Un vieil hibou contait son histoire à une petite chouette
Elle préférait l’épisode des deux rivages
« Enfant je vivais près d’une rivière
Les fleurs poussaient sur ses bords
Les poissons étaient nombreux dans son fond
Puis vinrent des machines des ouvriers
La rivière devint un canal sans poissons
Les fleurs ne poussent pas sur les chemins de halage
Je me suis retiré dans ce petit bois
Je regrette ma rivière
Mais je sais bien que le canal est utile »
« Aux humains ? dit la petite chouette
« Aux humains »
Le fabuliste inconnu ( 46 )
Les juges des enfers tenaient réunion pour établir leur jurisprudence
Vint le cas d’Harpagon
Comment punir cet avare ?
Minos fut d’avis de le renvoyer sur terre
Afin qu’il souffre de la dilapidation de ses biens par ses enfants
Les autres juges décidèrent que la peine la plus lourde est encore la privation de la vie
N’avaient-ils pas raison ?
Le fabuliste inconnu ( 45 )
Dans un temps lointain ou une contrée éloignée
Les moissonneurs avaient pris grand soin, après battage,
D’étaler sur l’aire d’un côté le grain de l’autre côté la paille
Maître Rat tint un discours important aux rats et aux souris :
« On dit du mal des humains Certes ils nous maltraitent
Mais c’est eux qui nous nourrissent
Allons ! Mangeons ! »
Les moissonneurs ne sauvèrent que la moitié de leur récolte
La moralité est claire : Il ne suffit pas de moissonner
Il faut protéger sa moisson
Le fabuliste inconnu ( 44 )
Une enfant dans les champs cueillait des fleurs
Elle en eut les bras pleins
Après elle une gigantesque machine
Récolta tout sur son passage
Le soir à la maison on fêta la moisson
Le père en plaisantant rudoya sa fille :
« Qui ne travaille pas ne mange pas »
Elle montra les fleurs qui ornaient la table
Les plus rudes laboureurs ont besoin de fleurs
Pour égayer leur vie
A chacun sa moisson !
Le fabuliste inconnu ( 43 )
Dès l’antiquité certains philosophes insistèrent sur le fait qu’il ne suffisait pas de savoir, mais qu’il fallait aussi le faire savoir. A notre époque de communication, au faire savoir, s’est ajouté le faire valoir. Dans les domaines névralgiques de la connaissance de l’humain, sur le mode de la publicité, le faire valoir l’a emporté de façon parfois monstrueuse. Ceci est une fable.
Le fabuliste inconnu ( 42 )
Apollon dieu solaire
Descendit sur la terre
Pour épouser une bergère
Célèbre pour sa grâce et sa beauté
Neuf mois plus tard une petite fille naquit
Les années ne comptent pas pour les immortels
Seize ans plus tard le dieu
Redescendit de l’Olympe
Il négligea sa bergère aux traits un peu vieux
Il apprécia sa fille rayonnante
Doucereux il lui demanda
Ce qu’elle préférait de son père de sa mère
La jeune fille lui répondit qu’elle admirait la puissance divine
Mais qu’elle préférait l’amour maternel
Le fabuliste inconnu ( 41 )
Deux canes aimaient se disputer sans raison apparente
L’une : « Moi, j’aime l’eau »
L’autre : « Moi, je préfère l’air »
L’une : « J’aime l’eau où je glisse »
L »autre : « J’aime l’air où je vole »
L’une : « J’adore l’eau sur laquelle je vogue suivie de mes nombreux canetons »
L’autre : « J’adore l’air dans lequel je vole accompagnée des canards adultes »
L’amusant de l’histoire est que chacune des canes empruntait tour à tour la voie des airs ou celle des eaux
Une troisième copine mêla son grain de sable : « Et la terre, qu’est-ce que vous faites de la terre sur laquelle j’aime tant promener mes pattes palmées ? »
Le fabuliste inconnu ( 40 )
Deux amis l’un sceptique l’autre idéaliste
Se promenaient dans la ruelle la plus obscure de Paris
A travers le rideau de fer d’une boutique qu’on eût crûe abandonnée
Ils entendirent un vacarme épouvantable
« On y va ? » dit l’un « On y va » dit l’autre
Ils entrèrent dans une pièce obscure en forme de long couloir
Où s’agitaient des jeunes gens agglutinés
Au fond sur une petite scène à peine éclairée
Gesticulaient des musicos échevelés
Devant un micro surélevé une belle black hurlait
Le sceptique murmura à l’oreille de son copain : « Pauvre jeunesse ! »
Soudain de la cacophonie surgit une étrange harmonie
Qui pleure gronde tonne
L’idéaliste murmura à l’oreille de son pote :
« L’harmonie nait de la diversité »
Le fabuliste inconnu ( 39 )
Hercule épuisé par ses travaux
S’endormit pesamment
A l’ombre d’un chêne tutélaire
Un satyre farceur lui chatouilla les pieds
Hercule se releva d’un bond
Brandissant sa massue
Le satyre s’enfuit à toutes jambes
Hercule se rendormit
Quelle est la morale de cette histoire ?
Je ne saurais vous dire
Le fabuliste inconnu ( 38 )
Dans un endroit sacré qu’on appelle musée
Un livre ouvert déambulait parmi les armures
Car les livres aussi déambulent
Les armures s’esclaffaient :
« Il est petit, mais pas mignon »
« C’est pas lui qui me battrait en duel… »
Le livre pensa : « En fait je suis grand »
Puis préféra s’éclipser un peu vexé
Sans avoir averti qu’il ne parlait que des armures