Trente ans ( 1967 )

Comment dire le voyage de l’inconnu au connu et le connu l’est-il vraiment ?
Etait fondamentale chez moi, jusqu’à mes vingt-deux ans, la solitude, le repliement sur moi et sur une minuscule cellule matriarcale ( ma mère ! ma maman ! ) avec une sorte de suffisance, une joie étroite, le sentiment profond de la difficulté de vivre autrement.
Pas d’amis ! Je n’avais pas d’ami ! Au lycée… Qui était de ma classe sociale ? J’étais marginal par rapport à tous les groupes sociaux.
Le mépris pour mon père et sa famille joint à l’absence de famille de ma mère, ont donné l’attente abstraite d’un futur autre pour moi ( l’amour romantique … ) et pour tout le monde ( le socialisme … ). Je rationalisais, abstraitement…
Je protégeais ma solitude. Pas d’amis de fac ou de politique, sinon superficiellement. Ma situation ne me rendait pas très amical moi-même.
Je ne me suis aperçu de cette petite tragédie que lorsque vint le temps d’y échapper.
Me voici à trente ans, ayant fait peu de choses, ayant peut-être des choses à faire.
J’ai réussi un bel amour fait de vérité, d’estime et de confiance, de désir et de goût à vivre ensemble.
J’ai réussi un grand amour parce qu’il nous a faits. Nous sommes les enfants du couple.
Grâce à cet amour magnifique je suis plein de confiance, de courage. Je crois que ma paresse, ma passivité, ma misanthropie, mon manque de sang-froid ne seront pas trop graves.
Je pense commencer à réussir des amitiés amoureuses et autres.
Je voudrais tant réussir mon travail de militant intellectuel.
Il est paradoxal de constater que je réussis davantage ma vie privée, qui est certes une vie militante à sa manière, que ma vie publique…