Florian ( 54 )

Un renard brillait à la cour
On l’estimait pour son intelligence
On le louait beaucoup
Mais sans rien lui donner
Ou pas grand-chose
il était presque dans l’indigence
Il va voir son grand-père
Avec sa voix cassée le vieux renard lui dit :
« Prend cette peau de blaireau
Mets-la dessus la tienne »
Le renard retourne à la cour
Affublé de la peau du blaireau
Se trouvant l’air d’un sot
Quelques mois plus tard il revient
Dans un riche équipage
Entouré de flatteurs
Le vieux renard s’écrie :
« Quiconque veut plaire aux grands
Doit d’abord cacher son esprit »

Florian ( 53 )

Alphonse qui régnait sur les rives du Tage
Fut appelé « le Sage »
Non parce qu’il était prudent
Mais parce qu’il était savant
Il connaissait le ciel
Mieux que son royaume
Un soir il quitta vite le conseil
Il voulait observer la lune
Comptant y voir des hommes
Dans la rue un mendiant
S’approche humblement
Demande quelques maravédis
Le roi répond : « Ce soir je vais voir
Des hommes dans la lune »
Le pauvre l’attrape
Par le bas de son manteau
« Attention sire
Votre royaume n’est pas sur la lune
Il est ici sur terre »

Florian ( 52 )

Deux jeunes bacheliers
Travaillaient avec ardeur
A prendre une licence
Du matin au soir ils disputaient
Devisant et ergotant
Sur l’infini le fini l’âme la volonté
Le llbre-arbitre la nécessité
Sans oublier le sens et les substances
Ils en étaient bientôt
A ne plus se comprendre
C’est à ce moment
Qu’ils poussaient les plus beaux arguments
Une nuit ils en arrivèrent aux coups
Le propriétaire les dérange une chandelle en main
« Qu’est-ce que c’est que ce tintamarre effroyable ? »
« C’est que nous révisons nos leçons de métaphysique »

Florian ( 51 )

Un lièvre de bon caractère
Voulait avoir beaucoup d’amis
Un seul est rare en ce pays
Notre lièvre avait cette marotte
Il ignorait qu’Aristote
Disait à ses élèves :
« Mes amis il n’est point d’amis »
Le lièvre rendait service à qui il pouvait
A ses congénères mais aussi à des lapins
Un taureau et un cerf dix cors
Il conseillait le serpolet et le lac transparent
Il se croyait aimé parce qu’il aimait
Certain jour où dans son gîte il dormait
Le son du cor l’éveille C’est la chasse
Notre lièvre arpente les guérets
Va tourne revient saute
Pour dévoyer les quatre chiens
Parfois il s’arrête
Assis les deux pattes en l’air
L’oeil et l’oreille au guet
Il élève la tête
Il aperçoit un lapin que toujours il traita comme un frère :
 » Par pitié sauve-moi Ouvre-moi ton terrier »
 » Ah ! J’en suis fâché ! Ma femme accouche
Sa famille et la mienne remplissent mon asile »
Le lièvre reprend sa course
Il rencontre un taureau son obligé
« Hélas ! Ce serait de grand coeur
Mais j’entends l’une de mes génisses
Qui m’appelle au fond du bois !
Je ne peux pas retarder son bonheur »
Un peu plus tard le daim puis le cerf
Prétextèrent l’urgence de paître
Le lièvre à bout de forces
Rencontre sous le même feuillage
Deux chevreuils qu’il ne connait guère
L’un d’eux part La meute sanguinaire lui court après
Quittant le lièvre
Quand le chevreuil revient l’autre part
La meute obstinée se fatigue
Enfin la retraite est sonnée
Les chevreuils se rejoignent
Le lièvre se plaint
Un chevreuil répond :  » A quoi bon tant d’amis ?
Un seul suffit quand il nous aime »

Florian ( 50 )

Lorsqu’Hercule arriva sur l’Olympe
Un peu brûlé
Les dieux s’empressèrent de le saluer
Mars Minerve Vénus l’embrassèrent
Junon même lui fit un accueil assez doux
Hercule s’enflammait
Ploutos se présente le héros lui tourne le dos
Jupin demande : » Mon fils que t’as fait ce dieu ?  »
 » Sur terre il est l’ami du pire »

