Hommage à Henri de Régnier

Henri de Régnier fut, aux alentours de 1900, un « symboliste » :

La pluie est douce au crépuscule
La pluie est douce sur les mains
La pluie sourit
Il fait beau sous la pluie
La sente boueuse est obscure
Les chaumières sont loin dans les cultures
Les falots éclairent les souches les pierres la route
Vacillent sur l’eau de la fontaine
Les pas sont lourds et monotones
Tu m’accueilles comme la pluie

Gravité

« La situation est désespérée, mais ce n’est pas grave », dit-on en Italie.
Qu’est devenu le titi parisien ?
Danse-t-on encore le jabadao ?
Nous cheminons à travers les formes pour en créer quelques-unes
Encore faudrait-il ne pas trop en oublier
A travers l’univers des formes je baguenaude gaiement recréant quelques petites formes comme dans un dessin animé
Je suis sorti de la fosse aux serpents
Je suis un fondamentaliste Je ne crois qu’aux éléments premiers de toute réalité et d’abord de toute réalité sociale
Je crois mais je ne sais pas
La bêtise, c’est le narcissisme
Le narcissisme, c’est la bêtise
La bêtise est protéiforme, elle plus forte que l’intelligence qui n’est jamais qu’un chemin étroit
Le pire est peut-être, non pas d’être marginal, mais d’être marginal par rapport à la marginalité
Même si j’ai tort, j’ai le droit d’exister
Je me suis donné le droit d’exister
Je me suis même donné le droit de penser par moi-même
Je pense par moi-même grâce à des milliers de gens du passé et du présent
Wittgenstein conseillait : « Dire ce qu’on peut dire »
Dire ce qu’on peut dire, dire ce qu’on a à dire
Fions-nous aux apparences, il n’y a que ça de vrai surtout pour qui les a traversées
Le retour aux apparences est une délivrance
Il ne faut pas en être dupe

Hommage à Nouveau

Germain Nouveau, autour de 1900, fut un ami :

Aimez l’amour
Aimez l’amour tout frais qui surgit de l’hiver
Aimez l’amour qui rêve des fleurs dans les yeux
L’amour que vous cherchez quand se lève votre avril
L’amour parfum qui subsiste quand vous êtes vieux
L’amour aveugle qui vous éblouit de son flambeau
Aimez l’amour qui se cache et celui qui vous charme
L’amour des pavés
L’amour des prés
Aimez l’amour
Seul l’amour de l’amour vous permettra d’aimer

Hommage à Louise Labé

Louise Labé fut une admirable poétesse au XVI° siècle :

Tant que je répandrai des larmes
Que je regretterai le bonheur avec toi passé
Tant que je résisterai aux sanglots et aux soupirs
Que ma voix pourra se faire un peu entendre
Je chanterai tes grâces sur le luth joli
Je ne veux rien comprendre d’autre que toi
Un jour sans doute je sentirai tarir mes yeux
Ma voix sera cassée ma main impuissante
Mon esprit ne sera plus celui d’une amante
Je souhaiterai alors que la mort noircisse
Le plus clair de mes jours

Kuku

Kuku a du succès, il recueille rires et applaudissements. Il ne se rend pas compte que derrière son dos tout le monde le traite d’idiot. Pas seulement le public, les copains, les collègues aussi.
Ce qui plait, ce n’est pas tant ses mimiques, son maquillage outrancier, ses fausses bonnes plaisanteries que son extraordinaire vanité qui se sent de partout. Le moindre de ses mouvements, la moindre de ses postures est vaniteuse.
Kuku devient ainsi un ridicule, un personnage ridicule, intrinsèquement et entièrement ridicule, tout droit issu de la « commedia dell’arte ».
Un spectacle particulièrement réussi est celui qu’il joue avec son copain Labache, sorte d’Auguste triste, qui essaie perpétuellement de prendre des airs intelligents à mourir de rire, sous son petit chapeau noir et plat des années cinquante.

Hommage à Joachim du Bellay ( 2 )

La nuit amassait dans son immense parc
Un grand troupeau d’étoiles vagabondes
Elle guidait ses chevaux noirs
Dans ses cavernes profondes
Le soleil rougissait à notre horizon
La rosée en mille perlettes transparentes
Enrichissait les prairies les jardins
Pas de dieu pour remplacer la nuit ?
Si, l’aurore, le jour, le soleil
Sans compter la nymphe riante
Surgie du fleuve et du ciel

N.B. : Le premier poème translaté à partir de Du Bellay a été publié le 29/11/2013

Petit conte de noël

La population d’un village éloigné avait peur de l’ombre qui grandissait
Quelques-uns allèrent parler avec le chevalier
Un nobliau sans le sou qui vivait dans une tour ruinée
Quelques commères l’avaient pris en grippe
D’autres le trouvaient aimable
Le chevalier écouta attentivement
Puis il promit de faire son possible
En effet la nuit venue il se rendit auprès de l’ombre
Témoigna de l’inquiétude des villageois
L’ombre voulait tout pour elle
Le chevalier plaida l’ordre cosmique
Le partage nécessaire des pouvoirs entre la lune et le soleil
La ferveur des villageois qui lui souhaiteraient sa fête
Le chevalier rassura le petit peuple du village
Après des discussions parfois serrées
Le chevalier proposa la date de Noël
Pour célébrer l’ombre et son recul volontaire
Enfin perceptible trois jours après le solstice
De fait seul le chevalier fêta de bon coeur l’ombre
Il lui fit même cadeau d’une trompe de brume
Aujourd’hui on a oublié le rôle de l’ombre dans Noël
Sauf le chevalier qui lui fait un cadeau chaque année
Pour la Noël 2013 il s’agit d’un cheval noir
Faut-il se méfier de l’ombre qui dort ?

Hommage à Maeterlinck ( 2 )

Regards pauvres et las
Et les vôtres et les miens
Et ceux qui ne sont plus et ceux qui vont venir
Et ceux qui n’arriveront jamais et qui existent cependant !*
Regards des confidences ignorées des tristesses sans lendemain
Des fenêtres d’usine des marins en bordée
Sombres regards qui souffrent de ne pas être ailleurs
Indistincts et divers que nul ne comprend
Pauvres regards muets qui chuchotent
Aveugles qui sont comme étouffés
Regards qui déménagent à la cloche de bois
Echangés du transsibérien et qui ne servent à rien
J’ai vu tous ces regards j’ai admis tous ces regards
J’ai épuisé les miens à leur rencontre
Sans désormais pouvoir fermer les yeux

* Les quatre premiers vers sont copiés littéralement sur le modèle original qui inspire beaucoup les autres

Hommage à Leconte de Lisle

Charles Leconte de Lisle initia le Parnasse :

« Un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort »
A dit l’Ecclésiaste
Pour Pirandello hors manger et boire
Tout n’est que jeux de rôles
Tout n’est qu’ombre et fumée
Le néant de vivre occupe les tombes
L’irrévocable mort est aussi un mensonge
Nous sommes malgré nous immortels
Parce que nous avons vécu
Dans l’ivresse et l’horreur
Nous écoutons le rugissement
De la vie éternelle