Epitomé 11 : Le faux, moment du vrai ?

Notre existence historique est si complexe que sa vérité comporte toujours de l’erreur. Il importe fondamentalement que la vérité globale soit essentielle. L’erreur est inévitable. il est essentiel qu’elle soit marginale.
Ces propositions presque banales ne sont valables que dans le temps, la temporalité historique.
Dans un premier temps j’étais du côté de Jean-Jacques Rousseau, de Jean-Jacques réinventeur du sentiment, et de Rousseau, penseur du Contrat social, fondement de la Démocratie.
Avec l’expérience j’ai apprécié de plus en plus Voltaire, son esprit certes, mais surtout son réalisme historique qui cotoie parfois le cynisme et surtout son plaidoyer fervent pour la liberté d’expression.
Mon premier mouvement avait été en partie une erreur. Tout au moins c’est ce que je pense aujourd’hui.
A dix-sept ans, en 1955, mon engagement était très simple. Etre le plus à gauche possible sans tomber dans le dogmatisme, le sectarisme, encore moins le fanatisme.
En 1956 La lecture assidue de « France Observateur », l’ancêtre plus militant du « Nouvel Observateur », m’aidait. J’ai écrit le seul article politique de ma vie, un articulet, favorable à l’union populaire, l’union des gauches, dans la revue de Marceau Pivert, leader de la gauche de la S.F.I.O., « Correspondance Socialiste Internationale ».
La conjoncture historique, les guerres de décolonisation, la puissance de l’énorme bloc « socialiste », le prestige du P.C.F., parti communiste français, y compris sur le plan intellectuel, m’ interrogeaient en profondeur.
En 1962, à la fin de la guerre d’Algérie, alors même que notre petit P.S.U. n’avait pas démérité, avec un certain nombre de copains, nous l’avons trouvé faiblard à côté de la puissance du « Parti ». Ils ont adhéré à l’organisation des étudiants communistes. Régine et moi avons choisi une petite cellule de quartier. Toujours cette vocation de militants de base.
Dès 1965 je quittais le parti sur la question du soutien à Mitterrand pour le premier tour de l’élection présidentielle. Peu militante à ce niveau, Régine, plus sociale, a été exclue en 1968.
En 1961 j’avais pris le parti de la Chine dans le conflit sino-soviétique. En 1971 j’étais vaguement maoïste. J’ai réadhéré au P.S.U. pour le quitter en 1973. Par lassitude. Je n’ai plus jamais milité dans une organisation politique.
En 1991 le monde qui avait fondé ma jeunesse s’est effondré. L’union Soviétique a implosé. La Chine était de plus en plus capitaliste…
En 1960, à titre personnel, Régine a effectué un voyage d’études dans la Yougoslavie titiste, celle du maréchal Tito, qui représentait une alternative au stalinisme grâce à l’autogestion, l’autogestion des entreprises collectives. Que reste-t-il de cet espoir ?
Pendant des dizaines d’années j’ai espéré qu’en dépit de ses monstruosités, staliniennes et autres, le marxisme-léninisme représentait une simple phase historique, que le primat de la propriété collective des moyens de production permettrait une issue heureuse, une reprise de la marche vers le socialisme.
Hégel a eu cette phrase, typique de sa dialectique historique : »Le faux est un moment du vrai ». Il n’a pas tort, pas du tout, mais souvent le faux est simplement un moment du faux.