PCA 118

Les chants des voyageurs et les pleurs des paysans
Sont d’une grande tristesse
Les feux dans la campagne et les étoiles s’effacent
Mes yeux brûlent je ne dors plus
Je n’attends rien
Personne alentour ne parle ma langue
Je pense à mon vieux jardin
Je lave ma tête Elle me paraît légère
Mes cheveux se raréfient
Sur la jonque solitaire la lampe vacillante
Ne rejette pas l’étranger
La nuit elle me tient compagnie

Je m’endors sur un livre de méditations
Je me réveille vers minuit
Un mauvais vin est comme un mauvais humain
Plus meurtrier qu’une flèche !
Ecroulé sur le lit vaincu sans combat
L’esprit du vieux poète est bien vivant
J’ai l’impression d’entendre des paroles douces
Je suis trop saoul pour saisir leur sens
Les lumières se confondent en tourbillons
Je me réveille encore je vois la lune sombrer dans le fleuve
La voix du vent change
La lampe solitaire brûle à côté de l’autel
Les héros ont disparu

PCA 117

Un petit vieux est très à l’aise une fleur dans les cheveux
La fleur se sent déplacée sur un chef aussi âgé
Il rentre chez lui en titubant
Des gens se rient de lui
Mais les rideaux de perles se soulèvent !

Les monts ressemblent à des chevaux au galop
Vus de ma jonque
Les chaînes se déchirent en lambeaux
Aux contours incertains
Un pic décharné paraît prendre la fuite
Sur le sentier étroit qui zigzague vers le sommet
La silhouette d’un homme qui grimpe
Clairement se découpe
Du pont je fais des signes je crie
Mais déjà la voile nous entraîne
Tel un oiseau qui s’envole

PCA 116

Les fleurs écarlates pâlissent
Les abricots sont encore verts
Les hirondelles effleurent de leurs ailes
Les eaux émeraude contournent la belle demeure
Les bouffées de vent emportent les chatons des saules
Les herbes douces couvrent la terre

Une balançoire bouge encore derrière le muret
Devant, sur le chemin, on entend le rire clair d’une belle
Il faiblit peu à peu et s’éteint
Un coeur aimant souffre d’un coeur indifférent

Les platanes sont effeuillés par la mince faucille de la lune
La clepsydre s’arrête, les voix s’assourdissent
Personne ne voit le reclus solitaire marcher de long en large
Dans la brume épaisse un cygne sauvage effrayé indécis tourne la tête
Accablé d’un chagrin que nul ne connaît
Il ne se pose pas sur les branches nues
Il reste seul sur le sable glacé de l’îlot vide

Que signifie notre vie sur terre ?
Un passage d’oies sauvages !
Elles se posent sur la neige
Laissant des traces de leurs pattes palmées
Puis s’envolent

Le vieux moine n’est plus
N’en reste qu’une pierre funéraire
Le temps a effacé les poèmes que nous avions peints
Sur les murs délabrés de la hutte
Te rappelles-tu les épreuves pour parvenir jusqu’ici ?
La route paraissait sans fin
Nous étions épuisés tous les deux
Et mon âne boiteux qui ne cessait de braire !

PCA 115

J’ai bâti ma chaumière dans un bocage de bambous
Au pied des rochers
J’entrevois le village par les trouées de verdure
Personne ne vient ici
Je me repose sans souci du matin au soir
Je laisse au vent printanier
Le soin de balayer devant ma porte

Midi approche
Un air léger frôle les nuages moutonniers
Au milieu des fleurs parmi les saules en tiges
Je patauge dans un ruisseau
Les gens ignorent que mon coeur est allègre
Ils me prennent pour un gamin
Qui baguenaude sur le chemin de l’école

Du ruisseau la beauté de la vue est inouïe
Quand il neige
Je pousse ma monture pour y parvenir
Avant le dégel
J’écarte des branchages Je guette des traces de pas
Je suis le premier avant l’aube à franchir le pont rouge
Je ne trouve que des maisons délabrées
Les toits sont effondrés
Nulle part où passer la nuit
Le village est affamé Des voix mornes en témoignent
Seul un corbeau du crépuscule partage mes émotions
Soudain il s’envole
Il fait tomber les flocons des branches froides

PCA 114

L’amour vain serait un sentiment révolu
Tombé dans l’oubli
Chaque fois que le printemps revient
Je suis aussi triste que naguère
Je bois devant les fleurs jusqu’à l’ivresse
J’accepte la maigreur de mon visage dans le miroir
Les herbes sont tendres au bord de la rivière
Les saules sont paisibles sur la rive
Pourquoi chaque année m’apporte-t-elle le même chagrin ?
Debout seul sur le petit pont le vent gonfle mes vêtements
Je la vois à l’orée du bois
Silhouette frêle qui s’éloigne

Naguère sans but
Nous flanions sur le lac
Notre barque légère fendait les eaux calmes
Les branches des saules s’inclinaient sur l’éventail des petites vagues
Les printemps se succèdent et nos têtes blanchissent

La chanteuse commence une mélopée envoutante
Comment s’arrêter de boire ?
Au temps des fleurs la boisson
Appartient aux joies
Qui avec le temps se font rares

PCA 113

Les feuilles des lentilles d’eau sont petites
Pourtant elles couvrent toute la rivière
Ce n’est pas un métier facile
Les saules se balancent le long des berges
Nous nous sommes séparés près du fleuve
Quand je reviens la lune descend sur les rizières

