Un lion distingué avait un ennemi farouche. Celui-ci, caché dans la jungle ou dans la forêt, restait inconnu. Le renard se présenta. Après moult courbettes il déclara : « Sire, je connais votre ennemi, je sais où il se cache. Il a beau être mon ami, je vous le livre pour vous faire plaisir ». Ainsi fut fait.
A quelque temps de là le lion se promenant rencontra le renard. Celui-ci recommençait ses salamalecs, mais le lion rugit de colère : » On vomit les traitres dont on se sert… Si tu as vendu mon ennemi hier, tu me vendras demain… » . Devant tant de fureur le renard s’enfuit et fuit encore.
Le fabuliste inconnu ( 16 )
Un intellectuel un tantinet idéaliste s’exclama d’horreur en voyant des travailleurs faire dans le roc des entailles énormes et tailler des blocs informes. « Quel labeur pour si peu ! ». Sa copine lui dit : « C’est une mine d’or ».
Le même devant la mer, voyant des plongeurs affrontant les sombres profondeurs, s’exclama : « Que cherchent-ils donc ? Du sable ? Des cailloux ? ». La copine lui dit : « Le gouffre est redoutable, mais on voit des perles au fond ».
Intellectuels, n’abimez pas votre colère saine. Ne brisez pas de dégoût l’outil ou la machine. Prolétaires, plébéiens, la montagne est escarpée et la mer est profonde, mais vous y trouverez des perles et de l’or.
Pensez à prendre votre part souveraine !.
Le fabuliste inconnu ( 15 )
« Oh papillon d’azur ! Quels sucs t’ont donné la couleur du ciel ? »
L’insecte répondit : « Mes ailes portent la trace des fleurs qui me nourrissent, le lin, le bleuet, la pervenche et peut-être surtout le myosotis, la fleur du souvenir ».
Comme ce papillon l’esprit reflète ses nourritures propres.
Le fabuliste inconnu ( 14 )
Le coq disait à qui voulait l’entendre : « Moi, je ne suis plus gaulois ah ah ! je suis français eh eh ! »
L’aigle qui passait susurra : « Je suis tellement fort qu’on m’a donné deux têtes »
La colombe murmura : « Je m’en vais, mais allez en paix »
La sphynge, repliant ses ailes puissantes, s’interposa : » Vous n’aurez ni la gloire, ni le génie qui y conduit si vous n’avez pas bonne réputation »
Le coq affirma : « Moi, ma réputation va de soi ah ah ! Elle est excellente eh eh ! »
L’aigle, qui repassait par là, le reprit : « Tu parles Tu passes ton temps à gratter la terre à la recherche de cailloux »
La colombe au loin roucoula : « Personne ne fait attention à moi »
La sphynge, de plus en plus sculpturale, déclara : « La modestie est le début de la bonne réputation »
Le blaireau, trainant son ventre, leva la tête : « Tous des têtes de linottes ! Même la sphynge avec son corps de serpent, sa tête de femme et ses discours faussement sibyllins. Mais il est vrai que nous les terriens nous ne valons rien ou presque. Les oiseaux au moins font l’effort de s’élever dans l’air. Sauf le coq bien sûr ». Il rentra dans son trou.
Le fabuliste inconnu ( 13 )
J’aime les riches
Les riches qui consomment et investissent
Qui consomment avec goût
Et investissent avec talent
J’aime si peu les pauvres
Que j’en souhaite la disparition
Peut-on encore crier : « Vive le communisme ! » ?
Le mot été terriblement galvaudé
D’avoir été synonyme de despotisme
De masse et du chef
Mais on peut toujours se réclamer
Du communisme libertaire
Respectueux de toutes les libertés
Collectives et individuelles
Même s’il n’est concevable
Qu’à un avenir lointain
Le fabuliste inconnu ( 12 )
Un châtaignier séculaire étendait une ombre immense
Souvent elle abritait des passants harassés
L’un d’eux demanda à l’arbre majestueux
S’il était fier de rendre service
La réponse fut nette et sans détour :
« Ce dont je suis fier, c’est d’être moi
Il m’est indifférent d’être utile »
Le fabuliste inconnu ( 11 )
Un tigre tuait au hasard sur son passage
Un chien aboya : « Pourquoi massacres-tu ceux que tu rencontres ? »
Le tigre l’égorgea sur le champ
Un éléphant surgit qui l’envoya valdinguer de sa trompe
Combien d’avocats zélés d’une juste cause ont subi le triste sort de notre pauvre chien ?
Pensons à temps à ce que la justice s’appuie sur la force
Le fabuliste inconnu ( 10 )
Un torrent dévalait la montagne
Semant la peur sur son passage
Ses jours de crue il effrayait toute la contrée
Un ingénieur de la ville proposa un canal
Qui contournerait la montagne
Et détournerait du torrent une bonne partie des eaux
Le projet fut exécuté dans les délais
Ne faisant que des satisfaits
Restait une zone inondable
Vite couverte des pavillons
Rêves d’une vie modeste et honorable
Par un automne pluvieux
Le torrent furieux les détruisit
Le torrent destructeur ne peut être bienfaiteur à demi
Le fabuliste inconnu ( 9 )
Un rat et une hermine vivaient en bonne intelligence
Mais la famine survint dans la bourgade
Le rat proposa de fuir par les égouts les souterrains les caves
« Quoi ! » s’exclama la blanche hermine
« Moi, me salir ! Il n’en est pas question
C’est interdit par ma religion »
Le rat finit par trouver une ville plus souriante
L’hermine goûta sa solitude
Car elle y trouva le peu qui lui était nécessaire
A chacun son problème à chacun sa solution
Le fabuliste inconnu ( 8 )
Un élève paresseux
Comme ils le sont presque tous
Adorait le savoir
Mais le patient apprentissage
Lui paraissait un joug affreux
Son père conduisit le polisson
Dans un jardin de roses
Il demanda au gamin d’en cueillir quelques-unes
L’enfant se piqua poussa des cris affreux
Eclata en sanglots
Le père avec patience lui apprit à éviter les épines
Le garçon justement orgueilleux
Offrit à sa mère le bouquet périlleux
« Je t’ai offert » dit le père
« Du savoir une vivante image »