PCA 128 et fin *

Nous quittons les eaux bleues au pied de la montagne
Nous arrivons à une chaumière sa haie de jeunes bambous
Les fleurs sauvages s’épanouissent
Le long du sentier qui mène au pressoir à vin
Nous buvons jusqu’à plus soif
Le guide montagnard a pris sa cuite
Il ne peut plus nous conduire
Je souhaite qu’au dessus de nos têtes blanches
On plante des chrysanthèmes

Le soleil descend sur l’horizon
Les drapeaux des tavernes sont en berne
Quelques bateaux accostent au rivage
Un homme regagne sa hutte de paille
Le long des eaux portant des fleurs tombées
A l’entrée du pont brisé
S’attardent quelques vendeurs de poisson

Sur un vieux peuplier au lierre desséché
Les corbeaux du soir s’ébattent
Près du petit pont une maison s’élève
Sur la route ancienne un cheval est efflanqué
A la lisière du ciel un humain a le coeur brisé *

* Rappel : Ferdinand Stoces, « Neige sur la montagne du lotus », Editions Philippe Picquier, 2006

PCA 127

Un nuage de poussière au dessus du chemin
Nous étions comme des chatons de saule
Le long de la berge
Nos pas étaient si légers
Qu’ils ne laissaient pas de trace
Aujourd’hui le vin avive les joues
La pluie automnale mouille tes yeux
Rouges de pleurs
Tout est terminé tout est dit
Sauf : as-tu toujours envie de moi ?

A cause des pruniers en fleurs
Je me suis enivré dehors toute la nuit
Une fille m’a mendié un nouveau poème
Je l’ai griffonné sur une écharpe de noces
Les filles se sont bousculées pour verser le vin
Je suis vieux aujourd’hui Rien n’est plus comme avant
Je ne peux plus m’étourdir avec les filles en fleurs
Mes larmes tombent je ne souhaite
Que verrouiller ma porte et dormir toute la nuit
Les pétales de pruniers se posent librement sur la neige

Depuis que je l’ai accompagné et qu’il m’a dit adieu
Mon coeur a mal
Que me reste-t-il ?
Quelques souvenirs qui pâlissent aussi ?
Ma main sur la balustrade je balaie de la manche
Le duvet argenté des saules
La vague est passée
Les monts sombrent dans le brouillard
Un homme s’en va

PCA 126

Ma porte de chaume s’ouvre bien
Je la laisse fermée
Je n’aime pas que la mousse verte soit piétinée
Le printemps est enfin arrivé
La brise tiède apporte des bruits étouffés de la rue
Ma femme penchée sur un livre ancien
Me questionne sur de vieux caractères
Mon fiston souhaite une goutte de vin
Il fait déborder la coupe
Si j’avais un verger je planterais
Des prunes bleues et des prunes vertes

Je bois pour m’amuser
Je n’ai pas le temps pour être triste
Je sais que les livres anciens ne savent à rien

Je me suis enivré devant un sapin
Je lui ai demandé ce qu’il pensait de mon ivresse
Il s’est noblement penché pour me soutenir
Je l’ai repoussé : « Fiche-moi la paix ! »

Quand j’étais jeune j’ignorais le chagrin
J’aimais monter au sommet de la tour
J’y compose des vers pleins de tristesse
Déclinant au fil des années j’ai connu le chagrin
Je n’ose plus en parler
Alors je dis : « Quelle belle journée ! »

PCA 125

Dans la barque du pêcheur
Poules chien famille s’entassent
La vie se passe sous l’auvent en bambous
Le petit garçon ne sait que faire
Au début d’une longue journée
Pour tuer le temps
De lui-même il tresse un panier

Un petit garçon tire une vache
Pour lui faire traverser le ruisseau
Derrière un autre chevauche un boeuf
Et se tourne pour bavarder
Un troisième porte un chapeau à fleurs
Et souffle dans sa flûte
Une vache suivie d’un veau
Porte un quatrième bambin
Le ruisseau est clair L’herbe est couleur d’émeraude sur un îlot
Les bêtes s’éloignent sans que les enfants s’inquiètent
La pluie commence à tomber
Trois chapeaux et quatre capes courent !

