Florian ( 83 )

La vérité avait un miroir
Qu’aux débuts de l’humanité
Elle montrait à tout un chacun
Les hommes devinrent méchants et criminels
La vérité cassa son miroir et disparut
Beaucoup cherchent les débris
Ils sont si petits
Que même le sage ne s’y voit qu’en partie

Florian ( 82 )

Un angora que sa maîtresse
Nourrissait de mets délicats
Ne faisait plus la guerre aux rats
Ils trottaient partout
Ne se gênaient pas
Un jour que notre chat dormait
Après un bon repas
Plusieurs rats viennent toucher
Aux reliefs de son festin
L’angora ne bougeant pas
Nos étourdis pensent qu’ils lui font peur
Un orateur parle des chats avec mépris
On l’applaudit On s’attroupe
Le chat ne bouge pas plus qu’une souche
L’orateur est proclamé général
« On dit que les chats sont
excellents à manger
Maintenant nous ferons bombance
Avec de la viande de chat »
Les rats s’élancent vers l’angora qui dort
Celui-ci se réveille
Et couche dans la poussière
Général et soldats
Deux rats s’échappent et fuient vers leur tanière
L’un d’eux dit :
« On ne pousse pas à bout
L’adversaire le plus débonnaire »
L’autre : « il ne faut pas réveiller le chat qui dort »

Florian ( 81 )

Deux chauves dans la nuit
Virent miroiter de l’ivoire
D’où dispute et coups de poing
Le vainqueur y perdit
Le peu de cheveux gris`
Qui lui restaient
Il avait gagné un peigne

Florian ( 80 )

Un philosophe raisonnable
Appelait les choses par leur nom
Persécuté chassé de son asile
Il errait de ville en ville
Il n’emportait que son seul bien la raison
Réfugié dans un grand bois
A midi pour faire une sieste
Il vit un chat-huant
Assailli par des geais des corneilles
« C’est un coquin un impie
Il faut le plumer vif
Oui oui plumons plumons »
La malheureuse bête
Tournait en vain sa bonne et grosse tête
Notre philosophe la délivre
« Que leur avez-vous fait ? »
« Mon seul crime est d’y voir la nuit »

Florian ( 79 )

Un jeune seigneur
Avait perdu à des jeux de hasard et d’adresse
Sa dernière pistole
Puis joué sur parole
Les dettes de jeu sont sacrées
On peut faire attendre un marchand un indigent
Qui vous a fourni des denrées
Pas un escroc qui vous a dupé
Notre jeune seigneur
Ordonne une grande coupe de bois
Ormes frênes hêtres chênes
Tombent les uns sur les autres
Le jeune seigneur incrimine la fortune
La déesse parait
 » Je n’ai pas causé tes malheurs
A certains jeux de hasard
Il faut aussi de l’adresse »

Florian ( 78 )

Unis dès leurs jeunes ans
D’une amitié fraternelle
Un lapin et une sarcelle
Vivaient heureux et contents
Dans un parc bordé d’une rivière
L’un chez l’autre ils prenaient leurs repas
ils se répétaient qu’ils s’aimeraient toujours
Ce sujet revenait sans cesse dans leurs discours
Si l’un avait du mal l’autre le sentait
Si l’un était bien tous deux en jouissaient
Un jour le lapin se rend pour dîner chez son amie
Il ne la trouve pas
Il la cherche
Personne ne répond à ses cris douloureux
De frayeur tout saisi
Il va vient fait mille tours
Il cherche dans les roseaux
il s’incline par dessus les flots
il arrive près du château
Où se trouve une volière
L’amitié donne du courage
Parmi mille oiseaux divers
Il reconnait son amie
Sans perdre de temps à consoler sa soeur
De ses quatre pieds il creuse un souterrain
Il surgit dans la volière
Les oiseaux effrayés se pressent en fuyant
Il court à la sarcelle
Elle le suit
Il la conduit sous terre
Les deux amis n’ont plus rien à craindre
Mais le maître du jardin
En voyant les dégâts
Jure d’exterminer jusqu’au dernier lapin
« Mes fusils ! mes furets ! » hurle-t-il en colère
Gardes chiens et furets fouillent les terriers les broussailles
Tout lapin qui paraît trouve le trépas
La nuit vient
Le seigneur remet au lendemain la fin du carnage
Le lapin tapi dans les roseaux près de la sarcelle
Attend en tremblant la mort
L’oiselle dit : « Ah ! si tu pouvais passer l’eau !
Pourquoi pas ? Attend moi »
La sarcelle revient traînant un vieux nid
Laissé par des canards
Elle l’emplit de feuilles de roseaux
Les presse les unit
Comme si c’était pour son nid
Elle forme ainsi un bâtelet
Auquel elle attache un brin de jonc
Qui servira de cable
Le lapin entre tout doucement
Dans le léger esquif
S’assied sur son derrière
La sarcelle nage tire le brin de jonc
Dirige la petite nef
Jusqu’à l’autre rive
On aborde on débarque
Jugez de la joie !
Désormais nos amis
Aiment la vie d’autant plus
Qu’ils se la doivent tous les deux

