Hommage à Grévin

Jacques Grévin fut un honnête homme dans une époque scélérate, le XVI° siècle des guerres de religion :

Tout passe par leurs mains
Ils ont pleine puissance
Nous leur devons obéissance
Qu’ont-ils de plus que toi ou moi ?
L’appât d’une folle espérance
Ne suffit pas à nous calmer
Le peuple est pareil à la balle
Qu’on pousse et qu’on repousse
On s’en joue on le pille
On l’endort on le lie
Quelle est cette folie ?
C’est la nôtre, hélas !
Tout est politique
Nous sommes tous responsables

Hommage à Cyrano

Hercule Savinien de Cyrano de Bergerac écrivait en prose au XVII° siècle :

Trois fleuves arrosent nos campagnes
La premier, le plus large, est la mémoire
Le deuxième, étroit et creux, est l’imagination
Le troisième, une rivière minuscule, est le jugement
La mémoire est handicapée par le ramage importun des oiseaux
Son eau roule avec beaucoup de bruit
Elle enfante de gentils monstres qui se répètent ce qu’ils se sont entendus dire
L’imagination coule doucement
Ses bluettes humides voltigent en désordre
Sirènes et salamandres y nagent allègrement
Les branches qui s’avancent accueillent des phénix
Les fleuves se divisent en de multiples bras
L’imagination et la mémoire se tarissent mutuellement
Le petit jugement est froid et lent
Il nourrit l’ellébore et des serpents
Sur ses rives paissent des éléphants
Il revient perpétuellement sur lui-même
Ces trois fleuves sont les seuls à arroser le soleil
Ils détrempent les atomes brûlants
Pour en faire une purée succulente

Moderne ?

A la fin du XIX° siècle la sensibilité d’Ephraïm Mickhaël fut mélancolique :

Je préfère aux nymphes antiques
Le corps dansant des filles de Paris
Sautillant trottant
J’aimais les froufrous des femmes
C’est dans les temps de tristesse secrète
Que je regrette je ne sais quoi
Ce n’est quand même pas les statues
Qui font semblant de sourire
Et restent de pierre même languissantes
Je veux être moderne résolument moderne
Si je veux ce que je veux

Pépère ( 2 )

Le cirque de la Lune a son bon génie, il s’appelle Pépère. A ma grande surprise, moi qui appelais Pépère mon grand-père, Pépère est une jeune femme charmante, efficace, discrète, douée. Sans fonction officielle, elle règne sur le cirque de la Lune. On ne la voit jamais et pourtant elle est toujours là. Elle ne se met pas en colère. Le pire qu’on lui connaisse, c’est de tourner le dos à une dispute insensée comme le cirque de la Lune en connait trop souvent. Ses décisions sont marquées au coin du bon sens. C’est elle qui a engagé les artistes dont nous avons parlé. Comme on la sait généreuse, on accepte de sa part des réductions de salaire. Elle est petite, a de petits seins bien formés, de belles fesses, des cheveux heureusement bouclés. Elle porte des lunettes parce qu’elle est à la fois myope et hypermétrope. Elle a un homme en dehors du cirque, le père de sa fille. Son chat est le seul membre de sa famille qu’elle ait engagé. Le grand succès de ce beau chat âgé et gros vient de ce qu’il n’en fait qu’à sa tête. Mais il dort au milieu du bruit, du vacarme.

Hommage à Moréas

Jean Papadiamantopoulos dit Moréas fut décadent avant tout et avant 1900 :

Tu m’as donné tes deux mains blanches
Oui, tes deux mains fines et délicates
J’aurais pu dire : »tes mains », j’aurais trouvé cela d’un plat !
Il est bon de dire l’évidence
Si l’on veut qu’elle danse !
La lapalissade ne me fait pas peur
Si elle permet d’insister sur le vrai