PCA 124

Le soleil descend dans l’or en fusion
Le feu des nuages s’éteint doucement
Où te caches-tu ?
La brume estompe les saules
Les fleurs du prunier tombent aux sons de la flute
Que de sentiments le printemps évoque-il ?
Les lampions brillent dans les rues
L’air est suave
Le vent et la pluie guettent
Merci amis en poésie
Je préfère rester seule

Je me souviens des jours florissants
Nous avions beaucoup de loisir
Dans le quartier des femmes
Nous faisions la fête
Nous faisions assaut de nos charmes
Aujourd’hui fanée fatiguée
Cheveux éparpillés tempes givrées
Je ne sors plus la nuit
J’aime mieux à l’ombre des rideaux
Ecouter les autres bavarder et rire

PCA 123

Je me souviens du pavillon sur la rivière
Après un coucher de soleil noyé dans le vin
il m’arrivait souvent de m’égarer
La fête finie je reviens en bateau
L’esprit embaumé je m’enfonce dans un dédale de lotus
Comment me libérer ? Pourquoi me libérer ?
Les aigrettes blanches se réveillent sur le sable de la rive

Le vent s’est apaisé la terre exhale
Le parfum des fleurs tombées
Le soir descend
Je suis trop fatiguée pour arranger mes cheveux
Ses vêtements sont ici
Mais lui n’y est plus
Rien n’a plus de sens
Je voudrais en parler mais je fonds en larmes
On dit que sur le lac le temps est encore beau
Je voudrai faire un tour sur une barque
La barque légère ne pourrait supporter un tel chagrin

PCA 122

Sur la route les pruniers répandent leur pollen
Les pêchers étalent leurs fleurs roses
Dans une maison calme du quartier des plaisirs
Les hirondelles retrouvent la douceur du nid

Je reste là pétrifié de tristesse
Je me souviens d’elle naïve fille
Se montrant à la porte dès l’aube
Maquillée de jaune à la mode
Se protégeant du vent
Menue fragile souriante

Je cherche la rue Je demande aux voisins
De ses amies ne reste que la reine de l’automne
Son chant et son pinceau sont toujours en faveur
Avec qui peut-elle partager un verre
Ou faire une promenade ?

Tout est parti avec une oie sauvage
J’ai cherché la belle saison et n’ai trouvé que le chagrin
Les saules ploient leurs branches
Je rentre chez moi Il pluvine
Dans la cour vide le vent jette des chatons
Des saules pleureurs

PCA 121

Au ruisseau des pêchers je ne m’attarde pas
La tige du lotus une fois cassée ne se refait pas
J’attendais sur le petit pont à la balustrade rouge
Seul je cherche mon chemin parmi les fleurs jaunes

De nombreux sommets émeraude
S’enveloppent de nuées
Les feux du couchant brûlent sur les ailes des oies sauvages
Je suis comme le vent prisonnier de la brume
Des chatons de saule jonchent le sol après la pluie
Qu’est donc l’amour ?

Les bougies fondent et tachent les lotus de papier
De larmes rouges
Les lampions rivalisent d’éclat en ville
Quand la lune est levée l
La lumière cascade sur les tuiles laquées
Des ogives des toits
Les vapeurs se dissipent
La lune voudrait se joindre aux filles
A la taille fine
Les flûtes et les tambours se chamaillent l
Les ombres des badauds s’agitent dans tous les sens
L’odeur du musc se prolonge
Quand le couvre-feu fut levé
Les lanternes créaient le jour
Nous nous sommes baladés dans les rues pavoisées
Un an plus tard notre amour a pâli
La saison des danses et des chants est finie

PCA 120

La nuit est profonde comme des eaux sans fond
La bise déchaînée secoue la vieille auberge
Solidement verrouillée
Mon rêve se brise je ne m’en souviens pas
La petite souris jette un regard furtif vers la lampe
Le givre glacial glace le couvre-lit
Le sommeil ne vient pas
Le sommeil fuit
Dehors les chevaux hennissent
Les gens s’affairent pour partir

La lame du couteau scintille comme de l’eau
Le sel est plus éclatant que la neige
Ses doigts délicats coupent avec grâce une orange
L’alcôve de brocart se réchauffe
Odorante la fumée monte du brûle-parfum
Qui a la forme d’un tigre
Face à face et tour à tour nous jouons de la flûte de roseau

Elle demande à voix basse :
Où croyez-vous dormir ce soir ?
Minuit sonne sur les remparts de la ville
Votre cheval glisse sur la gelée blanche
Il vaut sans doute mieux que vous restiez ici
Les passants sont rares dans les rues désertes

PCA 119

Où va le printemps ?
Partout la solitude et pas un chemin
Si quelqu’un connaît le printemps
Qu’il lui dise de revenir au plus vite !

Le printemps disparaît sans laisser de trace
Où est-il ?
Peut-être les oiseaux le savent -ils
Mille chants et personne qui comprenne
Avec le vent j’aimerais survoler les roses

La pluie printanière a jeté les fleurs sur le sentier
Elle ont bâti des montagnes de couleurs
Je me fraie un chemin jusqu’à la source secrète
Où nichent les oiseaux

Les nuages se transforment en serpents ailés en dragons
Qui bondissent dans l’azur
Etendu ivre mort dans l’ombre des sycomores
Je ne distingue plus rien