Le fabuliste inconnu ( 66 )

Un ignorant voyant des hommes
Masqués et vêtus de blanc
Se préparer à l’assaut
La flamberge au vent
Les supplia de ne pas s’entretuer
Il ignorait l’épaisseur du plastron
Et les règles du jeu
La pointe assassine se cache dans un bouton
Ces joutes de bretteurs sont inoffensives
Elles ressemblent à celles de nos journalistes politiques

Le fabuliste inconnu ( 65 )

Un lourdaud envoya au loin une pierre
Il cria d’une voix rogue : « Vas-y cours ramasse »
Le dogue indifférent poursuivit son chemin
Un enfant lui jette une rose
Le chien la ramasse délicatement
Il ne se pique pas et rend la fleur
Accordant à la gentillesse
Ce qu’il a refusé au mépris

Le fabuliste inconnu ( 64 )

Une foule marchait en ordre disciplinée
Certains portaient un drapeau rouge
De la fenêtre d’un appartement huppé
Un bourgeois cria : « Tiens voilà les dindons ! »
D’autres dindons depuis ont manifesté
Leur désir simple d’une vie décente
D’autres pauvres gens leur succéderont
Pour l’instant ils sont les dindons de la farce
Mais un jour la comédie deviendra tragédie
Peut-on toujours arrêter le progrès ?

Le fabuliste inconnu ( 63 )

A Paris il y a longtemps un passant insultait les cochers
Qui du haut de leurs fiacres fouettent les chevaux
Et éclaboussent les pauvres gens de son espèce
Le lendemain redevenu un cocher avisé
Il injuriait les gens et battait les chevaux
A Paris aujourd’hui les rôles s’échangent de même
Entre piétons et automobilistes

Le fabuliste inconnu ( 62 )

Les oiseaux de nuit et les chauves-souris
Hibou grand-duc chouette orfraie chat-huant
Ainsi que la pipistrelle
Ressentent leur impuissance devant la nuit
Eclairée comme un soleil des villages modernes
Ils ne voient même plus les étoiles
Faute de mieux ils s’enfoncent dans la forêt
Pas de progrès sans regrets

Le fabuliste inconnu ( 61 )

A la fin du printemps sur le bord d’un chemin
Un enfant cueillit deux petites plantes
Et les apporta à sa mère pour le ragoût du soir
Celle-ci blêmit et sépara vite fait
Le cerfeuil odorant de la ciguë amère
Qui empoisonna Socrate
Au début de l’automne l’enfant récidiva
Avec des champignons les uns ronds et blancs
Les autres longs et rougeâtres
Parfois une vie ne suffit pas pour trier
Le bien et le mal qui vivent côte à côte

Le fabuliste inconnu ( 58 )

Une jeune femme d’aujourd’hui
Poursuit une jeunesse frivole
Froissant sa beauté
Auréole de fleurs
Arc-en-ciel aux mille couleurs
Jusque dans l’alcool et d’autres drogues
Sa raison s’endort
Elle sent sous les plaisirs
Son bonheur qui s’envole
Se promenant elle voit un papillon volage
Mosaïque vivante de hiéroglyphes d’or
D’alphabet fantastique
il butine chaque rose
Mais si on le touche sa robe tombe en poussière
Son corps ressemble à celui d’une chenille
La jeune femme sanglote et ne change rien

Le fabuliste inconnu ( 57 )

Un voyageur s’égara dans la haute montagne
Il ne voyait plus que rocs arides escarpés
Abimes profonds torrents à pic

Au bord d’un précipice
Il pensait au suicide
Quand il entendit en écho
L’appel d’un pâtre

Celui-ci le guida vers des pentes plus douces et verdoyantes
Où paissent de nombreux troupeaux
Si cela est possible
Attendons pour juger
D’être amplement informés