Un pacha turc s’en vint un jour porter
Un coffret cacheté à un sage derviche
« Ce coffret renferme un trésor
Je te charge de le donner
A l’homme le plus fou
De la terre »
Notre bon solitaire court le monde
Il rencontre des fous toujours plus fous
Un pressentiment secret
L’empêche de donner le coffret
Notre homme revient un matin
A Constantinople
Il trouve le peuple en joie
Un iman le renseigne :
« C’est le grand vizir que le sultan envoie
Rejoindre le prophète
Le peuple rit toujours de ces sortes d’affaires
Comme ce sont des misères
Notre empereur lui donne souvent ce plaisir »
« Le nouveau grand vizir
Est-il déjà nommé ? »
« Bien sûr Justement le voilà qui passe »
Le derviche traverse la place
Et reconnait le pacha son ami
« Bon ! Te voilà » dit celui-ci
« Et le coffret ? »
« Seigneur j’ai parcouru l’Asie
J’ai rencontré des fous parfaits
Sans oser choisir
Aujourd’hui ma course est finie
Daignez accepter le coffret
Grand vizir »
Florian ( 72 )
La vipère disait un jour à la sangsue :
« Que notre sort est différent !
On vous cherche on me fuit
On me tue si l’on peut
Aussitôt qu’on vous prend
L’homme vous donne son sang
Nous faisons pourtant même piqûre »
La citoyenne des étangs répond :
« Oh ! Que nenni, ma chère
La vôtre rend malade
La mienne est salutaire
Par moi plus d’un malade obtient sa guérison
Par vous un homme sain risque une mort cruelle
Entre nous deux la différence est belle
Je suis remède et vous poison »
Florian ( 71 )
« Que mon sort est affreux ! » s’écriait un vieil hibou
Infirme souffrant misérable
« Je suis seul
Isolé sur la terre
Jamais un oiseau n’est venu dans mon trou
Consoler un instant ma douleur solitaire »
Un pigeon entend ces mots
Vole auprès du malade
« Mon pauvre camarade
Je plains vos maux
N’avez-vous donc pas de famille ? »
« Me marier ? Pourquoi faire ?
J’en connaissais trop le danger
Epouser une jeune chouette
Bien étourdie et bien coquette
Qui me trompe ou me fait enrager
Avoir des enfants d’un mauvais caractère
Ingrats menteurs mauvais sujets
Désirant en secret le trépas de leur père ?
Pour des parents je n’en ai guère
Je ne les vis jamais
Ils sont durs exigeants
S’irritent pour le moindre sujet
Ils n’aiment que ceux dont ils héritent
Encor ne faut-il pas qu’ils attendent longtemps ! »
Le pigeon reprit : »Parlons des amis
Pour les orphelins c’est une famille »
« Les amis ! Ils sont trompeurs
J’ai connu deux hiboux
Qui tendrement s’aimèrent
Pendant quinze ans
Un jour pour une souris ils s’égorgèrent
Je crois à l’amitié encore moins qu’à l’amour »
« Vous n’avez donc aimé personne ? »
« Non, soit dit entre nous »
« En ce cas mon cher de quoi vous plaignez-vous ? »
Florian ( 70 )
Sur un quai l’on vend des oiseaux et des fleurs
Un jour de mardi gras voilà que je vois paraître
Un arlequin bien mis et leste
Poursuivant une bergère masquée
Près de moi trois oiseaux regardaient aussi Arlequin
La perruche s’exclame :
« Ce charmant habit est d’un si beau vert ! »
Le cardinal répond : » Vous n’y voyez donc pas ma chère ?
