Un jardinier avait un antique poirier
Qui jadis fertile était désormais
Stérile
Le jardinier empoigne sa cognée
Au premier coup l’arbre s’écrie :
« Respecte mon grand âge
Souviens-toi des fruits que je t’ai donnés
N’assassine pas un mourant
Qui fut ton bienfaiteur »
« Je te coupe avec peine mais j’ai besoin de bois »
Le rossignol se montre et de sa douce voix :
« Cet arbre est aussi le mien
C’est dans son ombrage
Que je répands mon ramage
Qui plait tant à madame votre épouse »
Le jardinier sourit et frappe un second coup
Un essaim d’abeilles sort du tronc :
« Homme inhumain, si tu nous laisses cet asile
Nous te laisserons prendre tant de miel
Que tu pourras en vendre à la ville »
L’avare jardinier s’exclame :
« Je dois beaucoup à ce poirier
Je me souviens de ma jeunesse
Que ma femme écoute en paix les oiseaux !
Pour vous qui augmentez mon aisance
Je vais semer des fleurs dans tout ce canton »
Il est bon que la reconnaissance
S’accompagne de l’intérêt bien compris
Florian ( 23 )
La sarigue est un petit marsupial
Qu’on rencontre au Pérou
Un bruit suspect la mère se dresse
Pousse un petit cri
Son petit se presse
En un moment il est blotti
Dans la poche de la mère
Qui s’enfuit avec vitesse
Emportant sa richesse
L’asile le plus sûr est le sein d’une mère
Hommage à Jamyn
Amadis Jamyn fut un brillant poète de cour au XVI° siècle :
Les cendres prennent la forme d’oiseaux
Une fille est changée en pierre
Ma figure est rangée au bord de vos tombeaux
Mes yeux deviennent les flambeaux
Qui éclairent votre tombe
Mes os en pierre élaborée
Sont les bibelots
Qui protègent votre cercueil
De moi il ne reste rien
Sauf un doux printemps
Porteur de mille fleurs
Tout de moi n’est rien que de vous
Florian ( 22 )
En plein désert un enfant
S’échappant d’une caravane
Découvrit un dattier isolé
Vite il veut monter vite il redescend
Accablé il espère
Il va chercher sa mère et son grand frère
Qui lui prête son dos
La mère étale une nappe blanche
Ce fut un charmant repas
Il n’y a de biens que ceux que l’on partage
Florian ( 21 )
A peine Pandore fut née
Elle séduisit le monde par ses attraits
Chaque dieu lui fit un cadeau
Même Vénus y alla de sa ceinture
Prudente elle y avait caché
Les caprices multiples
Et les faveurs uniques
Destinés à distraire
Des effets de cette pure beauté
Hommage à Guy de la Boderie
Il est temps pour moi de rendre hommage à « l’anthologie de la poésie française » sur plusieurs siècles en plusieurs volumes, publiée par Gallimard dans la collection « Poésie ». Elle est d’une grande richesse.
Guy Le Fèvre de la Boderie fut un érudit passionné au XVI° siècle :
Le monde a été créé pour l’homme
Le monde a créé l’homme
Pour l’homme le ciel parachève son cours
Le soleil fait les ans et les jours
Il embellit la face de la lune
Pour l’homme les vents purgent l’air
Les oiseaux y trouvent à voler
La mer prend dans ses bras la terre
Pour l’homme descendent pluie et rosée
La terre est de fleuves arrosée
Elle produit la semence et ses fruits
Elle cache dans son ventre les métaux
Elle se peint de dix mille couleurs
Pour l’homme est fait le boeuf qui laboure
Le cheval qui court
La brebis porteuse de laine
L’abeille qui produit le miel
En somme tout ce qui vit sent raisonne
Est pour l’homme
L’homme est à lui-même son objet
Le monde et la nature sont ses sujets
Florian ( 20 )
Dans une ville de l’Asie
Vivaient deux malheureux
L’un perclus l’autre aveugle
Pauvres tous les deux
L’un était couché sur un grabat
Dans un coin sur la place du marché
L’autre titubait d’un obstacle à l’autre
Sans un chien pour l’aider
C’est ainsi qu’à tâtons il tomba
Sur le paralytique
Ils eurent le temps de deviser
Sur leurs misères respectives
L’aveugle eut une idée :
« J’ai des jambes et vous des yeux
Je vous porterai où vous voulez
Vous dirigerez mes pas mal assurés
Je marcherai vous y verrez
Je marcherai pour vous vous y verrez pour moi »
Florian ( 19 )
Un jeune homme bien mis
Se promenait seul dans la forêt
Il entend soudain un chant mélodieux
Qu’il ne reconnait pas
A pas doux il s’approche
Sous le feuillage
Il aperçoit le rossignol
Il veut l’attraper le mettre en cage
L’oiseau fuit
Le jeune homme se désole
« Pourquoi n’ai-je droit qu’à des oiseaux
Qui chantent comme des casseroles ? »
Rentré chez lui sa mère lui dit :
» Le mérite se cache
Il faut savoir le trouver et savoir le garder »
Hommage à Bérenger
Je ne suis pas bonapartiste, mais j’apprécie la veine populaire de ce « chansonnier » du début du XIX° siècle :
Electeurs de mon département
Et surtout de ma circonscription
Je vous dois le compte-rendu
De mon mandat de mon mandat
L’Etat n’a pas dépéri
Je reviens gras et fleuri
Et quels dîners et quels dîners
Les ministres m’ont donnés
Comme il faut au ministère
Des gens qui parlent toujours
Et qui hurlent pour faire taire
Ceux qui font de bons discours
J’ai parlé parlé parlé
J’ai hurlé hurlé hurlé
Et quels dîners et quels dîners
Les ministres m’ont donnés
Malgré des calculs sinistres
Vous paierez sans y songer
Les ministres et l’étranger
Les ventrus et les ministres
J’ai placé mes deux frères
Mes trois enfants et mes neveux
Et quels dîners et quels dîners
les ministres m’ont donnés !