La brume s’épaissit Le vent fraîchit
Je suis appuyé à la porte rouge
J’entends les chevaux hennir
Un couple de mouettes s’envole
Dans le froid glacial

Au début du printemps l’air est souvent limpide
Après la pluie
Les fleurs rivalisent
A peine arrivées les hirondelles s’installent en couples
Sous les poutres colorées
Dans sa cage le perroquet se plaint
De ses nuits solitaires

Certaines plantes grimpent sur les murs
Le sentier est couvert d’un tapis de mousse
Les pavillons retentissent de chants joyeux
Mais soudain un souvenir ancien étreint son coeur
Il fronce ses sourcils arqués
Comme des collines sombres

PCA 112

Une jeune fille cueille une pivoine
Perlée de rosée et se pavane dans la cour
Elle demande souriante à son amoureux :
« Laquelle de ces deux fleurs est la plus belle à tes yeux ? »
« Bien sur que c’est la vraie fleur ! » dit-il pour la taquiner
Prise d’une rage enfantine elle froisse la pivoine
Et la lui jette au visage

Ne te sens pas offensé si je tarde à venir
Tu me connais trop pour ça
Ma fillette est sur mes genoux
Mon petit fiston babille sans arrêt
Les deux me suivent pas à pas
J’arrive à peine au seuil de la porte
Entouré de tendresse pourquoi irais-je plus loin ?

Epaisse la neige fond sur la rivière gelée
Les eaux prises sous la glace se libèrent peu à peu
Les travailleurs rentrent au couchant
Les cormorans se perchent sur la barque des pêcheurs

PCA 111

Les cigales transies stridulent devant l’embarcadère
La pluie s’est arrêtée
Nous vidons les coupes des adieux
Déjà le bateau de santal annonce le départ
Mains enlacées les yeux et la gorge pleins de larmes
Nous restons muets
Je pense aux distances qui m’attendent
Sur les vagues embrumées
Aux masses menaçantes des nuages
Dans le ciel immense

Ceux qui s’aiment souffrent depuis toujours de la séparation
Elle est pire dans la froidure
Que serai-je après l’ivresse de cette nuit
Quand la lune pâlit sur la rive bordée de saules
Dans la brise de l’aube ?
Je suis parti pour des années
Les beaux moments les beaux paysages paraissent vains
Si je débordais de tendres sentiments
A qui pourrais-je les confier ?

La pluie du soir marie le ciel et la rivière
Rafraîchit l’automne
La bise froide est chaque jour plus mordante
Les passes montagneuses plus désertes
Les derniers rayons solaires embrasent la terrasse
Partout le rouge fane le vert pâlit
La nature perd son éclat
Les eaux du fleuve coulent immuables

Je ne supporte pas de monter sur les hauteurs
Regarder au loin me fait souvenir du pays natal
Ma nostalgie ne se referme plus
Je soupire en pensant à mes voyages
Pourquoi devrais-je continuer à souffrir ?
Je pense à toi, amour, penchée à ta fenêtre
Scrutant le fleuve
Tant de fois tu as cru voir mon bateau au loin
Comment pourrais-tu savoir
Que je suis appuyé à cette balustrade
Glacé de chagrin

PCA 110

La plainte de tes sourcils serrés
N’empêche pas tes prunelles d’être fascinantes
Je me souviens de tes cheveux flottant librement
En bas du petit escalier en colimaçon
Tu portais des bas de soie

Sa petite langue coquine pointait entre ses dents
Souriante elle chuchotait :
« Veux-tu savoir à quel moment ? »
Les nuages et la pluie se sont dispersés
Trop tôt !
Si tôt que ça fait mal !
Mais le ciel s’en moque !

Avant de tirer la courtine
Pour exprimer son désir
Elle fronce les sourcils
La nuit est si brève !
Elle presse son jeune amoureux de se coucher le premier
Pour réchauffer l’édredon en duvet de canard
Elle met de côté ses broderies
Ôte sa soie fine
Elle se livre à la passion de l’amour
« J’allume la lampe derrière le rideau
Que je me réjouisse de la beauté des ton visage »

PCA 109

Les fleurs sont brillantes
Sous la lune voilée d’une brume légère
Cette nuit est merveilleuse
Pour que je rencontre l’aimé
Je descends l’escalier parfumée
A la main je tiens mes sandales
Tissées de fils d’or

Nous nous retrouvons dans la salle peinte
Je me jette tremblante dans tes bras
 » Il m’est si difficile de venir jusqu’à toi
Que l’amour t’inspire les caresses les plus tendres ! »

L’écume blanche des vagues
Se brode des rubans de neige
Les pruniers fleurissent en silence
Une cruche de vin et ma canne à pêche !
Qui est plus heureux que moi dans ce monde ?

Ma barque flotte les rames immobiles
Comme une feuille au souffle du vent
Le petit hameçon danse au bout de son fil de soie
Je trouve ma liberté sur ces eaux sans limites
Avec un îlot fleuri et ma coupe pleine

A la porte le chien jappe joyeusement
Mon bien-aimé arrive !
Mes pieds touchent à peine l’escalier
Oh ! L’aimé est ivre ce soir
J’écarte la soie du rideau de mon lit
Quitte-t-il ses vêtements ?
Non il est ivre !
Qu’il le reste !
Tout vaut mieux que de dormir seule !