Le fabuliste inconnu ( 27 )

Une goutte d’eau tomba d’un nuage
Dans la mer Elle maudit son destin :
« Me voici semblable à des milliards d’autres
Comme un grain de sable au milieu du désert
Alors que je rêvais d’accompagner
L’aile d’un papillon ou d’une jolie fleur »
Une huitre s’ouvre la reçoit
L’associe à un minuscule grain de sable
La cristallise en perle
Qui un jour scintillera avec d’autres
Au cou d’une belle
Pas plus que pour la goutte d’eau
Ton sort n’est scellé
Ma belle

Le fabuliste inconnu ( 26 )

Le corbeau ne revenant pas Noé demanda à la colombe de s’envoler et de revenir avec un signe de terre émergée La colombe arriva enfin à un olivier sur lequel le corbeau se trémoussait Elle arracha un rameau Le corbeau lui demanda : « Pourquoi te donnes-tu cette peine ? Tu n’es pas bien ici avec moi ?  » La colombe répondit : « D’abord je ne t’aime pas. Ensuite sur l’arche il y a plein de gens plus sympathiques que toi. Avant moi le déluge ! »

Le fabuliste inconnu ( 25)

Le papillon volait plus léger que le vent
Du chèvrefeuille à la rose
Du jasmin au lys
Un chou s’offrit à lui
« Je dédaigne ceux de ton espèce
Informes lourds épais
Et surtout d’un vert vulgaire »
« Tu ne disais pas ça quand tu étais petit
Que chenille verdâtre
Tu rongeais mes feuilles
Qu’alors tu trouvais belles »
Nombreux sont ceux qui
A cause d’un sort prospère
Renient leurs amis
Et parfois même leur père

Le fabuliste inconnu ( 24 )

Un singe et un éléphant se promenaient de concert ils étaient silencieux n’ayant pas grand chose à se dire Eclata une grêle extraordinaire Certains grêlons étaient aussi gros qu’un ballon de football Le singe se cacha sous le pachyderme Celui-ci ne put s’empêcher de dire : »Pourquoi n’imites-tu pas ma noble attitude ? » « Je le ferais si j’avais l’épaisseur de votre cuir »

Le fabuliste inconnu ( 23 )

Souvent l’amante essaie de retenir l’amant Mais celui-ci a bien des choses à penser le travail les copains d’autres maîtresses Il s’enfuit donc sur un dernier baiser Cette fable n’a pas de moralité

Le fabuliste inconnu ( 22 )

Des moutons paissaient paisiblement Même le chien se reposait dans l’herbe ombragée Mais le camion de l’abattoir surgit suscitant un affolement bien compréhensible On se bouscule on s’écrase à demi On bêle à s’en égosiller Le chien aboie en vain Rien n’y fait Les bouchers emmènent leur lot Le berger n’était pas là C’est lui qui avait envoyé les tueurs

Le fabuliste inconnu ( 21 )

Un joli papillon de nuit, comme il y en a plein, se cognait en vain à une fenêtre close Il était ébloui par la belle lumière d’une lampe à l’ancienne Abimé enragé il vit un moucheron se précipiter vers la lampe et en périr Le papillon bénit soudain l’obstacle salutaire qui venait de s’opposer à ses voeux imprudents

Le fabuliste inconnu ( 20 )

Un homme triste et solitaire marchait sans but dans la forêt profonde Il était perdu mais s’en fichait pas mal Cependant il fut bien aise d’apercevoir une lumière fixe au loin Non sans difficulté il marcha vers elle Il tomba dans le fossé invisible à ses yeux et se cassa le cou

Le fabuliste inconnu ( 19 )

Dans une grande maison ancienne une pièce inoccupée était remplie des objets les plus hétéroclites, mais ne disposait pas de l’électricité Un soir des chats y menèrent un sabbat du diable Une petite femelle étant en chaleur les mâles étaient en rut Dans la chambre à côté monsieur L. entendait bien dormir Impossible ! Il se lève s’arme de sa batte de base-ball fonce dans la pièce soudainement sur-peuplée frappe à droite frappe à gauche renversant à son aise pendule armoire table chaise plus un vase précieux Sous le bâton pas un chat ne fut pris

Le fabuliste inconnu ( 18 )

L’abeille disait au papillon : « N’en as-tu pas assez de mener cette pauvre vie errante et si brève ? Tandis que moi, zélée et gaie, au milieu de milliers de compagnes, je vole de fleur en fleur pour fabriquer plus tard, à l’abri dans notre ruche, miel et cire « .
Le papillon répondit : « Moi aussi je vole de fleur en fleur, j’adore leur nectar, je suis moi-même une fleur volante. Regarde-moi, je suis une émeraude vivante »
L’abeille reprit : « Cela ne te fait rien de ne servir à rien ? »
Le papillon : « Tu te trompes, ma jolie. Le pollen que je transporte alentour féconde les belles plantes que tu admires ».
L’abeille : « Moi aussi je fais ce boulot ».
Le papillon : « Que veux-tu ? Je préfère vivre seul que travailler au milieu de mes congénères. Je suis un artiste ou un artisan, je ne suis pas une ouvrière. Je le voudrais que je ne le pourrais pas. »