Les alouettes se rendant aux champs
En chantant
Furent effrayées par un monstre
Menaçant
Ce n’était qu’un épouvantail
Aux hardes bariolées au chapeau défoncé
Son nez est une carotte Ses yeux des boutons de culotte
Il est fait de paille
De l’autre côté du champ
Un grand miroir
Attendait les alouettes
Chacune on dirait cherche à s’admirer
Un filet les attrape
Fini de chanter
Qu’est-ce qu’on voit quand on regarde ?
Le fabuliste inconnu ( 75 )
Un âne ne convenait pas à son maître
Celui-ci le conduisit à la foire
Et en dit le plus grand bien
L’ane n’en croit pas
Ses longues oreilles
Il se rengorge
Voulant à tout prix ignorer
La raison de ces compliments sans fin
Ainsi sur Paris maint éditeur
Complimente son auteur
Maint cinéaste félicite ses acteurs
Le fabuliste inconnu ( 74 )
Selon un lapin savant les femmes font bien
De s’habiller comme des hommes
Parce que cela rehausse leur féminité
« Qui aurait cru dans l’U.S. Navy
Que les T-shirts siéraient si bien aux femmes
Même sans être mouillés ? »
Le singe ajoute : « Ce qu’il y a de bien
C’est qu’elles s’habillent aussi
A l »ancienne avec jupe et décolleté »
Le lapin : « Si elles veulent ! »
Le singe : « Si elles veulent »
Un ours mielleux : « La mini-jupe, c’est nouveau »
Le hibou sentencieux : « le moderne, c’est aussi de l’ancien »
De quoi se mêlent ces bestiaux ?
Le fabuliste inconnu ( 73 )
Un homme battait son chien
Et celui-ci lui léchait la main
Avait-il tort le chien ?
Assurément
Il péchait par amour
Avait-il raison son maître ?
Assurément pas
Il était de ces monstres nombreux
QUI ONT FIGURE HUMAINE
Le fabuliste inconnu ( 72 )
Pulchérie ( tel est le nom d’une amie )
A dit ce matin à son copain
Qu’il n’est qu’un radoteur
Parce qu’il lui a répété
Que même les riches
Ont besoin de tournevis
Le fabuliste n’entre pas
Dans ce genre de dispute
Le fabuliste inconnu ( 71 )
Un tout petit taupin
Tomba follement amoureux
D’une minuscule taupine
Fort jolie ma foi
Et volage
Elle alla vite voir ailleurs
Le taupin se résigna
Ou fit semblant
Lui aussi se promena
Mais quand la taupine revenait
Il était toujours là pour elle
Y-a-t-il une morale à cette histoire ?
Je ne pense pas
Le fabuliste inconnu ( 70 )
Une toute jeune abeille
S’égara étourdie
Loin de la ruche maternelle
Elle se trouva perdue
Dans un ravin hostile et sans fleurs
Une autre abeille
Par hasard la retrouva
Et prit avec elle le chemin de la ruche
Les humains aussi ne sont rien
Sans le COLLECTIF
Sans les divers groupes
Qui les recueillent
De la famille à la nation
Manque l’Humanité
Le fabuliste inconnu ( 69 )
Deux ormeaux poussaient côte à côte
L’un immense l’autre débile
Le grand dit au petit :
« Ressens-tu ma bienfaisance ?
Grâce à ma protection
Tu croîs à l’abri du danger
Tu ne redoutes pas la violence du vent
N’ai-je pas droit à ta reconnaissance ?
Donne moi un baiser ! »
« Non mais, ça va pas la tête ?!
Tu m’as ôté le soleil
Tes racines ont absorbé
Les sucs dont j’avais tant besoin…
Seule est vraie ta vanité
Ta bonté est feinte »
Un jardinier déracina le malingre
Et le transporta à l’air libre
Il ne supporta pas la brise
La liberté est un immense bienfait
Un bienfait risqué
Le fabuliste inconnu ( 68 )
Un homme gentil
Eut la brillante idée
De semer des glands dans des pots
La moitié sécha
L’autre moitié dépérit
Le plus grand des chênes
Ne dépassa pas un humble rosier
En prison presque tout s’étiole
Comme à la moindre plante
Il nous faut de l’air de la lumière
Et de l’espace
Le fabuliste inconnu ( 67 )
Adam chassé de l’éden
Regarde une dernière fois
Le paradis perdu
La bonne entente
Du lion et de l’agneau
De l’ane et du serpent
Les lumières mélodieuses
Dont il prive à jamais
Son espèce malheureuse
Il marche il pleure
Sur la route douloureuse
Qui le conduit au travail
Qui le conduit à la mort
Son épouse Eve l’accompagne
Accablée de chagrin
Il la prend par l’épaule
Elle sera son malheur
Son enfer imprévu
Elle sera son bonheur
Son paradis retrouvé