Hommage à la préciosité

La préciosité, irruption du maniérisme en littérature, fut aussi volonté d’adoucir les moeurs :

Belle Julie
La tulipe est la flamboyante
L’héliotrope quitte les cieux pour la terre
L’amarante est la fleur de l’amour
La violette est la modestie même

Tu finiras tes jours dans l’amour d’Uranie
Déjà tu connais sa rigueur infinie
Toutefois ta raison par de faibles discours
T’incite à la révolte et lui promet secours

De mille tourments atteint
Raisonnablement je crains
Que vous n’en soyez pas émus

Les chers souffrants, les pieds
Donnent à Iris ses perles, les larmes
Les trônes de la pudeur, les joues
L’ameublement de la bouche, les dents
Prennent leur vraie valeur
Grâce aux miroirs de l’âme, les yeux
Chéri, me ferais-tu la grâce
De me délabyrinther les cheveux ?

Amitiés à Berthe

Berthe Burko-Falcman est une dame de nos amies, hautement estimable, poétesse de surcroit :

Je suis née dans un livre
Il faudra bien finir le livre

Mot fugace
Mot brodé de mémoire
Mot de déception

Il est temps de vivre
Dans le puzzle de son corps
La femme joue de sa fragilité
Et se mue en vieille

Détestable maison
Où tout fait bruit
Dans le silence

La mort ? Comment la mort ?
A tous les plus rien
Se sont ajoutés les plus rien
De la vie d’après

Irritations

Certaines femmes respectables sont irremplaçables dans le petit cercle familial. Elles en profitent pour être désagréables. Elles font payer à leurs proches toutes sortes de frustrations, d’humiliations. Ils n’en peuvent mais.
Certains êtres de qualité connaissent le pire : ils ne sont pas connus. Ils tombent dans l’envie, la frustration, l’agitation.
Certaines femmes aux jambes courtes ne supportent pas les femmes aux jambes longues. Elles tombent dans l’obsession, l’envie. Elles frôlent la haine. Non, elles sont dans l’admiration.
Certains devant un problème s’emportent contre le problème. Ils entrent même en fureur.
Etc… Etc… Etc…
Le premier des droits de l’homme est le droit à la vie. Le deuxième est le droit à la connerie.
Connerie, bêtise, imbécillité, ignorance… Amour-propre… Vous déclinez ce droit fondamental comme vous voulez ? A consommer avec modération.
A notre liste ajoutons le syndrome : vouloir à tout prix être l’égal de tout et de n’importe quoi, de n’importe qui, plutôt que de faire jouer le droit à la différence.

Hommage à Chrestien de Troyes

Chrestien de Troyes fut le merveilleux auteur au XII° siècle de romans de chevalerie. Ce n’est pas cet aspect que j’ai retenu :

Chaque jour nous travaillerons
Nous n’en serons pas mieux vêtues
Toujours nous serons pauvres et nues
Toujours nous aurons faim et soif
Nous ne saurons jamais gagner notre vie
Nous avons du pain chaque jour
Au matin peu et le soir moins
Nous travaillons aussi de nuit
Nous sommes dans une grande misère
Qui s’enrichit de nos bas salaires ?
Ceux pour qui nous travaillons

Hommage à La Tour du Pin

Patrice de la Tour du Pin est du XX° siècle :

Les pays sans légendes sont morts de froid
Les solitudes s’étendent sans l’amour de soi
Les poètes suscitent des brouillards
Pour créer vague à l’âme et cafard
Un frisson inconnu même dans les cauchemars
Mène au pays des oiseaux sauvages
Ils suivent les vents qui changent sans cesse
Ils oublient qu’ils ne sont que de passage
Sous le gouffre transparent des étoiles
Le jour se lève Tu te réveilles innocent
Tu ne te souviens jamais de tes rêves