Hommage à Delavigne

Casimir Delavigne écrivit des vers en hommage à Lord Byron mort pour la libération de la Grèce :

La Grèce opprimée !
La Grèce belle encore mais froide inanimée !
La Grèce morte !
Arrête ! Ses yeux se rouvrent à la clarté des cieux !
Sous ses chaînes son corps frémit !
Elle vit ! Elle crie : Liberté !
Morte, Byron, tu l’admirais; vivante, qu’elle est belle !
Tu la vois enfin, mais en expirant
Vent étend tes ailes ton laurier se meurt
Fontaines sacrées versez vos flots purs
Sur ce front héroïque que la mort seule a courbé
Dieux rivaux séchez nos pleurs
« Dieu vainqueur de Satan dieu vainqueur de Python
Renouvelez pour Byron la vieillesse de Milton et d’Homère »
La mort entend; les dieux sont sourds

N.B. : La Grèce dirige pour six mois l’Union Européenne

Florian ( 49 )

Un rossignol chantait et chantait encore
Ses amours et ses malheurs
Son proche voisin un paon intervint :
« C’est bien à toi chantre ennuyeux
Avec ce triste plumage
Ce long bec ces gros yeux
De vouloir charmer ce bocage !
De quel droit chantes-tu sans cesse ?
Moi qui suis beau je me tais »
Le rossignol répondit :
« Seule la voix est mon appas
Vous vous taisez par impuissance
On dit que l’amour est aveugle
Seule la musique peut le charmer »

Florian ( 48 )

Un rhinocéros disait un jour au dromadaire :
« Cher ami l’homme vous recherche vous loge
Vous chérit vous nourrit
Multiplie votre espèce
Je sais bien que vous portez sa femme ses enfants ses fardeaux
Que vous êtes léger doux sobre infatigable
Mais moi rhinocéros
Des mêmes vertus je suis capable
En plus je suis cuirassé
Pourtant l’homme me hait »
« Ne soyez pas étonné » répond le dromadaire
« Nous nous plions les genoux »

Florian ( 47 )

Un homme riche sot vain
Qualités qui marchent de compagnie
Pensait que son or lui donnait du génie
Chaque jour à sa table on voyait réunis
Peintres sculpteurs savants artistes beaux esprits
Le richard se promenant un jour dans son jardin
Seul ou presque seul avec un jardinier
Vit un sanglier qui labourait la terre
Autour de la grosse bête merles fauvettes rossignols
Répétaient à l’envi leurs douces chansonnettes
L’animal écoutait l’harmonieux ramage
Avec la gravité d’un docte connaisseur
Le financier s’étonna : « Comment !
Les chantres du bocage
Ont choisi pour juge cet animal sauvage ! »
« Nenni ! » répond le jardinier
« De la terre fraîchement labourée
Sortent des vers excellente curée pour les oiseaux
L’imbécile croit que c’est pour son mérite qu’ils le suivent »

Florian ( 46 )

Un village riche et nombreux avait de beaux blés
Une année les terres haletèrent sous un ciel d’airain
Sur un sol crevassé l’on vit noircir le grain
Les épis sont brûlés
Leurs têtes penchées tombent sur leurs tiges séchées
On tremble de mourir de faim
La commune s’assemble
Comme à l’ordinaire chacun parle beaucoup et ne dit rien
Un laboureur encore jeune proposa :
« Sur les hauteurs au levant
Le grand lac est un immense réservoir
Allons saigner le lac
Mais attention ! Ménageons un petit nombre de saignées
Afin qu’à notre gré nous puissions diriger
Ces bienfaisantes eaux dans nos terres baignées »
« Courons, courons » s’écrient les jeunes gens
On perce en cent endroits à la fois
Le laboureur n’est plus entendu
Les eaux tombent de tout leur poids sur la digue affaiblie
Et roulent à grands flots
La troupe ébahie s’admire dans ses travaux
Mais le lendemain matin on voit flotter les blés sur un océan d’eau
Pour sortir du village il faut prendre un bateau
On s’en prend au laboureur qui se défend :
« Vous vouliez un peu d’eau vous avez lâché la bonde »
L’excès d’un grand bien devient un très grand mal
Le sage arrose l’insensé inonde