L’habit est rouge assurément »
Le serin dit : « Mon compère vous n’avez pas raison
Cet habit est jaune-citron »
Le trio s’irritait
Un pivert proche intervint :
« Amis apaisez-vous
L’habit est jaune rouge et vert
Voilà tout le mystère »
Bien des gens d’esprit et de savoir
Ne regardent que d’un seul côté
Chacun d’eux ne veut voir
Que la couleur qui lui plait
Florian ( 69 )
Un gros perroquet gris
Echappé de sa cage
Vint s’établir dans un bocage
Là prenant le ton des faux connaisseurs
Jugeant tout
Blâmant tout d’un air de suffisance
Il critique les longueurs et surtout la cadence
Dans le chant du rossignol
Le linot ne sait pas chanter
La fauvette aurait peut-être fait quelque chose
S’il eût été son maître de bonne heure
Et qu’elle eût voulu en profiter
Aucun oiseau n’avait l’heur de lui plaire
Dès qu’ils commençaient leurs joyeuses chansons
Il sifflait les faisant taire
Les oiseaux du bois vinrent lui dire un jour :
« Beau sire vous qui sifflez toujours
Daignez chanter pour nous instruire »
Le perroquet se gratte un peu la tête
« Messieurs je siffle bien je ne chante pas »
Florian ( 68 )
Un écureuil et un grand chien danois
Etaient bons amis
Au point qu’ils voyageaient ensemble
La nuit les surprit dans un bois
En ce lieu point d’auberge
Le chien se loge dans le creux d’un vieux chêne
L’écureuil se niche plus haut sur une branche
Les deux amis se disent bonsoir
Vers minuit un renard lève le museau
Voit l’écureuil sur un rameau
Il le mange des yeux
Humecte sa langue
Ne pouvant monter jusqu’à lui
Il faut le convaincre de descendre :
« Ami pardonnez je vous prie
Si de votre sommeil j’ose troubler le cours
Je me présente je suis votre cousin germain
Votre mère était soeur de feu mon digne père
Il m’a tant recommandé de chercher son neveu
Pour lui donner moitié du peu qu’il a laissé
Je ne peux monter jusqu’aux lieux où vous êtes
Descendez mon frère pour un embrassement
Qui comblera le doux plaisir
Que mon âme ressent »
L’écureuil avait reconnu le renard patelin
« Je meurs d’impatience de vous embrasser cousin
Mais je voudrais d’abord que vous fassiez connaissance
De mon plus fidèle ami »
Le renard se pourlèche les babines
Croyant en manger deux pour le prix d’un
Il frappe au trou du chien
Je vous laisse imaginer la suite
La double morale de cette histoire
Est qu’il n’est pas inutile
D’avoir un bon ami
Et qu’il est souvent facile
De tromper un trompeur
Florian ( 67 )
Comme on demandait à un fermier centenaire
Entouré de ses quarante descendants
Solide et sage comme un chêne
D’où lui venait sa philosophie
De Zénon ? de Platon ?
« Je ne connais pas ces gens là
Mon livre c’est la nature
La colombe m’a appris la fidélité
La fourmi l’épargne
Le boeuf la constance
La brebis la douceur
Le chien la vigilance
La poule l’amour maternel
Croyez -moi si vous voulez
Je fais du bien pour avoir du plaisir
J’aime et je suis aimé
Je suis une part de la nature »
Florian ( 66 )
Un lion roi déjà d’un immense domaine
Désirait l’agrandir
Entre lui et le léopard
Des plaines et des forêts
Etaient peuplées d’ours et de panthères
Il députe auprès du léopard
Un renard
Qui auprès du roi vante la prudence
La justice la bienfaisance
Puis il propose une alliance
Pour exterminer tout voisin
Qui méconnaitrait leur puissance
Et leur amour de la paix
Le lion et le léopard
En vrais héros
Se débarrassent de leurs adversaires
Quand il fut temps de se partager le pays conquis
Le léopard fut lésé Il se plaignit au lion
Celui-ci exhiba sa denture en rugissant
La fin de l’aventure fut le trépas du léopard
Contre les lions les meilleures barrières
Sont les petits Etats des ours et des panthères
Florian ( 65 )
Un aigle avait ses habitudes sur l’Olympe
Il s’ennuyait
Il descend donc
Sur un rocher
Il rencontre une colombe
Blanche aux yeux doux à l’air tendre
La colombe le mène auprès des clairs ruisseaux
Le fait se reposer sous l’ombrage
Dans les vallons fleuris
Son royal amant
Apprécie de plus en plus sa compagnie
Le bonheur n’est pas dans les cieux
Il est près d’une bonne amie
Il est dans l’amour partagé
Florian ( 64 )
Un capitaine de navire
Se mit en mer malgré le vent
Son mot d’ordre qu’il répétait sans cesse :
« Cela ne sera rien »
Le perroquet du bord l’imitait
Un calme plat arrête le bateau
Les vivres commencent à manquer
Le capitaine se tait
Le perroquet la tête basse
Répète plus doucement : « Cele ne sera rien »
Plus rien à manger
Le perroquet est étranglé
En mourant il criait d’une voix enrouée :
« Cela … Cela ne sera rien »