N’écoute plus l’archet qui se lamente
Viens plutôt dans ce divan profond
Viens par ici Voici donc ton ardente érubescence
Tes yeux pers tes roses avrils
Tes petits seins frottés d’essence
Ton triangle d’or
Ah ! la suave banalité de la vie !
Le sommeil sans rêves de la bête assouvie !
Je dédaigne la splendeur des rêves de transcendance

Hommage à Pierre Corneille

Corneille fut certainement plus dramaturge que pur poète. Je suis ici son contraire :

Je ne sais pas ce que je vaux
je ne crois pas ce qu’on m’en dit
En ma faveur je dirais que je ne fais pas de ligue
Pour me faire admirer
Que je ne fais pas de brigue pour briller
Je ne vais pas de réduit en réduit
Pour faire un peu de bruit
C’est seul que je monte sur la scène de mon théâtre
Quitte à ne recevoir que de maigres applaudissements
Par d’illustres avis je n’éblouis personne
Je ne dois qu’à moi seul mon peu de renommée
Je n’ai point de rival
Personne que je puisse traiter d’égal
Tout au moins dans ma petite spécialité

N’importe quoi

« N’importe quoi » nous vient d’Hétéro Clite :

Il y a des hommes supérieurs
Ils sont supérieurs à quoi ?
Faut-il dire ce qu’on fait et faire ce qu’on dit ?
Il suffit peut-être de figurer dans le monde
On ne vit pas pour être un homme
On vit pour vivre
L’idéal fait beaucoup de mal
Rien n’est pire qu’un idéaliste sinon un idéologue
La colombe-fourmi, le lion-agneau, voilà pour l’idéal
Heureusement peu de gens rencontrent l’idéal Ils s’en travestissent
Le mot « mensonge », à la place d' »idéal » ? Qu’en pensez-vous ?
La nuance est nécessaire
Vivre sans idéal, c’est vieillir beaucoup plus vite
Mourir, c’est se passer définitivement d’idéal et d’idées
C’est chouette d’avoir une idée
Même si elle échoue piteusement
Il y a une infinité dans l’idée même si on ne sait pas ce que cela veut dire
Après tout nous sommes finis
Une imbécillité heureuse vaut mieux que bien des savoirs
Un savoir sans sagesse est une catastrophe
Quelle sagesse ?

Hommage à Alfred de Vigny

Hélas ! le nom d’homme est grand
Sa vérité est petite
Notre débilité me fait honte
Comment doit-on quitter la vie et tous ses maux
C’est vous qui le savez, nobles animaux !
Devant ce que nous laissons
Seul le silence est grand !
Gémir, pleurer, prier est également lâche
Accomplis ta pauvre et lourde tâche
Meurs sans parler

Hommage à Corbière ( 3 )

Il a été question de Tristan Corbière le 5/12/2013 et déjà le 6/11/2013 :

Un vrai poète ne sait pas chanter
Mort il s’abstient de geindre
Peintre il oublie de peindre
Voyant il s’aveugle
Songe-creux il reste dans son rêve
Pur héros de roman il adore une brune
Sans voir qu’elle est blonde
Il voue un culte à la lune
Il est incapable d’aimer
Il a une grande âme
Il ne sait pas ramer
Il accuse sa muse
Elle se prostituerait
Quel aveugle peindrait avec une clarinette
Sinon le poète ?
Nom de nom !

Krilik

A. Krilik est la danseuse étoile du cirque de la Lune. Aucune compagnie de ballet ne l’a jamais engagée. Elle triomphe au cirque. On pense que son prénom est Annabella. On l’appelle A tout simplement. Quand on ose l’appeler. Elle est quasiment muette. Fardée de blanc excessivement, avec deux grands cernes de mascara autour de ses yeux marrons, on ne l’a jamais vue qu’en tutu blanc. Elle danse, elle ne fait que danser, elle fait des pointes. Elle parcourt ainsi la piste, allant d’un groupe à l’autre, d’une personne à l’autre, sans s’arrêter. On murmure qu’elle cherche un homme.
Personne ne sait lequel. Puis elle disparait, parfois pendant des semaines. On dit qu’elle se considère elle-même comme une « guest star », une star invitée.