Le fabuliste inconnu ( 86 )

Un sapajou très âgé
Couvert de croutes
Les yeux purulents
Inspirait plus le dégoût
Que la pitié
Il mourut seul
Il laissait une chanson inachevée
« J’aime la France
Patrie des lois et des droits
Ouverte à l’humanité entière… »

Le fabuliste inconnu ( 84 )

Un nid à même le sol
Grouillait d’oisillons
Au bec démesurément ouvert
Six mois plus tard
De petites vipères les avaient remplacés
C’est souvent dans nos vies que les choses changent ainsi
Après les oiseaux de l’enfance
Les serpents de la souffrance

Le fabuliste inconnu ( 83 )

Un rossignol chantait librement
On le mit en cage dans un palais
Désormais l’oiseau se tut
Le prince lui demanda : « N’as-tu pas ici tout ce que tu peux désirer ?
A commencer par ta cage dorée ? »
Le rossignol chanta :
« Une cage d’or, c’est toujours une cage »

Le fabuliste inconnu ( 82 )

Une source devenue ruisseau puis rivière
Faisait la joie du voisinage
Le rossignol chantait sur le bouleau
L’hirondelle de son aile effleurait l’eau limpide
Les abeilles butinaient les fleurs
Un avare conseilla de creuser un réservoir
Où l’eau se contemplerait sans cesse
Elle répondit : « Je murmure d’orgueil
Sur mon lit de cailloux
Je préfère servir le monde
Que me contenter de moi-même »

Le fabuliste inconnu ( 81 )

A la fin d’un banquet de philosophes l’un d’eux, chenu aux cheveux blancs, déclara : « Tout passe tout s’écoule »
Un autre, juvénile aux cheveux longs, affirma :  » Tout n’est qu’assemblage d’atomes »
Socrate demanda :  » Les atomes disparaissent-ils ? »
Le jeune répondit : « Les atomes non, leurs assemblages oui  »
Socrate : « Si je comprends bien, les atomes tournent et tourbillonnent, leurs assemblages se modifient et sont périssables. Par conséquent toute chose est dans le temps.
Les deux : Oui
Socrate : Mais savons-nous ce qu’est le temps ?
Les deux : Non
Socrate : Pour progresser, nous devrons nous appuyer sur des raisonnements fondés sur le doute méthodique
Les deux : Oui. Merci Socrate »

Le fabuliste inconnu ( 80 )

On chargea tant les ânes
Qu’ils refusèrent d’avancer
On diminua de moitié leur charge
Vexés ils restèrent sur leur position
Les coups n’y firent rien
Les injures encore moins
Enfin on leur offrit quelques carottes
Ils reprirent le chemin

Le fabuliste inconnu ( 79 )

Une foule d’auteurs s’escaladait les uns les autres
Pour atteindre le sommet du mont Parnasse
« Quoi ! » dit quelqu’un  » Les sots aussi
Ont accès au Parnasse ? »
« Bien sûr » dit quelqu’un d’autre
« Mais ils n’y trouveront que des racines à brouter
Et de maigres fleurs de chardon
Le Parnasse est ailleurs désormais
Où ? Nul ne sait »

Le fabuliste inconnu ( 78 )

Chez lui un pauvre homme
Présidait un festin
On arriva au moment
Où tous rient sans savoir pourquoi
Le brave homme se leva pour protester
Contre sa pauvreté
Due aux impôts
A la dureté du marché
La misère en haillons
Se présenta à la porte
Suscitant le désordre
Le bonheur et la joie
S’enfuirent par la fenêtre
La pauvreté peut être décente et discrète
La misère jamais

Le fabuliste inconnu ( 77 )

Au marché un sac de marrons
Brillait doucement en surface
Chez soi on s’aperçut
Que les fruits d’en dessous
Ne sont pas à donner aux pourceaux
On est marron
Combien d’entre nous
Ne se se donnent à voir
Que sous leur meilleur jour ?