Erreur

Qui commet une erreur commet un crime. Les stoïciens, systématiques, l’avaient deviné. Qu’est-ce qui sauve l’humanité ? C’est que nous commettons tous des erreurs. Nous sommes tous des criminels. Certes il y a crime et crime. Je me juge moi-même comme un petit criminel. Le pire est que nous commettons des erreurs même quand nous faisons le bien. L’erreur est dans le bien lui-même. L’erreur fait horreur.
Ce petit texte n’est compréhensible que pour ceux, rares, qui mettent la logique au dessus de tout, logique universelle, totalisante, implacable, qui s’applique à l’infime comme à l’infini. Cette logique facilite la compréhension de l’adage latin « Ad augusta per angusta », aux grandes choses par les petites. Eh oui !
Le rationalisme cosmique, panthéiste de certains stoïciens signifie que les catastrophes sont le résultat d’erreurs de la nature. Pas de crime des dieux, ni des hommes. Ils étendent cette logique à l’humanité, aboutissant à un rigorisme moral. Rien n’est plus important pour ces stoïciens que le respect de la loi tant naturelle qu’humaine, éthique.
Pour les uns l’erreur suscite le crime, pour les autres le crime suscite l’erreur.

Comptines

La comptine est un genre collectif, anonyme, enfantin, particulièrement difficile :

Qui remue ciel et terre
Parle à coeur ouvert
Va par quatre chemins
Trouvera l’aiguille
Dans la botte de foin

A bouche que veux-tu
Tu copies la vertu
Tu fuis à toutes jambes
Pour danser la bamba
La samba la zumba
J’oubliais la rumba

A tombeau ouvert
Tu te mets au vert
Fais feu des quatre fers
Crois-en tes noneilles
Tu feras merveille

Gelé à pierre fendre
Tu as le coeur tendre
Charrue avant les boeufs
Tu fais « meuh »
Tu fais « meuh »

Petite fourmi
Tu as la main verte
Tu tires la charrette
Tu remues ciel et terre
La poudre d’escampette
Sauve les fourmis

Hommage à Jaufre Rudel

Le troubadour Jaufre Rudel au XII° siècle fut un grand poète courtois :

Qui ne dit mot sait-il chanter ?
Je suis dans l’outrance afin de plaire
Mais que personne s’émerveille !
J’aime qui jamais me verra
Il n’y a pas d’autre amour que celui-là
J’aime une princesse lointaine
Une belle que je n’ai jamais vue
Même en photo
Je n’en ai nul besoin
Vu qu’elle me voit tous les jours
Me voit ou croit me voir

L’historien

L’historien s’intéresse à tout, à n’importe quoi. La seule condition est qu’il respecte les archives dont il se sert. Le terme qui s’impose est ici probité. Les archives de l’historien, comme le disait Emmanuel Leroy-Ladurie, doivent être sa suprême pensée. Le risque est qu’elles l’empêchent justement de penser. Les archives ne doivent pas penser à sa place.
Il doit par rapport à elles manifester du tact comme le proposait Marc Bloch, une politesse mêlée de finesse.
Mais au delà ? L’histoire est-elle une science inachevée, dépourvue de concepts, n’ayant droit qu’à quelques notions vagues ? Ressemble-t-elle à la tour de Babel peinte par Brueghel l’ancien ? La réflexion sur l’Histoire est encore réservée à des philosophes, des sociologues. Nous sommes proches de la catastrophe.
Heureusement il existe des archives spéciales, celles de l’histoire de la pensée. Pour ma part je me suis servi essentiellement de Marx et de Montesquieu, Marx pour la critique de l’économie politique, Montesquieu pour la critique du politique. J’ai utilisé bien d’autres auteurs.
Les journalistes John Reed et sa femme Louise Bryant, tous deux de sympathies socialistes, se trouvaient en Russie en 1917. Le premier en ramena un livre célèbre : « Dix jours qui ébranlèrent le monde ». L’autre en resta aux confidences d’un flic irlandais rencontré dans le métro de New-York. Les deux avaient raison de leur point de vue.
L’historien a une qualité éminente, il s’intéresse à ce qui n’est pas lui. Il se fait spécialiste de l’autre, de l’altérité.

Hommage à Reverdy ( 2 )

On change
On nous raconte des histoires
Personne ne nous dit ce qu’il est devenu
Personne ne lui parle plus
Il rit
Il marche seul dans la nuit
Dans l’ombre sans écho
Son regard est étoilé
Assez des rires étouffés
Des numéros perdus
Des mots de passe égarés
Il se retourne
Il a déjà changé