houx
Ne cessaient de se plaindre
« Même son ombre est fatale… »
L’arbre un pin
Etala un large parasol
Qui chez maint dormeur
Suscita des songes gracieux
L’envie est une manie généralisée
Il vaut mieux ne pas y succomber
Le fabuliste inconnu ( 89 )
Dans la rue une personne bien mise
Propre sur elle m’accoste
Et me dit : « Tous les psychiatres sont fous
Moi un sage ils ont voulu m’interner ! »
Poliment je me suis dégagé
Il est parfois difficile de discerner
Le fou du sage
Le fabuliste inconnu ( 88 )
Pas de rose sans épines
C’est bien vrai
On oublie souvent
Que lorsque les pétales se sont envolés
Les épines subsistent
Obstinément dressées
Les épines sans rose
C’est non seulement possible
Mais le fait est fréquent
Le fabuliste inconnu ( 87 )
Pour une mascarade grotesque
Chacun avait le choix de son déguisement
L’hypocrite affectait la piété
La putain avait choisi
La robe de l’innocence
L’avare affectait la bienfaisance
Le menteur portait haut
Le miroir de la vérité
Qui l’eut crû ?
Les vertueux s’affublèrent
Des signes contraires
A leur qualité
Surtout la jeune vierge habillée
Comme une prostituée
La mascarade n’est pas rare
Dans notre société