Florian ( 77 )

Une jeune guenon cueillit une noix
Dans sa coque verte
Elle y porta la dent
Fit la grimace
« Ah ! Certes ma mère m’a menti
Quand elle m’assura que ces noix sont bonnes
Croyez aux discours des vieilles personnes
Qui trompent la jeunesse !
Au diable la noix ! »
Elle jette le fruit
Un singe plus âgé le ramasse
Vite entre deux cailloux il casse la noix
L’épluche la mange
Il se retourne vers la jeunesse
« Votre mère avait raison ma mie
Ces noix ont fort bon goût
Mais il faut les ouvrir
Dans la vie sans un peu de travail
On n’a pas de plaisir »

Florian ( 76 )

Un avare voulant se faire plaisir
Courut au marché acheter des pommes
Pour sa nourriture
Il les porta dans son armoire
Les compta rangea recompta
Ferma à double tour sa double serrure
Il visitait ses pommes chaque jour
Lorsqu’il en trouvait quelqu’une de pourrie
En soupirant il la mangeait
Son fils jeune écolier
Faisait fort maigre chère
Il découvrit les clefs de l’armoire
Et les pommes de son père
Combien de fruits périrent !
Le père le surprend
De douleur et d’effroi palpitant
« Mes pommes ! Coquin tu vas me les rendre
Ou bien je te fais pendre ! »
« Papa je n’ai mangé que les bonnes ! »

Florian ( 75 )

Un jeune roi vaincu
Fuyait presque seul
il tomba sur un vieux laboureur
L’air sage sous ses cheveux blancs
II parlait peu de vertu la pratiquant beaucoup
Il apostrophe le prince :
« Tu fuis ? Pourquoi faire ?
Ne sais-tu pas que nous autres pauvres gens
Sommes prêts à fournir au roi du sang et des richesses
Si nous l’aimons et nous t’aimons sire
Nous ne demandons que la justice
Et nous savons que tu es prêt à nous l’offrir »
Le roi en larmes presse dans ses bras
Ce sujet si fidèle
Il fut bientôt vainqueur
Et n’oublia pas le laboureur
L’amour est la colonne inébranlable de tout pouvoir

Florian ( 74 )

Une fauvette par sa voix
Espérait surpasser le rossignol lui-même
Elle lui fit défi
Un lieu propre au combat fut trouvé dans les bois
Une grande assemblée d’oiseaux s’y perche
Le merle donne le signal
La fauvette varie la touchante harmonie
De ses accents filés
Elle touche les coeurs par ses tendres chansons
L’assemblée applaudit puis fait silence
Le rossignol commence
Il prélude par trois accords purs égaux brillants
Sur une juste et parfaite cadence
Ensuite son gosier flexible parcourt sans efforts
Tous les tons de sa voix
Tantôt vif et pressé
Tantôt lent et sensible
Le rossignol étonne et ravit à la fois
Les juges cependant demeurent en balance
Les amis de la fauvette le linot le serin
Ne veulent pas donner le prix
Les autres disputent
Devant l’assemblée silencieuse
Soudain le geai s’écrie : « Victoire à la fauvette ! »
L’aréopage ailé aussitôt vote rossignol
Mieux vaut la critique d’un sot
Que son suffrage