Hommage à Blémont

Emile Blémont ( Léon Emile Petitdidier dit ) fut un parnassien de la première heure :

L’averse a lavé le ciel
Le creux de la vallée disparait dans le brouillard
Dans les hauteurs forêt mouillée et firmament
Semblent palpiter dans une clarté pâle
Nous allons par les bois endormis
Voir Vénus se lever à l’horizon limpide
De là-haut nous contemplons la mer
Couleur de vin aux flots prodigieux
La plage qui étincelle et fume
Vaste enclume que les vagues et le vent
Couvrent de bruit et d’écume

Commentaire

J’ai découvert Florian dans mon enfance et je lui suis resté attaché. De plus j’ai constaté qu’il était généralement ignoré des meilleures anthologies. Je voudrais quasiment réhabiliter le meilleur fabuliste français après La Fontaine bien sûr.
Je dois dire que depuis qu’au mois de novembre j’ai découvert définitivement les joies de la translation, de ce que j’appelle translation, je suis de plus en plus passionné. C’est devenu une spécialité.
J’ajoute donc aux intérêts que je trouve à la translation, au delà de la simple traduction, le plaisir de rajeunir de vieux textes du passé et d’en faciliter l’accès aux curieux d’aujourd’hui.

N.B. : On peut se rapporter à l’article « Translation » du 9/11/2013

Florian ( 6 )

Un chat aperçoit un miroir
Sur une table de toilette
Il y saute, regarde, pense voir
Un de ses congénères
Qui le guette
Il passe de l’autre côté
Sur le haut du miroir
Il se penche
Jette une griffe à droite
Une griffe à gauche
Rien Il en perd l’équilibre
Sans plus attendre
Il retourne aux souris
Ce qu’après examen
On ne saisit pas
Ne nous est pas nécessaire
Ne nous est pas utile

Florian ( 5 )

Un ornithologue avait pour l’expérience
Glissé l’oeuf d’un chardonneret
Parmi ceux d’une serine
Bien plus tendre que fine
Elle couva comme sien
L’oeuf étranger
L’oisillon fut traité comme ses frères
Mais ne devint pas jonquille
Il fut néanmoins traité comme un serin
Par les parents et les frangins
Un vieux chardonneret
Jaloux de sa félicité
Lui asséna : « Regarde-toi
Tu as le corps fauve
La tête écarlate… »
Le chardonneret serein
L’arrêta : »Calme-toi
Dans la nature entière
Un bienfaiteur
Est plus qu’un père »

Florian ( 4 )

Deux compères se rendaient à pied
A la ville prochaine
L’un trouve une bourse
L’autre tout content dit : « A nous la bonne aubaine ! »
L’un répond froidement : « A moi suffit bien
A moi est de bon sens »
Ils reprennent la route
L’un sévère l’autre mécontent
Un voleur surgit
Une escopette à la main
L’un est pétrifié
L’autre se sauve
L’un contre sa bourse
A la vie sauve
L’autre encore ému se dit :
« Qui ne songe qu’à soi
Dans le malheur
N’a pas d’amis »

Hommage à Philothée

Philothée O’Neddy, de son vrai nom Auguste-Marie Dondey, fut un dandy républicain dans la première moitié du XIX° siècle :

J’ai l’âme obsédée
« Elle ne m’aimera jamais, jamais »
Je saute de ma couche
Je jette autour de moi
Un long regard farouche
Dans mon sein
Le terrible tocsin
Crie : « Jamais, jamais ! »
Je me persuade
Que dans son alcôve
On rit tout bas de moi
Mon être s’anéantit
Devant ma fenêtre
J’ai froid
La rousse clarté de la lune
Devient une nonne
Au voile ensanglanté
Je voudrais apposer
Sur sa bouche de glace
Un délicat baiser

Une épopée divine

Je dois cette « épopée » à Alexandre Soumet de la première moitié du XIX° siècle :

La lyre chante ce que l’âme rêve
C’est ainsi que j’ai vu
Un grand aigle planant
Sur un ciel nuageux
Affronter un volcan
Brisé dans sa force
Il tournoie
Un tourbillon l’emporte
Un autre le ramène
Aveuglé et béant
L’aigle royal flotte
Sur l’océan
L’ouragan engloutit
l’aigle et le soleil
En un unique tombeau
Une plume de l’aigle
Me permet de tracer
Ce mystique fait-divers

Florian ( 3 )

Un monarque se lamentait :
« J’aime la paix, on me force à la guerre
J’aime mes sujets, je les écrase d’impôts
J’aime la vérité, mes proches conseillers
Ne cessent de me tromper »
Marchant dans la campagne
Seul pour une fois
Il aperçoit un troupeau
De moutons faméliques
Le berger se démène en vain
Le loup prend sa part
Le roi se dit : « Voila bien
De mon triste destin
L’image champêtre »
Il poursuit son chemin
Il rencontre un troupeau
De moutons magnifiques
Un loup surgit, un chien le chasse
Un agneau s’égare
Un autre chien le ramène
Le berger couché dans l’herbette
Joue de sa musette
Le roi est presque en courroux
Le berger le rassure :
« Sire, mon secret est simple
J’ai choisi de bons chiens »

Hommage à Florian ( 2 )

Un boeuf, un âne et un cheval
Se disputaient la préséance
L’âne vantait sa persévérance
Le boeuf sa force et sa docilité
Le cheval sa noble valeur
Il proposa qu’on prenne
Les hommes pour arbitre
Trois humains se présentaient
Le premier s’exclama : « C’est le cheval qu’il nous faut »
Il était bas-normand*
Le deuxième rétorqua : « C’est l’âne qui convient »
Il était petit meunier
Le troisième affirma : « Le boeuf ! le boeuf ! »
Il était laboureur
Les animaux écumèrent :
« Quoi ! Votre jugement est dicté
Par votre seul intérêt ? »
Le Normand répondit :
« N’est-ce pas là la loi ordinaire ? »

* La réflexion est de Florian

Hommage à Cadou

René Guy Cadou, XX° siècle. Je ne prétends pas donner une idée de la richesse de Cadou :

Solitude épargnée-sur les étagères
Ciel à cors et à cris-par terre
Par les chemins dormants-on se promène
Les portes bleues du ciel
Caresses premières
Amours maladroites
Visage mesuré
Une flèche brisée-Où tu nous mènes ?
Danseuse prise au bond
Le soleil brise un instant-le soleil brise l’instant
Je ne peux plus rester
Je ne peux plus partir
Dans quel état j’erre ?